“Véritable joyau” pour les uns, “collection inestimable” pour les autres, le musée des Tissus est toujours dans l’impasse. À grand renfort d’annonces fracassantes, de faux-semblants et d’attentisme, l’État, la Ville de Lyon et le conseil régional n’ont toujours pas dégagé de solution pérenne pour sauver le musée abandonné par la CCI. Une crise aggravée par l’absence de Gérard Collomb à la dernière réunion de sauvetage à la préfecture.
L’article ci-dessous est extrait du dossier “Politique culturelle : la grande remise à plat” de notre mensuel de novembre (Lyon Capitale n°760)
Les communiqués de presse affluent en ce 5 juillet 2016. L’État, la Ville et le conseil régional annoncent en grande pompe un sauvetage du musée des Tissus. Près de quatre mois plus tard, les doutes sont plus forts que jamais et l’urgence n’est pas moins grande. À la fin de l’année 2016, la CCI ne financera plus le musée. Une association devra prendre le relais, laquelle n’est toujours pas créée. En catastrophe, après le coup de gueule du président de la CCI, Emmanuel Imberton – “S’il faut le fermer, on le fermera” –, l’État annonce le 7 octobre une subvention de 300 000 euros par an pendant trois ans, à condition que “la Ville de Lyon et la Région” s’engagent à mettre autant sur la table.
Ces deux collectivités territoriales sont d’accord sur un point : pas question de participer aux frais de fonctionnement du musée. “Nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui d’assurer cette manœuvre et la Ville ne se sent pas responsable de ce musée, même si nous sommes très attachés à ce qu’il persiste”, explique Georges Képénékian, l’adjoint à la culture de Gérard Collomb. Du côté du conseil régional, même chose : “Pour les 300 000 euros, c’est non. Nous avons toujours dit que sur le fonctionnement nous serions réticents”, renchérit Florence Verney-Carron, la vice-présidente à la culture.
“Wauquiez piège Collomb, car l’effet d’annonce est énorme”
Chaque année, le musée a besoin de près de 1,7 million d’euros pour fonctionner et les 300 000 euros proposés par l’État, mais refusés par la Ville et la Région, ne changeront pas la donne. “Ça ne suffirait pas. Il y a un déficit de fonctionnement courant. On ne peut pas prendre des décisions seulement pour boucher un trou”, déclare Étienne Blanc, le vice-président aux finances du conseil régional.
Le 7 octobre encore, prenant tout le monde de court, Laurent Wauquiez propose une subvention de 5 millions d’euros en investissement : la solution la plus forte proposée jusqu’ici. “Il piège Collomb, car l’effet d’annonce est énorme”, analyse une source proche du dossier. Les propos du conseiller municipal LR Emmanuel Hamelin confirment l’hypothèse : “La Région a pris ses responsabilités, l’État aussi, nous attendons que la Ville et la métropole prennent les leurs, comme s’y était engagé Gérard Collomb.” La ville semble tout de même accueillir favorablement l’annonce des 5 millions. “Gérard Collomb a salué l’arrivée volontariste de la Région ; certes, pour de l’investissement, mais pourquoi pas ? C’est toujours à prendre”, estime Georges Képénékian, l’adjoint à la culture.
“Wauquiez répond à côté du problème”
Laurent Wauquiez n’hésite pas non plus à forcer la main de l’État, comme le montre la lettre qu’il a envoyée à la ministre de la Culture, Audrey Azoulay, le 8 octobre : “Il est indispensable, pour construire un projet qui s’inscrive dans la durée, que votre ministère prenne ses responsabilités et s’implique à son tour”, y est-il écrit.
Pour Florence Verney-Carron, l’annonce n’est pas un piège, mais “une nécessité” : “Laurent Wauquiez est convaincu de l’importance de ce musée. Les bâtiments ne sont pas en bon état. Les choses ne peuvent pas rester comme ça. Nous sommes des acteurs moteurs dans ce dossier. Nous tenons absolument à être force de proposition et ces 5 millions pourront servir à passer l’échéance pour travailler à la préfiguration du musée”, développe-t-elle. “L’investissement, c’est du one shot, tandis que le budget de fonctionnement nécessite de s’engager. C’est malin, mais Wauquiez répond à côté du problème”, rétorque un acteur de la culture régionale.
La solution mécénat
Avec 5 millions d’investissement sur la table et aucune proposition pour le fonctionnement, quel avenir et quelles solutions dégager pour le musée et ses 2 millions de pièces de collection ? “Il faut réfléchir à comment développer un projet qui saurait accompagner des acteurs publics. Comment mettre en valeur les collections, avec un projet structurant plus porteur ? Le meilleur moyen de sortir de ce dossier, c’est d’avoir un projet qui ne soit pas qu’une simple analyse financière”, répond Étienne Blanc.
Dans l’urgence, chacun cherche des partenaires de son côté. Laurent Wauquiez a rencontré les équipes du musée du Louvre en septembre. Gérard Collomb cherche des partenariats avec le Japon ou encore la Chine dans le cadre de la “nouvelle route de la Soie” en collaboration avec le National Silk Museum d’Hangzhou. “La seule vraie voie”, selon Georges Képénékian.
Un musée “tante Jacqueline”
Rien de satisfaisant pour Denis Trouxe, l’ancien adjoint à la culture de Raymond Barre : “Aujourd’hui, les collectivités veulent des “mécènes”. Mais c’est un mot vide de sens. Si on n’en a pas trouvé jusqu’à présent c’est qu’il y a une raison. Ou alors les choses sont mal présentées. Tout le monde dit que les collections sont exceptionnelles. Alors il faut faire du marketing pour les mettre en valeur et les faire voyager.”
À deux mois de l’échéance, puisque personne ne veut financer sur le long terme, chacun avance de son côté et tout le monde se renvoie la patate chaude. “Le musée des Tissus, c’est un peu la tante Jacqueline. Tout le monde la trouve sympa, mais personne ne va la voir”, ironise Romain Blachier, adjoint à la culture dans le 7e arrondissement. Une façon de faire bien lyonnaise, conclut Denis Trouxe : “Dans notre ville, on met un siècle en général pour valoriser ce que l’on a bien su faire ou ce que l’on continue à bien faire. Ça a été le cas pour le cinéma et pour la cuisine. On a mis du temps à créer l’institut Lumière ou à reconnaître ce qu’a fait Paul Bocuse.” Pas sûr que le musée des Tissus résiste aussi longtemps.