Mohamed Bessame, un grand bandit qui fait dans le trafic de stupéfiants, a écopé mardi de 10 ans d’emprisonnement. Le tribunal correctionnel de Lyon avait fait le procès des méthodes policières de la PJ de Lyon et de son antenne de Grenoble. Malgré la condamnation prononcée, le tribunal fait état de ses doutes sur la procédure. Analyse.
Dix ans. La condamnation est tombée dans un malaise. Mohamed Bessame, une figure du banditisme régional, a été condamné ce mardi 10 juin à dix ans d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Lyon pour avoir importé, en juin 2012, 624 kilos de résine de cannabis depuis l'Espagne. Le procureur de la République avait requis quinze ans. Trois de ses ex-complices ont pris des peines allant de quatre à six ans de prison ferme. Tous en état de récidive. Deux ont été relaxés.
Pedigree
Avec de tels résultats, les avocats de la défense pourraient sortir plutôt satisfaits de la salle d'audience. D'autant que Bessame était en situation de récidive et qu'il traîne un pedigree de poids lourd de la voyoucratie lyonnaise. Ainsi, en 2005, alors qu'il attendait un procès pour importation de stupéfiants dans lequel il fut condamné à 9 ans de prison, il s'était échappé de la prison d'Aiton en hélicoptère. Mais les avocats n'étaient pas contents du jugement. Ils sont même restés groggy. Ils avaient plaidé la relaxe et l'espéraient.
Infiltré
Durant les trois jours du procès de cette affaire, il a été peu question de trafic de drogue et du fond de ce dossier. Les débats ont porté exclusivement sur un absent : un infiltré qui aurait provoqué le go-fast à la demande de la PJ de Grenoble, pour faire tomber Bessame. Sa trace est partout dans le dossier : dans les écoutes téléphoniques, sur des photographies où sa tête est étrangement coupée, dans un réseau de personnes qui participent à un trafic de drogue. Mais cet homme, ami de Bessame et qui n'est pas fonctionnaire de police, est mis hors de cause par le juge d'instruction.
Rabouin, gitan
Les avocats de Bessame ont cherché à ébranler la procédure en mettant au jour de faux PV, interrogeant durant près six heures le directeur d'enquête de la PJ de Grenoble sur les anomalies du dossier, les vérifications qui n'ont pas été faites, notamment sur une ligne téléphonique qui aurait appartenu à l'infiltré. Le surnom de ce dernier était le “gitan” ou le “rabouin”, pseudo qui pullule partout dans le dossier.
Faute
Le président du tribunal, Jean-Hugues Gay, qui a conduit les débats avec une extrême rigueur, n'a jamais caché son irritation devant une telle procédure qui sème le doute, nécessairement. Et l'a fait savoir au directeur d'enquête de la police judiciaire : “Vous voyez, monsieur, les vérifications que vous ne faites pas, combien ça pèse. Parce que, aujourd'hui, on essaie de rendre la justice et vous voyez comme c'est difficile avec votre dossier. (…) Personne d'autre dans ce dossier n'est aussi présent que le gitan. Et il n'y a pas d'identification de faite. Ça se voit tellement que c'est gros ! Des conversations entières sont portées sur le gitan. Mohamed Bessame, qui vous préoccupe tant, sa seule préoccupation à lui, c'est le gitan. Et je le trouve nulle part dans votre boulot !”
Réponse du directeur d'enquête de la police judiciaire : “Ce sont des choix d'enquête.” Jean-Hugues Gay l'a repris de volée : “Mauvais choix, monsieur. Ne pas chercher le rabouin ou le gitan, c'est une grosse faute.” L'échange était presque irréel et donnait à penser que la thèse de l'infiltré envoyé par l'antenne grenobloise de la PJ de Lyon était crédible aux yeux du président du tribunal.
Accablant
D'ailleurs, la motivation de son jugement valide certaines hypothèses dont les faux PV ainsi que les anomalies de procédure, tout en critiquant au passage le travail du juge d'instruction en charge du dossier.
De ce fait, il n'est pas inutile d'en donner une lecture in extenso : “À l'issue de trois journées d'audience publique, le tribunal constate qu'un nombre conséquent de pièces de procédure, établies notamment en exécutions de commissions rogatoires délivrées par des magistrats instructeurs de la juridiction interrégionale spécialisée de Lyon, comportent des mentions ou signatures sur la sincérité desquelles demeurent des incertitudes. Ces incertitudes interdisent [au tribunal] de tirer de ces pièces des éléments de conviction. Le tribunal constate également l'absence de certaines vérifications qu'une conduite normalement diligente des investigations commandait d'effectuer en temps utile. (…)
“L'officier de police judiciaire (…) n'a ni contesté ni expliqué ces différents manquements lors de son audition comme témoin par le tribunal.”
Rarement jugement fut aussi accablant pour une procédure judiciaire. Bessame et ses complices ont été condamnés. Ses avocats ont fait appel de la décision.
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