“Travailleurs du spectacle en danger”, “Les Nuits en lutte”. Les banderoles accolées aux grilles du théâtre antique parlent d’elles-mêmes. Les 300 intermittents qui travaillent sur les lieux ont décidé de montrer leur colère. En cause : la réforme de leur assurance chômage.
Depuis l’ouverture des Nuits de Fourvière, le 3 juin, les intermittents prennent la parole avant chaque concert, pour informer le public de leur situation. Mercredi 11 juin, ils étaient ainsi 40 à monter sur scène auprès de Bernard Lavilliers et de son équipe.
Au même moment, environ 150 personnes manifestaient devant les grilles du théâtre antique. Initiée par le Collectif unitaire 69 – un groupement qui représente l’ensemble des travailleurs précaires du Rhône –, la manifestation avait un objectif : interpeller les spectateurs.
Une croix blanche scotchée sur leur T-shirt noir, les 300 intermittents participant aux Nuits de Fourvière veulent montrer qu’ils continuent de travailler, préoccupés. Mais par quoi, exactement ?
Une réforme pour pallier le déficit de l’Unédic
Le 22 mars dernier, le patronat et trois syndicats (CFDT, FO, CFTC) ont signé un accord visant à réformer le système d’assurance chômage de l’Unédic. L’organisme doit faire face à un déficit cumulé de 17,8 milliards d’euros (fin 2013). En cause notamment, la mauvaise situation économique et le nombre de chômeurs élevé.
L’accord du 22 mars modifie en partie le mode d’indemnisation chômage spécifique aux intermittents du spectacle. Pour rappel : ces derniers, dont l’activité est soumise au calendrier des événements culturels, sont considérés comme des travailleurs précaires.
Très souvent confrontés à des contrats de travail courts, ils bénéficient d’une couverture sociale particulière (annexes 8 et 10 de l’Unédic). Afin de percevoir une assurance chômage, ils doivent cotiser un minimum de 507 heures en dix mois.
Hausse des cotisations et différé
La nouvelle convention, qui doit être signée par le ministre du Travail, François Rebsamen, mercredi 18 juin, prévoit une augmentation des cotisations salariales et patronales de 10,8 % à 12,8 %.
Elle prévoit également que le différé (délai imposé, entre la perception du dernier salaire et la première indemnisation chômage, à toute personne rémunérée au-dessus de 1,68 fois le smic) affecte 48 % des allocataires du chômage, contre 9 % auparavant. En d’autres termes, presque la moitié des intermittents qui bénéficient d’une indemnisation chômage devront attendre plus longtemps avant de percevoir cette dernière.
Une réforme qui “nivelle par le bas”
Pour Thibaud Piégay, technicien de plateau pour les Nuits de Fourvière, "la réforme nivelle par le bas" et met en danger la protection sociale des intermittents. Il dénonce un accord qui fragiliserait les travailleurs les plus précaires.
Yvan Perrier, l’un de ses collègues, explique aussi : "C’est injuste. Nous sommes montrés du doigt comme si nous étions les responsables du déficit de l’Unédic, alors que les intermittents ne représentent que 3,5 % des allocataires et 3,5 % des dépenses".À titre indicatif, les intermittents indemnisés par l’allocation chômage sont 110 000 environ et représentent, dans leur ensemble, moins de 1 % des salariés.
Les travailleurs du spectacle voient en l’accord du 22 mars une marche arrière du Gouvernement. Ils accusent le ministre du Travail, François Rebsamen, de ne pas tenir ses engagements : ce dernier, avant d’être nommé au gouvernement, avait signé une tribune du comité de suivi de la réforme de l’assurance chômage, créé en 2003 pour faire des propositions sur le régime des intermittents. Ces propositions n’ont finalement pas été entendues.
Une grève aux Nuits de Fourvière ?
Alors, faut-il craindre une grève prochainement aux Nuits de Fourvière ? Concerts et spectacles risquent-ils d’être annulés ? La question mérite d’être posée alors que le 28e Printemps des comédiens de Montpellier ou le festival Rio Loco à Toulouse ont été très perturbés par des grèves.
Pour l’instant, il semble qu'à Lyon l’heure soit à la coopération plutôt qu’à la grève. Depuis le début du festival, la direction des Nuits de Fourvière a apporté son soutien aux 300 intermittents. Tous ont visiblement à cœur de mener à bien le festival.
Thibaut Piégay rassure ainsi : "Pour l’instant, nous avons décidé de ne pas faire grève, et de mener plutôt de petites opérations de sensibilisation. L’idée n’est pas de couler un festival. On essaye de travailler en commun avec la direction, et c’est important pour nous d’être soutenus par cette dernière."
Les intermittents n’écartent toutefois pas la possibilité de changer de cap : "Pour nous, provoquer l’annulation d’un spectacle serait contre nature. Si l’on doit décider d’une grève, ça sera la mort dans l’âme. Mais on se garde la possibilité de le faire." Tout dépendra des rapports de force, et de la signature de l’accord par le ministre du Travail, prévue le 18 juin prochain.
Merci les intermittents !