Reconstitution réussie de film muet avec un Dujardin cabot comme un bichon, The Artist de Michel Hazanavicius peine pourtant à dépasser son statut de curiosité fétichiste pour être ce qu'il devrait et voudrait être : un pur moment d'entertainment.
Les musées c'est sympa et on y apprend plein de choses. Mais une fois qu'on y a reconnu deux trois œuvres bien connues, celles pour lesquelles on s'était déplacé ("ils sont où Les Tournesols ?"), et passé un moment à piétiner dans la place, on a mal en jambes, on commence à s'ennuyer ferme. C'est bien connu le meilleur endroit dans un musée c'est, outre les petits bancs qu'on trouve au milieu des salles, la boutique.
C'est un peu de cette manière que fonctionne, The Artist de Michel Hazanavicius. C'est un film musée, et ce qu'il a à nous offrir de meilleur c'est ce qu'il a à nous vendre : un projet, une idée, une reconstitution non seulement de film muet mais aussi du Hollywood de la fin des années 20. Avec clins d'œil à l'avenant à quelques unes des grandes œuvres du cinéma (on peut jouer avec son copain cinéphile, si on en a un, à celui qui en trouvera le plus). C'est bien fait, superbement reconstitué mais au bout d'un moment, comme au musée on s'ennuie un peu et on a mal aux jambes (parce que dans un ciné aussi on a toujours mal aux jambes, rapport à l'espacement entre les sièges qui a été pensé pour une espèce humaine dépourvue de tibias).
La classe américaine
Michel Hazanavicius n'est pas le premier à réaliser ce vieux fantasme de produire de nos jours un film muet (Mel Brooks entre autres, l'avait déjà fait). Mais à l'heure de la 3D et du Dolby Surround, du THX et autres Viagra cinématographiques, c'est quand même un sacré pari qu'on lui sait gré d'avoir pu ne serait ce que mettre en branle. Fort heureusement, avec l'incontournable Thomas Langmann (l'homme qui a produit La Nouvelle Guerre des Boutons) il n'est point de projet qui ne soit réalisable (visible c'est autre chose, mais c'est un autre débat).
En franchissant cet obstacle, imposer un film muet donc, le producteur et le réalisateur, bien finauds, en contournent même un autre, de taille celui de réaliser un film hollywoodien français, allant même jusqu'à obliger les spectateurs américains à lire les sous-titres (ce dont ils ont une sainte horreur) de dialogues muets en plus. On sait qu'en plus dans l'exercice de style Hazanavicius est plutôt un as, un pasticheur de génie. Votre copain cinéphile a forcément vu La Classe américaine dans lequel Haza détournait (en un prodigieux montage scénarisé) tout le catalogue de la Warner pour en faire un film original, une sorte de parodie de Citizen Kane, avec plusieurs John Wayne de plein de films dans le rôle du héros, George Abitbol (un truc de pur génie longtemps laissé au placard pour des histoires de droit. Et puis il y a les OSS 117, petites merveilles de comédies de la reconstitution d'époque.
"Ça ne marchera jamais"
La bonne idée de The Artist (qui n'est donc pas celle de faire un film muet, non, il y en a une deuxième), c'est de faire coïncider le film avec la période de transition du muet au parlant. Rappelant au passage que peu de monde croyait en cette nouvelle manière de faire du cinéma et que maintes carrières de stars hollywoodiennes furent brisées par cette innovation. L'occasion pour Hazanavicius de jouer avec le concept de son mais aussi de retourner comme un gant, en un drôle d'effet miroir, la réponse qu'on a dû lui faire quand il s'est pointé avec sous le bras son projet de film muet : "du cinéma parlant, quelle idée, ça ne marchera jamais ah ah ah !", c'est exactement ce que dit (mais avec les sourcils, muet oblige) George Valentin (Jean Dujardin, Prix d'interprétation à Cannes, qui se régale à faire son Douglas Fairbanks) quand on lui annonce qu'il va devoir se mettre à parler.
Or lui ne voit pas pourquoi : il est une star du muet sans avoir à l'ouvrir. Il refuse, sa carrière s'effondre, il se cauchemarde dans un monde où tout est bruyant sauf lui (chouette scène), il boit, il s'enferme chez lui, il reboit en plus c'est la crise de 29, décidément c'est pas de veine, il est obligé de vendre ses meubles, bref ça va moyen, Valentin souffre en silence (forcément). Et pendant ce temps la sémillante Peppy Miller (Bérénice Béjo, à qui il ne manque que la parole) dont il est vaguement amoureux mais vachement jaloux passe du statut d'actrice débutante à celui de gloire mondiale.
Sans voix
Destins croisés et chassés croisés (le film se déroule sur plusieurs années) entre deux comédiens qui s'aiment en secret, c'est la partie du film où l'on s'ennuie encore plus. Elle, Peppy, va tout faire pour le remettre en selle, mais oui mais lui il est trop fier, bref ça n'en finit plus, et à la fin, comme Valentin ne sait pas parler mais danser, ça oui, ils imitent Fred Astaire et Ginger Rogers mais mal (au point que c'en est gênant). Ça dégourdit les jambes de tout le monde.
Il y a donc deux The Artist qui malheureusement peinent à danser en cadence, à l'image des comédiens du film : le projet fou, le pastiche réussi (le film est vraiment construit à la manière d'un film muet avec ses ellipses béantes), l'objet fétiche dont on ne peut que louer la beauté plastique et le tour de force technique. Et le film lui même qui, pris intrinsèquement, peine à dépasser son statut de bel objet théorique pour nous emporter tout à fait. Et nous sortir de l'impression, comme l'indique le tout dernier plan du film en un travelling arrière, qu'on est en train de regarder un réalisateur qui lui-même se regarde en train de réaliser un film muet. Typiquement, The Artist est à classer dans la catégorie de ces films qui laissent un peu sans voix. Et donc sans opinion.