Paul Bocuse : c'est qui le patron ?

Il n'y a pas plus mythique que Bocuse. Bon an mal an, 45 000 fidèles viennent chez lui en pèlerinage gourmand. Au bord de "sa" Saône, à laquelle la famille voue une sorte de vénération, L'Auberge du Pont de Collonges est le temple de la grande cuisine française. Un monument sensoriel mémoriel, un sanctuaire où l'on célèbre le culte du plus grand chef de l'Histoire. Cassolette de homard sur la fricassée de volaille, en 2015, Paul Bocuse fêta ses 50 ans de trois étoiles Michelin. Inégalé. Extrait du livre édité par Lyon Capitale "Les Tables mythiques de Lyon".

Paul Bocuse (Meilleur Ouvrier de France 1961) compte déjà quatre MOF. En 2015, c'est le second de cuisine, Olivier Couvin, qui tentera de décrocher le 5e.

©Tim Douet

Périlleux exercice que d'écrire sur Dieu le Père - tant est qu'on affectionne la maison. Les mots surgissent comme l'appétit vient : tous azimuts. Mythe. Soupe VGE. Beurre. Crème. Académique. Simplicité. Désuet. Patriotard. Chapiteau. Spectacle. Inimitable.

Bocuse, c'est un mélange de tout ça. C'est Mona Lisa, la Tour Eiffel et la statue de la Liberté d'un seul tenant. L'impression qu'il a toujours été là. Tout le monde reste baba. Et à l'apparition du chef des chefs, de la rock star Bocuse, du pape Paul, le temps s'arrête. Le visiteur est pris d'un léger vertige. C'est la figure du Commandeur, tout droit sorti d'un livre d'histoire, avec son immense toque, sa veste et son tablier de cuisinier immaculés et impeccables, son liserai bleu blanc rouge au col. Monumental, le mot est lâché. Le saint patron des cuisiniers – à tout le moins plus grand de sa génération – fait son tour de piste, rituel immuable. Il pose volontiers à chacune des tables, devant des convives fébriles et littéralement interdits. Assénant au passage l'un de ces bons mots dont il a le secret, héritage en ligne directe de son "pygmalion" Fernand Point. Le fétichisme est tel que d'aucuns veulent immortaliser le "héros" (pour citer le chef lyonno-new-yorkais multi étoilé Daniel Boulud). Bocuse a tout prévu : les maîtres d'hôtel sont armés d'appareils photo numériques. Et zou ! À la fin du repas, chaque hôte repart avec un tirage couleur (autographe du boss en prime).

Le pinacle de la cuisine française

Paul Bocuse ()

Tim Douet

Bocuse, c'est le sommet. Celui de la grande cuisine française. À la Escoffier. Une cuisine saucière, cocardière et parfaitement codée. "Avec des os et des arêtes" embellit-il. Ce qu'on mange chez Bocuse ce sont les mêmes plats qu'on a envie de manger tous les jours - "quand on met la cocotte sur la table et qu'on se sert deux fois". La soupe aux truffes noires VGE (qui n'a pas quitté la carte depuis 1975) ? Irrésistiblement datée avec ses carottes, ses oignons, son céleri, ses champignons et son paleron de bœuf en petits dés, ses morceaux de foie gras et ses tranches fines de truffes ; le tout coiffée d'un feuilletage, telle une bourgeoise perruquée de faux fruits et de fleurs. À l'Élysée, voyant Valéry Giscard d'Estaing ne sachant pas par quel bout s'y prendre pour attaquer, Paul Bocuse, fraîchement épinglé de la Légion d'honneur, lui lança : "Cassez la croûte, monsieur le président !".

Bocuse, c'est la volaille de Bresse en vessie "Mère Fillioux", préparée devant vous avec une aisance hors pair par le maître d'hôtel qui développe tout son art. Ce sont les filets de sole aux nouilles « Fernand Point », le pigeon entier rôti à la broche, le loup en croûte feuilletée, sauce choron, le gratin d'écrevisses. Chez Bocuse, on se nourrit d'histoire avec un grand "H".

Les beaux-arts de la gastronomie

Paul Bocuse © Jean-François Mallet

© Jean-François Mallet
Paul Bocuse.

Bocuse est devenu un nom tellement et universellement connu que Walter Scheel, président de la République fédérale d'Allemagne, s'était époumoné, en son temps : "Lyon ? Ah, la ville à côté de Bocuse !". Mieux : perdu au fin fond de la brousse sénégalaise, Hamadou, un cuisinier local, a même ouvert un restaurant sous l'enseigne Bocuse ("Votre nom nous apporte beaucoup de clients" a-t-il précisé dans une lettre adressée à « monsieur Paul »).

Collonges, c'est un conservatoire de la mémoire française, une pinacothèque du goût, les beaux-arts de la cuisine tricolore.

Pourtant, étrangement, rien n'est plus vivant qu'à Collonges. De loin, L'Auberge fait figure de parc d'attractions, avec sa façade bariolée, explosive, et ses pièces montées néo-classiques façon Antonin Carême. Une sorte de Las Vegas féérique en bord de Saône.

Si Bocuse semble si obsédé par la notoriété - certains esprits chagrins lui reprochant son omniprésence, voire sa mégalomonie, affichée jusque dans les moindres détails -, c'est pour se venger d'avoir été interdit d'utiliser son nom pendant des décennies. Alors on "bouffe" du portrait de Bocuse à toutes les sauces (Hucleux, Muhl, Couty, de face, de profil, sculpté dans le bronze, photographié en pied...).

C'est dans ce mini-musée, miroir des bonnes maisons bourgeoises d'antan, et qui balance une cuisine désarmante d'émotion, que vous aurez rendez-vous avec l'impalpable et l'universel. "Les os et les arêtes"...

Lire aussi: Les chefs effondrés après le décès de Paul Bocuse

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