Série de braquages: la thèse policière vacille aux assises

Depuis lundi, la cour d’assises du Rhône se penche sur une série de sept vols à main armée commis entre septembre 2011 et janvier 2012 contre des bijouteries de la région lyonnaise. Le verdict est attendu aujourd’hui.

Trois accusés sont dans le box depuis lundi, jour de l’ouverture des débats devant la cour d’assises du Rhône. Ils sont jugés pour une série de sept braquages contre l'enseigne de bijouterie Jean Delatour commis à Lyon, dans la Loire, en Saône-et-Loire et en Savoie entre septembre 2011 et janvier 2012. Six des sept attaques visaient Jean Delatour.

Interpellés après le flagrant délit le 17 janvier 2012 à Saint-Priest, ils nient cependant être les auteurs des précédents vols à main armée. Pourtant, la police soutient que le mode opératoire des malfaiteurs est identique. En conséquence de quoi, ils seraient donc l’œuvre d’une seule et même équipe.

Avènement d’un milieu criminel

À cette époque, Lyon et sa région connaissent une série impressionnante d’attaques de bijouteries, de fourgons blindés ou de fonderies d’or. C’est l'époque d'une longue série de braquages réalisée par des "équipes à tiroirs", expression policière désignant un noyau dur de malfrats autour duquel s'agrègent des individus différents pour chaque attaque.

La période marque l'avènement d'un milieu criminel moins organisé qu'on ne l'imagine ou qu'on ne le fantasme, plus impulsif aussi, avec des équipes qui se font et se défont au gré des hasards, des rencontres du jour et des circonstances du lendemain.

Mais, dans le cas qui occupe la cour d'assises, pas d'équipe à tiroirs. C'est du moins la thèse qu'est venu défendre un capitaine de la brigade de répression du banditisme (BRB) de la PJ de Lyon qui avait été chargé de l'enquête.

Exposé

Dans un long exposé, l’officier a détaillé chacun des sept méfaits, dans le but de démontrer à la cour les similitudes dans le mode opératoire. Le téléphone des accusés, coupé lors de chaque attaque, ce qui est suspect. "La même façon de pénétrer dans les bijouteries en courant, tête baissée." "Un expert a formellement reconnu" des bijoux appartenant aux enseignes braquées qui avaient été mis en gage par des membres de la famille des malfaiteurs au crédit municipal de Lyon. Sans ADN ni empreintes permettant de confondre les accusés, cet élément est capital pour l'accusation. Enfin, "plus aucun braquage visant les enseignes Jean Delatour n'ont été commis après les arrestations du 17 janvier et le dernier braquage" des accusés, a soutenu le policier.

"C'est un gros mensonge, sous serment ! Le 24 avril 2012, nouveau braquage. Contre Jean Delatour à Champagne-au-Mont-d'Or !" s'est emporté Me David Metaxas, l'avocat de l'un des accusés, appuyant fermement sur chacune des syllabes prononcées. Mais, au-delà de ces constats, c'est un renseignement anonyme qui va mettre les policiers sur la piste des accusés. Un informateur de la police, sur lequel l'officier de la BRB va perdre pied.

Interrogatoire façon rafale

Il faut dire que, sur les bancs de la défense, on trépigne d'impatience à l'écoute du monologue policier. Les premières salves, en mode rafale, sont dégainées par Me Roxana Naserzadeh : "Votre informateur, dont vous dites qu'il est crédible, vous le connaissiez ou il s'agit d'un simple appel téléphonique ?" Réponse du policier : "D'abord un appel téléphonique et ensuite il y a eu des rencontres." "Alors, pourquoi n'établissez-vous pas de procès-verbal de renseignement anonyme alors que vous le rencontrez ? Et pourquoi dites-vous dans la procédure qu'il s'agit d'un appel téléphonique qui a été reçu ?" réplique l'avocate.

Les questions tombent, passent en revue chacun des vols à main armée, dissèquent le mode opératoire des agresseurs pour le confronter à la version policière. On s'aperçoit que le modus operandi n'est pas le même, en effet.

Là il y a un tournevis, ici des talkies-walkies. Sur un braquage, des témoins affirment que les malfaiteurs portaient une tenue Ninja avec une ceinture rouge. Sur un autre, d'autres disent qu'ils s'appelaient par leur nom, Suleiman et Abdellah. Aucun des accusés ne porte ces patronymes.

L’ambiance de la cour d’assises a vacillé

L'accumulation des exemples et surtout des différences pour chacun des braquages fait vaciller l'idée d'un mode opératoire identique. La rafale de questions de Me Naserzadeh fait subtilement réémerger dans les esprits que l'hypothèse d'équipes à tiroirs n'est pas à écarter. D'ailleurs, le président posera une question en ce sens au policier de la BRB.

L'avocate va mettre à mal également l'élément clé de l'accusation : l'expert qui a reconnu les bijoux mis en gage au crédit municipal de Lyon comme étant ceux provenant des braquages. "Qui est-ce, cet expert ?" interroge Me Naserzadeh avec l'air de ne pas y toucher.

"C'est quelqu'un de très haut placé chez Jean Delatour, qui occupe un poste à la création des bijoux", répond le policier. "On passe d'expert à créateur de bijoux... Ce monsieur est le créateur du site Internet de Jean Delatour. Votre expert, qui n'en est pas un, a reconnu formellement les bijoux. Il y avait trois bagues et un bracelet. Et lui a reconnu une chaînette en or ! Comment peut-il voir une chaînette en or alors qu'il y a trois bagues et un bracelet ? Sur un autre vol à main armée, il reconnaît une alliance et une médaille religieuse avec au dos la date anniversaire de la sœur de mon client. Pourtant, il dira que ça vient de Jean Delatour et vous viendrez le répéter à la cour !"

Tout à coup, l'ambiance de la cour d'assises n'est plus la même. Imperceptiblement, l'atmosphère s'est comme embrumée de doutes, de questions. Et bien plus encore lorsqu'on apprend qu'un expert indépendant désigné par le juge d'instruction a conclu pour sa part qu'il ne pouvait pas dire si les bijoux retrouvés au crédit municipal de Lyon avaient été fabriqués dans les dix dernières années. Expertise qui a d'ailleurs contraint le juge à innocenter un homme également mis en cause dans ce dossier mais qui a bénéficié d'un non-lieu.

Abandon des poursuites

David Metaxas poursuivra le travail de mise en doute de sa consœur lorsqu'il demande quelles ont été les contreparties accordées en échange du renseignement anonyme. "Ce n'est pas moi qui m'en occupe, il y a un service spécialisé. Mais c'est quelques milliers d'euros",répond le policier. La rémunération des indicateurs, introduite par la loi Perben II, est bien légale, mais les jurés des cours d'assises ne le savent pas forcément.

Yves Sauvayre, l'avocat du troisième homme accusé, fera même dire au policier éreinté par une matinée d'audience qu'il a un doute sur la participation de son client à des braquages qui précèdent celui du 17 janvier.

Le ministère public fera de même. Les deux avocats généraux ont requis l'abandon des poursuites sur cinq des sept vols à main armée. Six à huit ans de prison ont été demandés à l'encontre du client de Me Sauvayre. Quant aux deux autres accusés, dix à douze ans ont été requis, mais les avocats généraux ont réclamé l'abandon des poursuites pour l'un des braquages.

Le travail des avocats a payé. Verdict en fin d'après-midi.

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