Radiations : les bugs de Pôle Emploi

Pôle Emploi radie tous les mois entre 35 000 et 45 000 chômeurs. Depuis trois semaines, la CGT Chômeurs fait signer des pétitions pour notamment demander l'"arrêt pur et simple des radiations". Lundi, les militants cégétistes étaient devant l'agence Pôle Emploi du 3e arrondissement de Lyon. Les pétition seront remises fin mai à la direction.

Nous publions l'article paru dans le mensuel d'avril 2010 sur la question des radiations illégales.

Une partie de ces radiations sont certainement illégales. C’est ce qu'a rappelé un jugement du 8 mars du tribunal administratif de Lyon.

Ludovic Michel fait partie de ces centaines de chômeurs radiés illégalement par Pôle Emploi. Exclu en février pour deux mois, il a réussi à recouvrer ses droits après un jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 mars. Retour au pays de Kafka. Au chômage depuis cet été, Ludovic Michel, 29 ans, habitant de Tarare (Rhône), veut suivre une formation professionnelle en informatique avec l’AFPA. Il en parle à sa conseillère du Pôle Emploi qui valide le projet en automne et lui annonce un prochain rendez-vous pour début 2010. Tout roule. Il s’attend à être convoqué à son rendez-vous pour finaliser son projet avec elle.
En février, inquiet de ne recevoir aucun courrier, il envoie un e-mail à sa conseillère. Elle lui répond dans la foulée “vous êtes radié pour deux mois car vous ne vous êtes pas présenté à votre rendez-vous de janvier”.

Il se dit qu’il va pouvoir s’arranger comme il a pu le faire avec son propriétaire ou l’assurance avec lesquels il a eu le même problème de courrier. Il envoie donc une lettre au directeur de l’agence de Tarare pour lui faire expliquer qu’il n’a reçu ni la convocation à son entretien, ni les lettres lui signifiant la radiation. Il lui transmet le numéro de réclamation de La Poste attestant des démarches qu’il a entrepris de ce côté-là. Quinze jours plus tard, le 27 février, il reçoit la réponse. La direction de Tarare lui confirme sa radiation car un “problème d’acheminement de courrier” n’est pas un motif légitime. Ludovic Michel le vit “comme un choc”.

La fin de février approche. Il sait que le mois prochain, il n’aura rien pour vivre. “J’avais la sensation qu’une machine s’était mise en route et qu’on ne pouvait rien faire contre. Surtout ils ne prennent pas en compte la situation personnelle. Dans mon courrier, j’avais expliqué mes problèmes avec la Poste et la pension alimentaire que je verse à mes deux enfants”. Il ne lui reste plus qu’à saisir la justice administrative. Mais il est persuadé que la justice est lente et chère. La suite va lui prouver le contraire.

À l’occasion de recherches sur Internet, il arrive au site recours-radiation (lire par ailleurs) Il n’a plus que quelques jours pour faire son recours avant l’expiration du délai pour le référé. Les juristes militants le prennent en main, le guident et relisent même son recours. Très rapidement, il peut déposer son référé, quelques jours avant la date butoir. Aussi rapidement, son affaire est audiencée. Le même jour, le jugement est rendu : Ludovic Michel n’est plus radié. Pôle Emploi a préféré ne pas venir et a préféré envoyer un courrier, le jour même annulant la décision de radiation.

Pôle Emploi dans l’illégalité

Sur les 35 000 à 45 000 radiations mensuelles, la moitié est due à une reprise d’emploi, l’autre à une absence à un rendez-vous obligatoire, sans que l’on sache les raisons de ces absences (entretien d’embauche, maladie, garde d’enfants, problèmes de courrier, à 95%). Des cas comme celui de Ludovic Michel ne sont donc pas isolés. Ainsi une personne qui ne s’est pas présentée à son rendez-vous parce qu’elle n’a pas reçu sa convocation, ne devrait pas être radiée, sauf si le problème de courrier lui est imputable (absence de noms sur la boîte aux lettres, changement de nom, changement d’adresse sans en informer l’administration).

C’est à l’administration de prouver que la personne a bien reçu le courrier. Or l’ANPE, hier, et, aujourd’hui, Pôle Emploi, n’envoie pas les convocations par lettre recommandée mais par courrier simple voire par email ou SMS. Pôle Emploi est donc dans l’impossibilité de prouver que le chômeur a bien reçu la lettre.
Ainsi, si un chômeur radié dans ces conditions saisit la justice, il a toutes les chances de gagner. Le directeur adjoint de Pôle Emploi Rhône contacté par Lyon Capitale minimise la portée du jugement du 8 mars en pointant la “les jugements particuliers rendus par la justice administrative lyonnaise” en la matière. Force est toutefois de reconnaître que la jurisprudence est constante, à Paris, Marseille, Lyon ou ailleurs, au moins depuis un arrêt du Conseil d’Etat de 1995.

