RÉCIT - Valentin, 10 ans, trouve la mort dans des circonstances atroces, fin juillet 2008, à Lagnieu, dans l’Ain. Rapidement, l’enquête s’oriente vers un couple de marginaux, Stéphane Moitoiret et Noëlla Hégo. Mis en examen pour assassinat et complicité d’assassinat, ils seront condamnés respectivement à la réclusion criminelle à perpétuité et à 18 ans de prison par la cour d’assises de Bourg-en-Bresse en 2011. Les deux marginaux sont jugés en appel à partir de mardi à Lyon.
L'enfant a rencontré la mauvaise personne au mauvais moment. Le plus terrible des hasards, ce soir-là, pendant les vacances d'été de 2008.
44 plaies sur le corps de Valentin
Le temps d’un séjour, la garde du petit Valentin est confiée à des amis. Il fait bon ce soir-là, les discussions se continuent tard le soir, dans le jardin, à Lagnieu. Sans crainte, on laisse l'enfant faire des tours de vélo. Très rapidement, on s'aperçoit de sa disparition et les recherches débutent. Le petit Valentin est aussitôt retrouvé, dans une rue. Il saigne abondamment et les secours sont appelés. L'enfant décède des suites de ses blessures, malgré les soins apportés par les médecins sur place.
La première hypothèse d'un accident de la route est vite remplacée par celle des morsures d'un chien errant. L'autopsie du médecin légiste écarte cette seconde hypothèse : le corps de l'enfant porte 44 plaies faites avec une arme tranchante. Le jeune Valentin a bel et bien été assassiné. Les enquêteurs se penchent sur le cas de deux marginaux, contrôlés par la Gendarmerie le jour même à Leyment. Ils sont interpellés le 3 août, en Ardèche, suite à la diffusion d’un portrait-robot.
Deux marginaux “mystiques” arrêtés
Lui, c’est Stéphane Moitoiret, visage rond aux yeux globuleux. À 38 ans, il n’a jamais exercé d’emploi. Depuis plus de vingt ans, il sillonne les routes de France avec sa compagne.
Elle, c’est Noëlla Hégo, une femme âgée de 48 ans, tour à tour secrétaire comptable puis cartomancienne, qui a tout quitté pour rejoindre Stéphane, de dix ans son cadet.
Ils ont une petite fille, née en 1991 qu’ils abandonneront officiellement, invoquant des problèmes d’argent et l’impossibilité d’éduquer un enfant.
Les tests ADN effectués prouvent la présence de Stéphane Moitoiret sur les lieux du crime. Les premières auditions révèlent d’emblée la personnalité complexe des deux individus, relevant des propos mystiques. L’homme nomme sa compagne “majesté”, qui est pour lui l'“incarnation de Dieu sur terre en planète de mission divine”. Des propos incohérents, mais Stéphane Moitoiret nie farouchement avoir tué le jeune Valentin. Une constance dans ses déclarations : il “ne se souvient de rien”, nous précise Me Hubert Delarue, son avocat.
De son côté, Noëlla Hégo présente le même sens du délire. “Elle vit dans un autre monde”, avance sa nouvelle avocate, Me Roksana Naserzadeh. Dans ses déclarations, elle explique que son compagnon était énervé par le contrôle de gendarmerie. Ils ont trouvé refuge dans une cure de Saint-Sornin, proche de Lagnieu. Ce soir-là, après une énième dispute, Stéphane Moitoiret serait revenu en lui avouant qu'“il avait tué un petit garçon”.
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Le fait divers politique
Au lendemain de l’arrestation du couple, Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie, alors garde des Sceaux et ministre de l’Intérieur, font le déplacement dans l'Ain. Sur place, la ministre de la Justice promet que “Stéphane Moitoiret sera jugé et condamné”. Lagnieu est en larmes, les habitants profondément choqués par ce meurtre. La famille entend là des paroles qui se veulent réconfortantes. Le sort de Stéphane Moitoiret et celui de Noëlla Hégo semble scellé : ils seront jugés par une cour d’assises.
