Huit syndicats ont été condamnés pour avoir “siphonné” une bonne part du budget de fonctionnement du CER SNCF de Lyon. Le président du tribunal correctionnel n’a pas mâché ses mots, dénonçant le “pacte” illicite imposé par la CGT aux autres syndicats, et le “jeu de la barbichette” qui a mené à une condamnation tous azimuts. Points clés d’un jugement historique.
Dans son jugement rendu le 26 septembre dernier, Jean-Louis Cor, président du tribunal correctionnel de Lyon, n'est pas tendre avec les syndicats du comité d'établissement régional (CER) lyonnais de la SNCF, condamnés pour “recel de bien obtenu à l'aide d'un abus de confiance, faux et usage de faux”.
Abus de confiance
Au-delà du jugement lui-même, c'est tout le système mis en place par la CGT au sein du CER qui est dénoncé. D’abord le fameux “accord de répartition” confidentiel, élaboré dès 1995 par la toute-puissante CGT et imposé aux autres syndicats après chaque élection professionnelle. Loin d'avoir pour but d'éviter les excès, cet accord est en réalité “un pacte conclu entre organisations syndicales pour se répartir, en toute illicéité, des ressources émanant du budget de fonctionnement du CER, ressources détournées de leurs destinations normales” (1). Il n'a pour but que d'organiser le “pillage” de ce budget, ce qui justifie l'accusation d'abus de confiance.
Pression sur les autres syndicats
Une façon de détourner de l'argent, donc, mais pas seulement. Cet accord constitue aussi “un moyen de pression détenu par les organisations syndicales, et au premier chef par la CGT, pour faire perdurer un système leur permettant de se financer sur le dos de l'institution du CER”. Traduction : la CGT impose un “je te tiens, tu me tiens par la barbichette” aux autres organisations syndicales, tout en s'arrogeant, proportionnellement aux résultats des élections professionnelles, la part du lion du budget de fonctionnement.
Tous coupables
Si la CGT est la première responsable de ce système, les autres organisations syndicales (OS) ne sont pas pour autant blanchies par le président du tribunal, “étant dit que s'en serait-il trouvé une de vertueuse, rien de délictueux n'aurait été possible”. Aucun syndicat n'a en effet pris le risque de dénoncer cet accord, ni dans son principe ni même dans son existence. Et pour cause : Philippe Colin (CFDT) avouera, lors de l'audience de la fin juin, que “si nous n’avions pas accepté cet accord, les élus CFDT se seraient retrouvés sans financement du CER.” La CGT, qui règne sans partage sur les élections professionnelles, tient les rênes du CER, s'arrogeant parfois l'ensemble des postes de décision. Lui déplaire signifie courir le risque de voir les cordons de la bourse se refermer. Or, les délégations n'auraient pu survivre sans cet apport financier.
En outre, “les organisations syndicales signataires de l'accord de répartition (…) ne pouvaient que parfaitement connaître l'origine frauduleuse des sommes qu'elles percevaient ainsi par le biais des remboursements”. D'où, aussi, le caractère “confidentiel” de cet accord, élément qui a lourdement pesé lors du procès.
Faux et usage de faux
Les factures servant à justifier le remboursement de formations pour les élus du CER, lacunaires et imprécises, cachaient clairement le financement des organisations syndicales elles-mêmes. C'est pourquoi l'accusation de faux et usage de faux est retenue par le tribunal, qui estime que “ces imprécisions, ces manques, ces incohérences ne relèvent pas d'erreurs mais traduisent le simple fait que les formations en question, soit n'existaient pas, soit constituaient de pures formations syndicales, et que tout était mis en œuvre, outre l'accord liant toutes les organisations syndicales, pour rendre difficiles les actes de contrôle par une autorité compétente”.
L’image du syndicalisme ternie par les syndicats eux-mêmes
Le juge Cor désamorce au passage l'argument (souvent évoqué) selon lequel “en s'attaquant aux syndicats, on s'attaque au syndicalisme”. Ici, ce sont les OS elles-mêmes qui portent préjudice au syndicalisme. En effet, “ces agissements sont d'autant plus répréhensibles qu'ils portent atteinte (…) à l'image des syndicats eux-mêmes” et “sont de nature à laisser penser au public qu'elles [les OS] se servent au lieu de servir les travailleurs, qu'elles songent d'abord à leur propre existence”.
Difficile donc de voir dans ce jugement, à l'instar de Me Tourné (avocat de la CGT) dans les colonnes du Monde, “un mauvais coup porté contre le monde du travail : on attaque la gestion ouvrière des CE”. Dans le cas présent, les syndicalistes sont responsables de leur propre malheur.
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(1) Sauf autre précision, toutes les citations en italique sont extraites du jugement rendu le 26 septembre par le tribunal correctionnel de Lyon.
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