Alors que l’entreprise a entamé une phase de renégociation de sa délégation de service public avec le département du Rhône, deux membres de la direction ont sollicité les salariés pour organiser une manifestation de soutien rémunérée à Vortex devant la préfecture afin de faire pression sur les négociations.
On ne peut pas dire que tout se passe bien chez Vortex. La semaine passée, les salariés de cette société française spécialisée dans le transport d’enfants et d’adultes en situation de handicap ont manifesté devant la préfecture du Rhône pour “alerter les pouvoirs publics sur la précarisation et l’ubérisation de leurs emplois”. Une mauvaise publicité pour Vortex, fortement critiquée partout en France, notamment à Lyon, depuis 2014 pour sa gestion du personnel. Selon la CGT, plus de 40 salariés seraient actuellement aux prud’hommes contre l’entreprise Vortex à Lyon. Le département du Rhône avait même dressé un véritable constat de fraude en 2014 avant de reconduire la DSP.
Les dirigeants demandent l’“union sacrée”
Depuis, les manifestations de salariés s’enchaînent – il y en a eu une nouvelle mercredi dernier – alors que l’entreprise est entrée en phase de renégociation avec le département du Rhône et la métropole de Lyon. Pour redorer son image, deux dirigeants ont demandé aux délégués syndicaux “une union sacrée pour sauver les marchés” dans le Rhône, lors d’une réunion informelle organisée ce mercredi dont nous nous sommes procuré l'enregistrement. Une union sacrée sous forme de “manifestation devant la préfecture” proposent-ils. La CGT a dénoncé les pratiques de la direction dans un courriel envoyé à la Direccte (direction régionale du travail), aux différentes collectivités et aux dirigeants de la société Vortex. En réaction, Vincent Dumoulin a réfuté l’ensemble de ces propos dans un autre courrier électronique : “Nous ne vous avons jamais sollicités pour organiser une quelconque manifestation ou toutes autres actions de ce type. Si l’idée d’un rassemblement a été évoquée, c’est seulement lorsque vous nous avez demandé ce que vous pouviez faire pour sauver vos emplois. Guilhem Sala, PDG de l’entreprise, s’est contenté de répondre que vous aviez bien su organiser des manifestations sur des sujets qui n’auraient pas lieu d’être, alors vous deviez donc être capables d’en organiser pour défendre vos emplois”, écrit-il. Contacté, Guilhem Sala conteste être à l’origine de la demande de manifester et indique “leur avoir seulement demandé qu’il y ait une solidarité entre employeur et syndicats”.Pourtant, durant cette réunion informelle, l’idée est venue directement de la direction. Vincent Dumoulin y explique qu’il va “contacter Mme Agarrat cet après-midi [mercredi] pour lui dire de reconsidérer sa position, notamment en mettant en avant le fait que cela va poser des problèmes sociaux. Si elle me fait une fin de non-recevoir, je pense qu’il faut que vous puissiez vous mobiliser en fonction de l’état d’esprit dans lequel vous êtes en choisissant les modalités d’action. La situation peut mobiliser. Si les gens vont perdre leur emploi, des gens vont venir”. Avant d’ajouter : “Mais il faut être clair : ne dites pas à la presse “On veut garder Vortex à condition que les conditions changent” parce que c’est illisible.”
Une manifestation rémunérée ?
Guilhem Sala, le PDG de Vortex, a aussi proposé de rémunérer les salariés qui manifesteraient, toujours lors de la réunion de mercredi. “On peut donner une heure et demie à tout le monde pour venir devant la préfecture”, a-t-il déclaré. “Dans les manifestations de routiers, il est courant que l’employeur rémunère les employés pour manifester”, se justifie-t-il. “Une manœuvre inqualifiable”, estime la déléguée syndicale CGT Maurada El Garmoul : “Ils proposent de participer à l’organisation d’une manifestation en payant royalement 1h30 de temps de travail supplémentaire aux salariés qui se mobiliseraient à leurs côtés alors que tant d’heures de travail ne leur sont pas payées chaque mois.” “Comme nous avons les véhicules à disposition, on nous enlève quinze minutes de temps de travail le matin et quinze minutes le soir”, critiquait un salarié durant la manifestation de mercredi.
Des pertes d'emplois ?
Afin de mobiliser les salariés, la direction insiste sur le fait que de nombreux emplois sont en jeu. “Pour nous, économiquement, la perte du marché déficitaire du Rhône est plutôt une bonne nouvelle ; mais, d’un point de vue social, ça va générer un bordel”, a expliqué Vincent Dumoulin, le directeur du développement et de la communication de Vortex, lors de cette réunion. Il dit avoir eu une réunion avec la vice-présidente du conseil départemental Christiane Agarrat : “On a essayé de faire comprendre à la vice-présidente qu’il y a des emplois [en jeu, NdlR]. Manifestement, ça ne les intéresse pas. On est sortis de là un peu choqués. Ce n’est pas bien embarqué.” Cette menace de pertes d’emploi paraît infondée puisqu’un accord du 7 juillet 2009 prévoit la poursuite d’emploi en cas de changement de prestataire. Sauf pour les salariés dits “sédentaires”, c’est-à-dire l’administration et les cadres de l’entreprise. Huit personnes pourraient donc en effet perdre leur emploi à Lyon. Selon Guilhem Sala, le PDG de Vortex, la casse serait plus grande : “Il y a des conditions d’ancienneté et d’affectation de circuit. Les salariés embauchés dans les derniers six mois ne sont pas concernés par l’accord de 2009 et il y a des circuits groupés entre deux collectivités. On exploite un bloc de circuits qui sont faits sur des contraintes logistiques et techniques. S’ils sont attribués à des prestataires différents, le conducteur, on ne peut pas le couper en deux, donc de fait il y aura de la casse.”
Les syndicats divisés sur la stratégie à adopter
Au sein de l’entreprise, tous les syndicats ne sont pas sur la même longueur d’onde. Pour Sandy Sève, délégué du personnel Unsa, “couler l’entreprise à Lyon n’est pas une solution”. “Je suis consciente qu’il y a des choses qui ne vont pas, d’ailleurs j’ai manifesté mercredi dernier avec la CGT. Mais je ne suis pas d’accord pour perdre les emplois et je souhaite qu’il y ait un dialogue social parce que j’ai peur que l’on perde les marchés et que l’on se retrouve sur carreau. Ce n’est pas le moment de régler nos comptes, mais de sauver des emplois parce que si l’on est repris ce sera comme au Loto, on peut être super bien repris comme super mal.” La déléguée du personnel n’est pas non plus dupe des intérêts de ses employeurs à poursuivre le contrat, mais préfère le tourner à son avantage : “Ils se servent de nous comme on se sert d’eux.” De son côté, Guilhem Sala a indiqué que “le marché est relancé et que la société Vortex ne sera pas autorisée à candidater, pour une raison inconnue”. Selon nos sources, Vortex ne serait pas écartée définitivement des négociations. Contactée, Christiane Agarrat n’a pas souhaité faire de commentaire “puisque la consultation est en cours”. Des négociations seraient aussi en cours avec la métropole.