Ils sont mis en examen le 5 août. Menée pendant deux ans, l’instruction met en relief la complexité de la personnalité de Stéphane Moitoiret. L’hypothèse de l’altération du discernement invoquée par six experts sera retenue. L’homme est poursuivi pour assassinat sur mineur, accompagné de tortures et d'actes de barbarie. Noëlla Hégo pour complicité d’assassinat.
Un premier procès et la querelle des experts
En décembre 2011, ils comparaissent tous deux devant la cour d’assises de Bourg-en-Bresse. L’accusé est incapable d’aligner plusieurs mots audibles à la suite. Une part de folie est palpable durant les débats. Lui continue à nier, un non insupportable à entendre pour le père et la mère de Valentin. Noëlla Hégo est un peu plus éloquente.
Durant les débats, les experts se déchirent entre abolition du discernement de Stéphane Moitoiret et son altération au moment des faits (voir ci-dessous). “Les parents n’ont pas compris le geste de Stéphane, nous indique Me Collard. Ils veulent comprendre.” En larmes, la famille accueille le lourd verdict envers les deux accusés comme un soulagement. Stéphane Moitoiret écope de la perpétuité, Noëlla Hégo est condamnée à 18 ans de réclusion criminelle. “C’était une décision scandaleuse, estime Me Delarue. La cour d’assises a fait totalement abstraction du fait qu’il était un malade mental. C'est le meurtre terrifiant du délirant.”
Un autre Stéphane Moitoiret à Lyon ?
À Lyon, le climat devrait être moins passionné. L’enjeu de ce second procès en appel s’appuie toujours sur le témoignage des experts. L’attitude de Stéphane Moitoiret sera particulièrement surveillée : “Le traitement qu’il a depuis cinq ans à la prison le stabilise ; il sera vraisemblablement différent alors qu’à Bourg il était prostré”, avance son avocat. Me Delarue reste cependant prudent : “Difficile de faire des pronostics.” De leur côté, les parents veulent que justice passe et n’acceptent pas cette thèse de l’“irresponsabilité pénale”. La cour d’assises du Rhône pourrait y apporter une réponse, durant ces quinze jours de débat.
Tous les comptes rendus d’audience sur lyoncapitale.fr à partir du mardi 12 novembre.
La responsabilité pénale au cœur des débatsL’enjeu du procès Moitoiret-Hégo se porte autour de la responsabilité pénale de l’accusé. Clairement, Stéphane Moitoiret est-il pleinement conscient de son geste au moment de tuer le jeune Valentin ? Les dix experts ont été chargés de l’interroger à ce sujet. Quatre, dont les deux plus éminents, Paul Bensoussan et Daniel Zagury, avancent l’abolition de son discernement au moment des faits. Stéphane Moitoiret est considéré comme “un sujet schizophrène paranoïde”. En revanche, six autres experts retiennent l’altération du discernement : “Si l’homme vit dans un monde imaginaire”, il a un rapport concret avec la réalité. Bref, il n’est pas totalement fou. Dans son blog, l’ancien magistrat Philippe Bilger commentait ainsi le verdict du premier procès : “Quand la transgression est au sommet de la gravité, soit par ses modalités, soit par sa répétition, soit par la qualité des victimes, soit par le cumul de ces circonstances, la psychologie même infiniment perturbée de l'auteur n'a plus aucune incidence sur la délibération, tant l'indignation judiciaire et la volonté absolue de punir dominent tout ce qui pourrait ressembler à une compréhension des mécanismes obscurs de l'âme et de la tête. Il y a des morts qui ne laissent place, chez les jurés, à rien d'autre qu'au châtiment extrême. C'est comme cela. Le déséquilibre, accouplé au pire, augmente l'effroi, et on condamne comme on fuit.”
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