Mystique et secret, l’artiste américain Joseph Cornell, pionnier de l’assemblage, est l’auteur d’une œuvre immense et pourtant méconnue en France. Le musée des Beaux-Arts de Lyon l’expose jusqu’au 10 février.
Durant la vague orientaliste du XIXe siècle, nombreux furent les artistes à peindre l’Orient sans jamais quitter leur pays, fantasmant pour le pire et le meilleur un ailleurs exotique depuis leur atelier. L’artiste américain Joseph Cornell (1903-1972) ne sera jamais allé plus loin que les tours de Manhattan, et pourtant n’aura cessé de voyager dans la lointaine Europe. Son moyen de transport : la boîte.
Autodidacte, Joseph Cornell débuta le collage et l’assemblage d’images et d’objets dans les années 1930 ; il fut rapidement qualifié d’“artiste surréaliste” et exposé aux côtés d’artistes européens. Reconnaissant ce qu’il devait à ce mouvement, Cornell ne supportait cependant pas d’y être affilié. C’est néanmoins dans ce contexte que l’exposition du musée des Beaux-Arts de Lyon le replace, confrontant des pièces majeures de son œuvre aux figures emblématiques du surréalisme telles que Dalí, Man Ray, Marcel Duchamp ou encore Max Ernst.
Surréaliste or not ?
Le travail de Joseph Cornell relève clairement du surréalisme. D’une part, par sa pratique intense du collage, largement influencée par Max Ernst. Le collage est chez Cornell le prolongement d’une collectionnite aiguë. À la manière d’un archiviste, Cornell a durant des décennies collecté et accumulé, au gré de ses flâneries dans les marchés aux puces et les bazars new-yorkais, des images en tous genres : vieux livres, magazines, gravures, illustrations de contes pour enfants, cartes postales, coupures de journaux, etc. Les sujets sont extrêmement variés et l’artiste use aussi bien d’imprimés de danseuses ou d’actrices hollywoodiennes que de sujets picturaux ou encore de cartes géographiques.
D’autre part, dans le rapport de Cornell aux objets : jouets cassés, rebuts de la société, objets du quotidien comme la pipe, le verre ou l’œuf (vocabulaire que l’on retrouve dans les peintures de Magritte, ou chez Dalí avec ses montres ou ses téléphones). Les boxes qu’il fabrique lui-même deviennent le lieu de rencontres improbables entre images et objets dans des compositions hétéroclites, invitant aux associations libres, typiques du surréalisme. Pionnier de l’assemblage, Cornell se distingue par des constructions à cases, ménageant des cadres dans le cadre qui structurent le récit imaginaire. Intemporelles et nostalgiques à la fois, ces pharmacies, minimusées ou petits intérieurs précieux présentent les reliques d’un siècle qui a disparu, multiplient les références à la culture européenne (son histoire, ses grands maîtres, son art de vivre) et parlent du temps qui passe par métaphores (le bois séché, le sable, les oiseaux empaillés), tout en leur redonnant une dynamique d’ensemble remarquable.
Échos contemporains
Si son appartenance au surréalisme ne fait aucun doute dans la juxtaposition poétique des images et des objets, le travail de Cornell frappe également par sa contemporanéité. Ses œuvres tridimensionnelles sont proches de certaines installations formalistes, jouant sur les rapports purement chromatiques entre les objets, la plasticité des matériaux, et flirte parfois avec l’abstraction.
Les boxes font également écho au revival des cabinets de curiosités, des accumulations de petits objets sculpturaux qui se sont multipliés ces dernières années dans l’art contemporain. Son travail cinématographique se montre tout aussi contemporain, l’artiste américain étant le premier à avoir fabriqué un film (Rose Hobart) entièrement à partir d’éléments filmiques préexistants, bien avant les adeptes du found footage que furent Jean-Luc Godard ou Chris Marker. Absent des cimaises muséales depuis plus de trente ans, le travail plastique et cinématographique de Joseph Cornell, sans doute le plus contemporain des surréalistes, est à découvrir absolument.
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Joseph Cornell et les surréalistes à New York : Dalí, Duchamp, Ernst, Man Ray... Du 18 octobre au 10 février 2014, au musée des Beaux-Arts, place des Terreaux, Lyon 2e.
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Cet article est paru dans Lyon Capitale n°726 (oct. 2013).
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