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Corruption : le Grand Lyon ne voit que des problèmes de “management”

ENQUÊTE - Suite aux révélations par Lyon Capitale de l’existence d’un système de corruption chez certains fonctionnaires, le Grand Lyon a préféré dans un premier temps nier catégoriquement nos informations. Aujourd’hui, les responsables de la collectivité semblent plus enclins à reconnaître le volet financier de cette affaire. (Article publié dans le numéro de Juillet/Août du mensuel Lyon Capitale)

Le mois dernier, Lyon Capitale révélait l’existence d’un système de corruption entretenu par certains fonctionnaires de la Direction de la propreté du Grand Lyon ainsi que par certaines sociétés bénéficiaires de marchés publics. Une enquête interne avait été ouverte début février après qu’un cadre de la direction de la propreté se soit retrouvé accusé de détournements de fonds et de malversations financières. D’après nos informations, c’était pourtant ce même cadre qui avait signalé à sa hiérarchie plusieurs irrégularités et dysfonctionnements graves dans la comptabilité de son service : double facturation de certaines sociétés et plus de 250 000 euros évaporés au profit d’une entreprise. En dépit de ces dénonciations, c’est pourtant bien ce fonctionnaire qui s’est retrouvé accusé de malversations financières. Alors, une question s’impose : s’agirait-il d’une tentative concertée pour lui faire porter le chapeau ?

Compte-rendus

À la suite de ces révélations, le Grand Lyon a démenti catégoriquement toutes les informations de Lyon Capitale. Le soir du Conseil Communautaire du 31 mai, Gérard Collomb a même fait distribuer à tous les élus présents une lettre signée de la main de Jean-Yves Latournerie, le directeur général du Grand Lyon. On pouvait y lire qu’une “enquête administrative [avait] bien été diligentée par [ses] soins sur proposition du directeur de la propreté. Elle porte sur l’analyse de difficultés organisationnelles et managériales (...) À aucun moment, il n’a été question d’accusation de détournements de fonds ni de malversations financières à l’encontre d’un fonctionnaire”. Et pourtant, Lyon Capitale s’est procuré deux comptes-rendus de réunions qui prouvent bien que le volet financier est au centre de cette enquête interne. Lors d’un entretien, nous avons soumis ces documents à Jean-Yves Latournerie. Daté du 18 mars 2010, un compte-rendu fait la synthèse d’une réunion où était présente Irène Gazel, l’une des directrices des ressources humaines du Grand Lyon. Les termes de “détournement de fonds” et de “malversations financières” apparaissent explicitement dans le document. En outre, Irène Gazel affirme que ces accusations ne peuvent être imputées au fonctionnaire incriminé par l’enquête administrative. Ainsi, une thèse se fait jour dans ce dossier. Le fonctionnaire qui est au cœur de cette enquête serait purement et simplement victime de dénonciations calomnieuses? Nul au Grand Lyon ne sait d’où viennent ces accusations. Jean-Yves Latournerie se contentant de jeter la balle dans le camp de la CGT qui utiliserait cet argument afin de défendre au mieux ce fonctionnaire.

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Un compte-rendu de réunion où est dénoncé un "système mafieux". Des accusations loins d'être en rapport avec des "problèmes de management"

“Système mafieux”

Un autre compte-rendu signé de la main du directeur de la propreté, Bruno Coudret et daté du 23 novembre 2009 fait explicitement état de difficultés financières au sein de ce service de la direction de la propreté: “La question des difficultés financières est évoquée, et B. Coudret rappelle qu’il s’agit de 780 000 euros et non 300 000 euros comme indiqué dans le courrier de la CGT, il convient de vraiment faire la lumière sur ce point” écrit-il. Par ailleurs, le document fait état “[de]  factures [qui] ont disparu ou ont été jetées”. Dans ce même compte-rendu, un syndicaliste de la CGT, M. Mohamed va même jusqu’à affirmer que “règne [dans cette subdivision] un système mafieux qu’il convient de dénoncer”. Cette accusation de “système mafieux” prouve que des dénonciations graves ont eu lieu dans ce service. Mais vraisemblablement, la hiérarchie n’a pas cru bon de s’y intéresser. Car en effet, un autre syndicaliste de la CGT s’interroge et rappelle que “l’essentiel est de savoir pourquoi [le fonctionnaire accusé] a été obligé de faire appel aux représentants du personnel, alors que sa hiérarchie aurait pu prendre aux sérieux les propos tenus”.

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Un compte-rendu de réunion où sont évoqués des problèmes financiers et non des “difficultés organisationnelles”.

