Loïc Merle
© Tim Douet

Loïc Merle : “Je voulais écrire sur la foule”

Loïc Merle a publié à la rentrée 2013 son premier roman, L’Esprit de l’ivresse. Son point de départ : les émeutes de 2005. Entretien.

Lyon Capitale : En lisant votre roman, on pense immédiatement aux émeutes de 2005. Votre expérience de professeur en banlieue parisienne est-elle à l’origine de ce premier roman ? Et comment passe-t-on d’une expérience à un roman ?

Loïc Merle : J’ai enseigné en banlieue parisienne, dans un quartier au nord de la ville d’Argenteuil, de 2004 à 2006, et pendant les événements de 2005 j’ai pu voir de près ce qu’il se passait. Puis, l’année scolaire s’est poursuivie et j’ai remarqué qu’un silence s’était imposé, que personne n’avait rien dit de ces émeutes : les médias en avaient mal parlé, ça avait été exploité politiquement et les élèves n’en parlaient plus. Comme si la question avait été réglée.
Au début, je ne pensais pas écrire sur ce sujet-là, puis j’ai arrêté l’enseignement et je suis parti en Allemagne. Dès que j’ai été à l’étranger, j’ai commencé à écrire. Il m’a fallu de la distance géographique, mais aussi du temps, puisque j’ai mis six ans à écrire ce roman. Le cœur de mon projet était de mettre à distance les choses, je ne voulais pas faire une étude sociologique ou un roman réaliste.

Vos personnages ne sont pas menés par de grandes idées politiques mais davantage par la contingence des événements.

En effet, ça ne m’intéressait pas de faire une histoire de grands événements et de grands hommes, mais je voulais que mes personnages soient confrontés à l’histoire – tout ce qu’ils peuvent faire aura des répercussions importantes –, car je pense que c’est souvent le cas des personnes qui sont dans ces situations de révolution. Ma formation d’historien m’a appris que beaucoup de choses arrivent par accident et que la volonté n’y a pas forcément une très grande part.

Quelle idée vous faites-vous de l’écrivain et de son rôle dans la société ?

Le roman appartient au public et je n’ai pas à lui dire ce qu’il doit y voir ; la leçon du livre, s’il y en a une, ce n’est pas à moi de la donner. Mais j’ai eu la volonté de faire un roman existentiel, de toucher au cœur de ce qui pourrait déclencher un changement. J’ai aussi écrit pour comprendre les choses car, en 2005, j’ai lu très peu de choses qui m’auraient permis de comprendre les émeutes.
En tant que romancier, mon acte citoyen a aussi été de dire ce que je pouvais en penser. J’ai eu le souci, dans ce roman, de décrire la foule, ceux qui la forment et qui se découvrent ensemble. C’est peut-être là que le roman est indirectement politique, sur la question collective, ce que l’on peut en faire. Je voulais écrire sur la foule car, dans le roman français, c’est quelque chose qui est évacué, et il me semble qu’on ne peut pas indéfiniment déléguer la moindre parcelle de pouvoir. Et l’individualisme forcené mène à ça, au fait qu’on ne prend plus en charge des événements dont on ne veut pas entendre parler. Écrire un roman a été ma manière de prendre en charge cela.

La révolution est la matière de votre roman, mais il n’y a ni exaltation autour de cette idée ni condamnation.

Il y a une grande hypocrisie à dire que les révolutions ne servent à rien, mais il y a aussi une hypocrisie à dire qu’elles sont souhaitables car, généralement, elles tournent mal. La révolution est une tragédie, et la plupart du temps c’est une tragédie nécessaire, comme dans mon roman où les personnages peuvent aimer ou pas le fait d’être en révolution – eux n’ont pas de recul là-dessus, ils le vivent sans avoir le choix. Et il y aurait beaucoup de changements à faire dans notre société pour que ça aille mieux, mais rien n’a l’air possible, tout a l’air bloqué. Et ce n’est pas normal, parce que nous sommes dans une démocratie.
Les émeutes devraient moins nous faire peur que nous dire qu’il se passe quelque chose qu’il faut prendre en compte. Ce ne sont pas les premières émeutes que l’on connaît dans l’histoire, et les moments de l’histoire où les émeutes urbaines se multiplient, ce sont des moments en général où il y a un problème.

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Cet article est paru dans le cahier Culture de Lyon Capitale 726 (octobre 2013). Nous le publions ici à l’occasion de la venue de Loïc Merle à la Fête du livre de Bron 2014.

Lire aussi : la critique du roman “L’Esprit de l’ivresse” parue dans Lyon Capitale.

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