Une mission d’évaluation du temps de travail dans la fonction publique doit remettre ses conclusions d’ici au 1er février. Les différents rapports que nous avons consultés laissent paraître une situation nébuleuse, où subsistent des régimes dérogatoires non conformes à la réglementation.
Des fonctionnaires qui travaillent moins de 35 heures. Pas seulement un stéréotype, mais bien une réalité, souvent pointée du doigt par les instances de contrôle. La semaine dernière, la métropole de Lyon a adopté une délibération fixant la durée annuelle légale de travail à 1607 heures, soit 35 heures par semaine.
C'est la règle depuis près de quinze ans dans la fonction publique territoriale, mais de nombreux régimes dérogatoires subsistent. En l'espèce, les ex-agents du Grand Lyon travaillaient 1571 heures par an, contre 1607 heures pour les anciens agents du département du Rhône. Une situation qui sera donc aplanie au 1er janvier 2016.
Le 26 novembre dernier, la chambre régionale des comptes d'Auvergne-Rhône-Alpes établissait ce constat pour les salariés du SDIS 07, le service départemental d'incendie et de secours de l'Ardèche.
Annualisé, le temps de travail effectif des agents de ce service, qui compilent sur l'année 133 gardes de 12 heures chacune, atteint 1596 heures, un total inférieur au seuil légal de 1607 heures par an.
Mais le Sdis de l'Ardèche est loin d'être un cas isolé et nombreux sont les rapports qui ont mis cette réalité en évidence. Comme celui de la Cour des comptes, publié en septembre, qui pointe qu'au niveau national un agent de la fonction publique travaille en moyenne 1594 heures par an, contre 1684 heures dans le secteur privé. Un chiffre qui baisse encore si l'on prend en compte la seule fonction publique territoriale (1567 heures).
Des régimes dérogatoires trop avantageux
Dans cette dernière, au moment de l'instauration du cadre légal de 35 heures hebdomadaires, le 3 janvier 2001, il a été convenu que les accords négociés auparavant pourraient être maintenus, même lorsqu'ils dérogeaient à la réglementation.
Dans les faits, de nombreuses collectivités (la Cour des comptes en dénombre 1550), n'avaient pas attendu 2001 pour procéder à une réduction du temps de travail, ces régimes dérogatoires devant répondre aux réalités du terrain – travail le dimanche, travail de nuit ou en horaires décalés notamment.
Ce n'est pas tant la durée hebdomadaire qui est en cause, précise la Cour des comptes, mais plutôt l'existence de nombreuses autorisations d'absence, avec jours de récupération et jours de congé supplémentaires qui, ramenés à l'année, font baisser le temps de travail moyen des fonctionnaires.
Dans certains cas, la réduction du temps de travail s'est accompagnée de l'octroi de jours de congé justement censés compenser le maintien aux 39 heures.
Ces régimes dérogatoires concernent une majorité des agents de la fonction publique d'Etat (FPE), comme les enseignants, les militaires, les policiers ou encore les trois quarts des agents travaillant dans les ministères.
Des régimes dérogatoires nécessaires dans de nombreux cas, comme l'a rappelé le rapport Roché en 1999, pour faire face aux spécificités des trois fonctions publiques. D'après une enquête de la DARES sur les conditions de travail en 2013, 28,6 % des agents de la FPE peuvent travailler, même occasionnellement, le dimanche. Un chiffre qui monte à 30,3 % dans la FPT (territoriale) et à 64 % dans la FPH (hospitalière).
Un rapport attendu avant février
C'est loin d'être le seul enseignement du rapport Roché, dernier rapport détaillé sur le temps de travail dans la fonction publique. Il mentionnait déjà qu’“aucun travail de ce type n'a jamais été effectué depuis la Libération, dans aucune des trois fonctions publiques". Depuis, aucun bilan du passage aux 35 heures n'a été réalisé depuis quinze ans.
Ce qui a motivé le Premier ministre, Manuel Valls, sur une proposition de la ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, à confier une mission d'évaluation du temps de travail dans la fonction publique à Philippe Laurent. Le maire UDI de Sceaux doit, d'ici au 1er février, remettre son rapport et dresser un "état des lieux exhaustif non seulement de la réglementation, mais aussi des pratiques effectives concernant le temps de travail dans les services de l'Etat, dans les collectivités territoriales et dans les établissements publics hospitaliers".
À cette occasion, "des évolutions de la réglementation pourront être proposées, sans toutefois que le principe d'un temps de travail annuel de 1607 heures ne soit remis en cause".
Appliquer la réglementation pour limiter les recrutements
Dans son rapport de septembre, la Cour des comptes évoque déjà plusieurs pistes pour rationaliser la question du temps de travail dans la fonction publique, comme "l'abrogation des régimes dérogatoires de droit ou de fait qui sont non conformes à la réglementation", ajoutant qu'appliquer "strictement la réglementation permettrait de limiter les besoins en emploi", donc le surcoût pour les finances publiques.
Par ailleurs, les Sages indiquent qu'une "augmentation du travail de 1 % – ce qui correspondrait approximativement à la suppression de 2 jours de congé par an – conduirait théoriquement à l'économie d'un recrutement pour 200 agents". Soit 27 000 emplois sur l'ensemble de la fonction publique et une économie de 700 millions d'euros.
Reste à savoir si ces propositions figureront dans le rapport qui sera remis au Premier ministre par Philippe Laurent et si le Gouvernement sera prêt à ouvrir cet épineux dossier à un an des élections présidentielles.