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Louis Guillaud, dit Loulou la Carpe – Dessin extrait de la BD “Le Gang des Lyonnais et autres vraies histoires lyonnaises” © David Mohamed

Loulou la Carpe, le truand lyonnais qui parle d’outre-tombe

Lors du procès des assassins présumés d’un indicateur de police, mardi 14 janvier, la cour d’assises de Paris a passé au crible la vie de “Loulou la Carpe”, une légende du banditisme lyonnais qui a préféré se suicider plutôt que de retourner en prison.

Louis Guillaud dit Loulou la Carpe, dessin extrait de la BD “Le Gang des Lyonnais et autres vraies histoires lyonnaises” © David Mohamed

Louis Guillaud dit Loulou la Carpe, dessin extrait de la BD “Le Gang des Lyonnais et autres vraies histoires lyonnaises” © David Mohamed

Au policier de garde à vue qui l’exhorte à en dire un peu plus, le voyou de 78 ans répond par la négative : “Il ne faut pas aller trop loin dans les aveux…” Ce mardi 14 janvier, la lecture des procès-verbaux d’audition de Louis Guillaud, surnommé “Loulou la Carpe” parce qu’il ne balançait jamais ses complices, a confirmé sa réputation : même quand, pour la première et la dernière fois de sa carrière criminelle, le truand lyonnais se met à table, c’est à demi-mots et sans dire toute la vérité.

Le septuagénaire avait été entendu en 2008 dans l’enquête sur l’assassinat de Thierry Saman, un indicateur de police qui avait balancé au début des années 2000 le gratin du grand banditisme français. Onze ans après les faits, la cour d’appel de Paris juge durant tout le mois de janvier ses assassins présumés. À l’exception de Louis Guillaud qui, face à la perspective de finir ses jours en prison, a préféré se suicider. À défaut de voir et entendre la Carpe sur le banc des accusés, il a fallu se contenter ce mardi de la lecture de ses auditions et des témoignages de ses proches. Cela a toutefois suffi pour brosser un portrait en clair-obscur d’une légende de la voyoucratie lyonnaise, figure parfois attachante, souvent violente, toujours tragique. Et mettre en lumière les contradictions sur le rôle qu’il a pu jouer dans l’assassinat de Thierry Saman.

Un “tonton” disparaît

Tout démarre lorsque ce gardien d’immeuble parisien disparaît, le 15 janvier 2003. Sa famille s’inquiète, les flics aussi. C’est que Saman est un “tonton” de premier ordre. Au palmarès de l’indic, des braqueurs comme Antonio Ferrara et la Dream Team, ainsi que les complices de la tentative d’évasion par hélicoptère du détenu Christophe Khider. Et cela se sait un peu trop. Une rumeur court : le Milieu aurait éliminé la balance. En 2005, un tuyau désigne Louis Guillaud comme ayant servi à attirer le gardien d’immeuble dans un piège. “Thierry admirait beaucoup Loulou, qu’il appelait le Vieux. Il en parlait toujours de manière affectueuse”, explique à la barre le policier qui avait recruté Saman comme indic.

Entendu par les enquêteurs, Louis Guillaud avoue son rôle, qui se serait limité à servir d’appât pour “corriger” “un indicateur de police notoire”. Il n’était absolument pas au courant, d’après ses dires, que ses complices avaient prévu d’assassiner la balance. Des propos qui contrastent avec le témoignage d’Arlette, son épouse, à qui Loulou avait confié qu’il avait voulu lui aussi tirer sur Saman mais que son arme s’était enrayée…

Plus de 32 ans de prison

Quoi qu’il en soit, lorsque son avocat lui annonce fin 2008 que, après cinq ans de recherche, les policiers ont trouvé le corps de Saman dans une grotte dans l’Oise, et que lui, Guillaud, est attendu dans le bureau du juge d’instruction le 26 décembre suivant pour une mise en examen et une probable incarcération, la Carpe accuse le coup. Après le repas de Noël, il envoie sa femme et sa fille lui chercher des médicaments et en profite pour tuer de deux balles dans la nuque son gendre qui, à ses yeux, se comportait mal avec sa fille handicapée. Puis Guillaud retourne l’arme contre lui-même, échappant une fois pour toutes à la justice. Conclusion d’une vie pleine de bruit et de fureur.

Jusqu’à ses 17 ans, le petit Guillaud (1,65 m et borgne de naissance) est placé dans des fermes dans le Jura avant de faire ses classes à l’école du crime à Lyon. Son casier judiciaire recensera neuf condamnations pour des faits de vol, proxénétisme, trafic d’armes. Le tout pour un total de plus de trente-deux ans de prison.

Son plus gros coup reste l’enlèvement en décembre 1975 du jeune Christophe Mérieux, héritier des laboratoires du même nom. Il touche une rançon de plus de 20 millions de francs de l’époque (environ 3 millions d’euros). Il est le seul ravisseur à être identifié et arrêté par la police, mais la Carpe ne balance pas ses complices, forgeant ainsi sa légende. “C’est l’affaire qui a plombé ma vie, raconte-t-il aux policiers qui l’interrogent sur le dossier Saman. On a touché de l’argent mais j’ai fait quinze ans de prison.”

Dessin extrait de la BD “Le Gang des Lyonnais et autres vraies histoires lyonnaises” © David Mohamed*

Dessin extrait de la BD “Le Gang des Lyonnais et autres vraies histoires lyonnaises” © David Mohamed*

“Je suis las de cette vie”

Un autre épisode, plus méconnu, a été exposé par son fils devant la cour d’assises de Paris. Alors qu’il se trouvait en détention, des petits malfrats en ont profité pour s’en prendre au premier amour de sa vie, une prostituée qui se prénommait Fabienne. Ils l’ont torturée pour qu’elle leur dise où Guillaud avait planqué ses économies. Le corps de la pauvre fille sera retrouvé, découpé en morceaux, dans le coffre d’une voiture plongée dans le canal de Jonage. À sa sortie de prison, Loulou la Carpe aurait recherché, un par un, les tortionnaires et les aurait expédiés de vie à trépas…

À en croire un document annoté de ses mains, caché au-dessus d’une armoire à son domicile, Louis Guillaud aurait également participé à l’assassinat du juge Renaud en juillet 1975, un homicide toujours officiellement non résolu aux yeux de la justice.

À la fin de sa vie, Louis Guillaud voulait tirer un trait sur ce passé sanglant. Il avait renoué avec Arlette, une femme épousée dix-huit ans plus tôt pour favoriser sa sortie de prison, et les enfants de cette dernière, qu’il avait reconnus en contrepartie du mariage. À 78 ans, le gangster vivait chichement, dans un petit pavillon du nord de la France, passait ses soirées à jouer au Scrabble avec Arlette et s’enorgueillissait que ses petits-enfants adoptifs l’appellent papy. Des bonheurs simples, ébranlés lorsque la police vient l’interroger, cinq ans après les faits, sur l’assassinat de Thierry Saman.

“Il me disait souvent que c’était malheureux qu’il y ait cette affaire qui ressorte maintenant…”, se souvient Arlette. Son fils Philippe avoue, lui, avoir offert à son père adoptif toutes ses économies pour quitter la France et éviter la case prison. Loulou la Carpe lui aurait répondu : “Non, je suis fatigué. Je suis las de cette vie.” Plutôt que de cavaler, il a préféré se suicider.

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* David Mohamed, Le Gang des Lyonnais et autres vraies histoires lyonnaises, éditions Lyon Capitale, 2011.

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