Une affaire de braquage de banque embarrasse la justice lyonnaise. Sans cesse repoussé, le procès qui débutera ce mardi 8 octobre s’annonce bouillant. Du fond de leur prison, les trois accusés ont toujours nié leur implication et n’ont jamais varié dans leurs versions. Ils crient au complot et dénoncent une procédure entachée, selon eux, de faux et de manipulation.
Sans cesse repoussé depuis plus d’un an, le procès d’un braquage de banque s’ouvrira enfin le 8 octobre devant la cour d’assises du Rhône. Une audience quasi banale pour la justice criminelle. Oui, mais voilà, l’affaire n’est justement pas banale et c’est un procès à haut risque auquel s’attendent magistrats et avocats. Car les trois accusés qui comparaîtront dans le box crient leur innocence depuis toujours, et le dossier d’instruction auquel Lyon Capitale a eu accès paraît bâclé et entaché d’anomalies.
Manipulation
L’un des accusés a par exemple toujours accusé les gendarmes en charge de l’enquête d’avoir pénétré dans leur chambre d’hôtel (non loin du Péage-de-Roussillon) en leur absence et d’y avoir pris des éléments qui auraient pu servir à alimenter des scellés de l’enquête judiciaire, afin de les confondre. Il s’agit ni plus ni moins d’une accusation de manipulation de scellés judiciaires.
Entendu par le juge d’instruction, l’un des enquêteurs a dû répondre de ces accusations de manipulation ; il a affirmé sur procès-verbal : “Ni moi ni un collègue ne nous sommes introduits dans [la] chambre d’hôtel. Comme vous le savez, les scellés ont été confectionnés le jour même des faits et ont été analysés par des laboratoires agréés.” Mais le témoignage du propriétaire de l’hôtel que nous avons recueilli invalide la position des gendarmes : “Ils sont montés pour chercher quoi, je ne sais pas. Ils sont restés un quart d’heure, vingt minutes”, nous a-t-il déclaré, avant de conclure : “Si on m’interroge, je dirai la vérité.” Si l’homme a déjà été entendu par les enquêteurs, cette version des faits qui semble accréditer les dénonciations des accusés n’a en revanche jamais été couchée sur procès-verbal.
Appelé à témoigner devant la cour d’assises du Rhône, l’hôtelier risque de renforcer la lecture d’un dossier dans lequel pullulent de faux procès-verbaux et toute une série de pièces antidatées. Nous y avons même relevé des PV corrigés à coup de Tipp-Ex, ce liquide blanc bien connu des étudiants qui permet de recouvrir des éléments de texte. Il est étonnant de voir un dossier pareil atterrir devant une cour d’assises.
“Ce dossier est une honte pour la juridiction lyonnaise, avance François-Xavier Awatar, l’avocat de l’un des accusés. Cette affaire en l’état n’aurait jamais dû parvenir jusqu’à une cour d’assises. On doit s’interroger sur la façon dont l’institution judiciaire et la police ont conduit cette enquête. Il y a un nombre incalculable de faux documents et de pièces antidatées dans cette affaire. Il faut appeler un chat un chat et dénoncer cette justice de la honte.”
Braquage
Rappel des faits : Le 23 avril 2009, l’agence du Crédit lyonnais du Péage-de-Roussillon (Isère) est braquée par quatre individus cagoulés, armés de pistolets automatiques et d’un fusil à pompe. Les malfaiteurs sont déjà dans l’agence lorsque les employés du Crédit lyonnais ouvrent la banque, tôt le matin. Séquestrés et pris en otages, les employés vont ouvrir les coffres et le distributeur automatique de billets. Les braqueurs emportent plus de 65 000 euros en espèces et s’enfuient à bord d’une BMW immatriculée dans les Alpes-Maritimes.
Très vite, les enquêteurs auront un suspect, un certain Michel D., identifié par des témoins, qui appartient à la communauté des gens du voyage et réside précisément dans le département des Alpes-Maritimes. Mais, mystérieusement, ils ne s’attarderont pas sur ce suspect et ne l’entendront jamais, alors que son adresse, ses téléphones et son environnement familial leur étaient connus.
Doutes
Quelques mois plus tard, des expertises ADN arrivent sur le bureau des enquêteurs et leur permettent de mettre des noms et des visages sur les auteurs du braquage. Or, un doute majeur se fait jour ici. D’abord, parce que plusieurs réquisitions de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon font état d’indices ADN retrouvés dans le grenier de l’agence bancaire. À l’inverse, l’enquête dira que cet ADN a été découvert dans les poubelles de la banque. Il ne peut s’agir d’une erreur ou d’une confusion : la constatation d’un lieu de crime, épine dorsale de la police scientifique, est une méthode bien trop précise pour laisser planer une quelconque confusion.
Mais le doute sur les preuves ADN dans ce dossier ne s’arrête pas là. Le profil génétique de l’un des accusés aurait été repéré sur un caillou relevé dans la banque, selon un procès-verbal daté du 29 septembre 2010 que nous avons consulté. Ce caillou est numéroté, il porte le numéro 5. Or, le laboratoire de police scientifique qui a réalisé les analyses conclut que le caillou n° 5 présente un “mélange complexe d’au moins trois personnes avec un composant féminin. Il n’est pas possible de déduire un profil individuel”. En clair, il est impossible de relever le profil génétique de quiconque sur le caillou n° 5.
Pour un autre des accusés, c’est un surlignage suspect qui apparaît dans le tableau d’analyse de son ADN, comme si une correction y avait été apportée a posteriori. D’ailleurs, le laboratoire de police scientifique reconnaît dans son rapport d’expertise génétique qu’une erreur de transcription a été réalisée sur ladite expertise.
Faux
Le nombre de documents antidatés dans cette affaire est aussi étrangement important. “Trop important pour dire qu’il s’agit de seules erreurs matérielles”, affirme Me Awatar. La cour d’assises va d’ailleurs probablement les éplucher un à un, car les avocats de la défense pourraient utiliser la procédure de “faux incident” qui oblige le tribunal à statuer sur les pièces dénoncées comme des faux en écriture publique et, le cas échéant, les écarter. On peut classer les pièces antidatées sur une échelle qui va du risible à l’inquiétant. Par exemple, un devis de l’Institut génétique Nantes-Atlantique (IGNA) est daté du 24 mars 2009, alors que le braquage a eu lieu un mois plus tard.
Plus sérieusement, une commission rogatoire de la JIRS de Lyon, la juridiction spécialisée dans la grande criminalité, est lancée le 19 juin 2009. Or cette commission rogatoire se base sur des procès-verbaux reçus seulement dix jours plus tard, comme l’atteste le tampon de réception du cabinet de la JIRS de Lyon. Dans une enquête criminelle, les bordereaux d’envoi et les documents de réception du courrier sont des pièces de procédure à part entière et sont également cotés au dossier. Une telle accumulation d’anomalies annonce assurément des débats bouillants.
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Cet article est paru dans Lyon Capitale-le mensuel de septembre (n° 725).