Fidèle à lui-même, Gwenaël Morin s’empare de la pièce de Sophocle avec une vigueur qui lui redonne toutes ses couleurs. On rit, on pleure, on boit du rosé et on se goinfre de merguez. Que demander de plus ?
Le traitement auquel Gwenaël Morin soumet les pièces qu’il met en scène, on le connaît. Costumes façon troupe de MJC des années 1970, décor de carton pâte et interprétation distanciée ou, au contraire, au plus près du texte. Il y a les œuvres qui résistent à cette brutale empoignade et les autres. Antigone se situe clairement dans le premier cas. La pièce en ressort dépoussiérée, y gagnant même une force éclatante et neuve. Sans doute parce que la version de Morin parvient à passer d’un comique irrésistible à une intensité qui rend justice à la profondeur des questions philosophiques mises en exergue par le tragédien. Questions qui n’ont aucunement perdu leur acuité.
Tout commence dans une ambiance joyeuse, la fumée épaisse des grillades, les va-et-vient vers les cubis de rosé. Car l’on peut arriver une heure en avance pour partager un barbecue organisé sur le parking du théâtre du Point-du-Jour, là où ont lieu aussi les représentations. Ce n’est pas une hérésie. Il y a plus de 2 500 ans, à l’époque où fut écrite la pièce, on buvait et mangeait avant et même pendant les spectacles, qui avaient toujours lieu en plein air. En tout cas, c’est parfaitement accordé à l’entame du spectacle. On y retrouve les héros de Sophocle mais selon une vision résolument comique. Les femmes sont jouées par des hommes, les hommes par des femmes. Ils sont costumés de façon grotesque et se tordent dans des postures outrées. Outrance que l’on retrouve dans les voix : suraiguës pour les femmes et martiales pour les hommes.
Rarement la tragédie antique n’aura atteint cette puissance comique. Ainsi Ismène est-elle interprétée par Renaud Béchet, qui minaude dans une petite robe jaune laissant voir son poitrail velu. Tandis qu’Antigone (Julian Eggerickx) s’arrache la perruque en montrant ses seins (ou plutôt ce qui en tient lieu : des mamelons entourés d’un trait rouge). Le chœur, constitué d’un mélange hétéroclite de comédiens professionnels et d’habitants du quartier, s’agite en psalmodiant les répliques de Sophocle comme s’il s’agissait de mantras. C’est bien, c’est drôle mais on craint alors que l’intensité de la tragédie ne passe à la trappe.
Que nenni ! Insensiblement, les personnages sont rattrapés par leur destin douloureux. Le thème du pouvoir, de son aveuglement, reprend le pas. Notamment grâce à la figure de Créon, magistralement interprété par Virginie Colemyn, poussant les siens à la violence et à la mort. Les mots résonnent alors dans le crépuscule. Comme si les rires avaient fait place nette à la force toujours vibrante de la pensée de Sophocle.
Antigone d’après Antigone. Jusqu’au 27 juillet, sur le parking du théâtre du Point-du-Jour. 7 rue des Aqueducs (Lyon 5e).