Le portail de leur usine, née en 1886, est béant. Des inscriptions à l'encre rouge témoignent de cinq semaines de mobilisation, qui s'achèvent brutalement. Hier, le tribunal de commerce a ordonné la liquidation judiciaire de la fonderie. En 2005, cette dernière avait risqué la faillite. Emile Di Serio, PDG de Saint Jean Industries, l'avait racheté, après l'abandon du principal donneur d'ordre: le groupe Peugeot PSA. A l'époque, 200 personnes avaient déjà été licenciées.
Aujourd'hui, les salariés sont amers. Ils ont l'impression d'avoir été lâchés une seconde fois. Salarié depuis neuf ans, Jean-Michel, qu'on surnomme ici 'le Parisien', pense qu'ils ont été bien naïfs. Le rachat en 2005 leur avait redonné de l'espoir. Mais les salariés pensent que leur site a été mal géré, cela en lien avec l'ambition de leur direction de transférer la production dans une usine croate du groupe. Laurette Joulié, secrétaire CGT du comité d'entreprise, retenant ses larmes, explique: 'Je suis écoeurée par ce qui s'est passé. On a vraiment voulu sauver notre entreprise et empêcher ces délocalisations qui sont dégueulasses. Mais on nous a menti tout le long de cette affaire, on s'est battu contre des escrocs.'
Le résultat d'un bras de fer entre grands groupes
En 2008, Renault Trucks représentait encore 50% des commandes de la fonderie. Décembre dernier, il affirme son intention de rompre le contrat qui le liait à l'usine jusqu'à la fin 2009. Cela signe l'arrêt de mort du site de Vénissieux. Principal donneur d'ordre, Renault Trucks ne cache pas sa volonté de se fournir en Inde, où les coûts de production sont beaucoup moins chers.
Indigné, André Gerin, maire communiste de Vénissieux, ne comprend pas ce jeu de dupes et s'insurge contre le plan d'aide au secteur automobile lancé par le gouvernement (7,8 milliards d'euros) qui ne profite pas, selon lui, à l'industrie nationale. Il exprime son désarroi et sa colère: 'Cette situation devient insupportable. Pour les générations futures, on se demande ce qu'on est en train de préparer. Les grands décideurs économiques sont responsables de la crise. Il faut interdire les délocalisations. Ici, on a laissé pourrir la situation, on a abandonné le site. C'était un jeu de cons entre Renault Trucks et Saint Jean Industries.' Référence aux négociations houleuses entre les deux groupes, l'an passé, pour le renouvellement de contrat. Saint Jean industrie ne voulant pas baisser ses prix, Renault Trucks a pris la décision de se détacher de son sous-traitant.
Un reclassement qui s'annonce difficile
Et maintenant, il faut penser à l'avenir, qui n'a pas l'air beaucoup plus enthousiasmant. Les yeux rougis, Jean Michel tente de garder le sourire: 'On s'entendait bien. On était comme une famille. Quitter ça, ça m'embête...' Les 108 employés de l'usine ont en moyenne 30 ans d'ancienneté. Proches de la cinquantaine, qualifiés dans un secteur très spécifique qui souffre particulièrement de la crise, ils savent qu'ils auront du mal à retrouver un emploi. Renault Trucks s'est engagé par écrit à reclasser 30 à 40 personnes en 2010. La SNCF a aussi annoncé qu'elle pourrait prendre quelques personnes. Mais rien de sûr. La désillusion a remplacé la mobilisation.
Marine Badoux
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