Toujours la “machine à radier”

Comme Ludovic Michel, les demandeurs d’emploi se retrouvent dans une gestion des flux de chômeurs qui confine parfois à l’absurde. Le demandeur d’emploi doit systématiquement apporter un justificatif pour chaque absence. Même la première. Quand il est malade ou quand il va à un entretien d’embauche. Absurdité de la procédure, le chômeur ne connaît ces subtilités qu’au moment où il reçoit sa lettre de radiation avec, au dos, les “motifs légitimes d’absence”.

Le directeur d’agence peut toutefois faire preuve de magnanimité puisqu’il a la main sur les radiations. “La gestion des radiations est informatisée à son origine, explique une conseillère Pôle Emploi. Le système déclenchera un “avertissement avant radiation” si le demandeur ne vient pas et/ou si le conseiller ne saisit pas un entretien. La décision de radier appartient au final au directeur d’agence qui jugera de la justification apportée par le demandeur d’emploi”.

Politique du chiffre ?

Selon plusieurs sources syndicales, le directeur peut inciter à radier davantage si le “taux de sortie”** n’est pas bon. Ce ratio inclut autant les radiations, les personnes qui ont repris un emploi et celles qui ont oublié de pointer (“cessations d’inscription par défaut d’actualisation”). “En fonction du degré de réalisation de l’objectif de taux de sortie, les consignes orales peuvent pleuvoir et inciter les décisionnaires (Directeurs de site) à moins de clémence en cas d’absence à convocation. Le degré de réalisation des objectifs détermineront le montant de la prime collective annuelle des agents”, explique un syndicaliste de SUD. Le directeur adjoint de Pôle Emploi Rhône a démenti tout objectif de taux de sortie global qui inciterait à radier. “Le seul indicateur que nous devons suivre est le nombre de placements réalisés par Pôle Emploi”.

Mais, éléments troublants, quand le nombre de chômeurs qui oublient de pointer augmente, le nombre de radiés diminue. En clair, quand les gens s’excluent d’eux-mêmes de Pôle Emploi, il ne semble plus nécessaire de procéder à autant de radiations. Telle est l’hypothèse que l’on peut formuler au vu des chiffres. Les “cessations d’inscription par défaut d’actualisation” connaissent en effet une hausse de 27% dans le Rhône entre janvier 2009 et janvier 2010 (pour atteindre 5791 sur 13 223 sorties des chiffres du chômage) alors que les radiations baissent de 18% dans le même temps. Cet effet de vases communicants semble abonder dans le sens des syndicats : à Pôle Emploi, ce qui compte avant tout, c’est d’obtenir des chiffres du chômage présentables, surtout en période de surchauffe des statistiques.

*Selon la direction de Pôle Emploi, il n’existe pas de statistiques sur les raisons qui expliqueraient les absences aux rendez-vous.

**Le taux de sortie, selon la définition du site du ministère du travail, est égal au nombre des départs du mois/ rapporté aux effectifs totaux de début de mois et multiplié par 100.

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Toutes les radiations sont-elles illégales ?
C’est une autre question soulevée par le site recours-radiation. Dans une décision du tribunal administratif de Marseille du 10 mars 2009, le juge a non seulement juger la radiation comme illégale au motif que Pôle Emploi ne pouvait pas prouver que la convocation avait bien été reçue par le demandeur. Mais il a aussi considéré la radiation comme illégale parce qu’elle était rétroactive. Or toutes les radiations de Pôle Emploi le sont. Par exemple, la radiation de Ludovic Michel ne lui a été porté à sa connaissance, par e-mail que le 8 février mais elle prenait effet à partir au 11 janvier. “Ce qui veut dire que les 420 000 à 540 000 radiations prononcées par Pôle Emploi sont potentiellement illégales”, commente le juriste de recours-radiation. Ce jugement du tribunal de Marseille nécessite d’être confirmé pour en tirer une conclusion définitive.

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Les chiffres
Des radiations stables nationalement mais en baisse dans le Rhône
Selon le directeur général de Pôle Emploi, Christian Charpy, il y a entre 35 000 à 45 000 radiations par mois. Sur le plan national, entre janvier 2009 et janvier 2010, les radiations ont augmenté de 1,6% (source : Libération). Dans le Rhône, dans le même temps, elles ont baissé de 18% passant d’environ 1 100 à 900 (source : Pôle Emploi).

Photo : Ludovic Michel, chômeur radié illégalement

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