Machine arrière

Devant ces éléments qui confirment que des agissements “mafieux” ont cours au sein de la Direction de la propreté, le Grand Lyon ne désarme cependant pas. Car si Jean-Yves Latournerie concède que c’est bien la découverte “d’un trou de 780 000 euros” qui a “motivé l’ouverture d’une enquête”, il continue d’évoquer des “difficultés organisationnelles et managériales”. L’explication avancée consiste à dire qu’une procédure comptable n’aurait pas été respectée : selon lui, les engagements de dépenses de l’exercice budgétaire 2008 n’ont pas été réalisés par les différents responsables de ce service, ce qui aurait ainsi provoqué cette perte de 780 000 euros. Cependant, lors de notre rencontre, le directeur général du Grand Lyon, a semblé faire un peu machine arrière : “Quand vous ouvrez ce genre d’enquête, a priori, vous ne savez pas ce qui s’est passé. Cela peut aller de l’erreur administrative jusqu’à la malversation. Le spectre est large” concède-t-il. Mais M. Latournerie a fait une autre concession à l’enquête de Lyon Capitale. Nous avions en effet évoqué une facture payée deux fois. “Ceci est faux” avait fermement répondu le Grand Lyon dans le droit de réponse distribué aux élus. Et d’ajouter que “le Trésorier de la communauté urbaine, fonctionnaire d’État, n’aurait pas manqué de relever une telle anomalie”. À suivre la réponse, une facture payée deux fois serait donc proprement impossible. Et pourtant cela s’est bien produit pour une facture établie en octobre 2008 par la société Sita-Mos (Groupe Suez) d’un montant de 65 000 euros.

Double facturation

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Une facture payée deux fois ? Impossible selon le Grand Lyon. Et pourtant, cela existe bien. Un soupçon ? Que l’annulation soit faite pour “couvrir” un “système mafieux”.

Nous nous sommes procurés le bordereau de cette facture qui a bien été payée deux fois avant que le Grand Lyon n’annule le mandat de cette facture le 1er mars dernier (voir ci-contre), soit quelques semaines avant le début de l’enquête interne dont les investigations devaient permettre de déterminer les raisons de l’évaporation des 780 000 euros. Selon une source interne au Grand Lyon, cette annulation aurait été faite afin de camoufler des pratiques douteuses au sein de ce service. Selon M. Latournerie, cette double facturation ne serait qu’ “un accident” qu’il explique en retraçant le parcours de cette facture. La procédure veut en effet qu’une facture payée sur un exercice soit archivée. Or cette facture de 65 000 euros n’a pas été placée aux archives et a été représentée une seconde fois l’année suivante, avant d’etre rentrée sous un autre numéro que Jean-Yves Latournerie explique par “une faute de frappe” de l’opérateur censé saisir les factures. Pour que cette facture soit payée deux fois, il a donc fallu une conjonction de facteurs dignes de la cosmologie : qu’elle ne soit pas archivée, qu’elle revienne dans le circuit de paiement, qu’une “faute de frappe” lui permette d’être enregistrée sous un nouveau numéro et que personne ne se rende compte de rien pendant deux ans jusqu’à ce qu’une enquête administrative soit diligentée ! “C’est comme ça que les accidents arrivent !” tente M. Latournerie en guise de désamorçage. D’autres factures ont été jetées ou retrouvées dans des lieux inhabituels comme dans des dossiers relatifs à la gestion du personnel. Mais pour le Grand Lyon, ces évènements ne sont que du ressort du “management” et la direction n’est pas informée de cas de corruption au sein de ses services. Pourtant des dénonciations existent.

Dénonciations de fausses factures

S’il fallait fouiller dans le passé, on s’apercevrait que plusieurs fonctionnaires ont dénoncé des pratiques douteuses depuis une quinzaine d’années sans qu’il n’y ait de véritables sanctions de la part de la hiérarchie. Le plus surprenant, c’est qu’à chaque fois, ce sont les fonctionnaires qui ont dénoncé qui se sont retrouvés mis au placard et sanctionnés. Ainsi début 2000, une fonctionnaire a été priée de quitter le Grand Lyon après avoir dénoncé des magouilles dans son service. Pour la seule période récente, un fonctionnaire du service de la propreté indique avoir dénoncé, il y a deux ans environ, un système de fausses factures organisé au sein d’une subdivision de nettoiement du centre de Lyon. La seule sanction réclamée contre le responsable de cette subdivision ? Une demande de départ à la retraite pour un fonctionnaire qui était déjà en fin de carrière et qui, dans d’autres contextes, pourrait s’apprécier comme étant un véritable cadeau. Pourtant, en dépit des témoignages recueillis par Lyon Capitale, le Grand Lyon affirme n’avoir rien trouvé concernant ce cas. Et cas plus récent encore, il y a tout juste deux mois, un fonctionnaire a également dénoncé des agissements douteux sur des marchés publics au sein de la direction de la voirie cette fois-ci. Mais une nouvelle fois, le Grand Lyon indique n’avoir pas trouvé traces de cet évènement.

Inquiétudes

Cela dit, Jean-Yves Latournerie nous enjoint de croire que le Grand Lyon ne “tente pas de couvrir des agissements qui pourraient être frauduleux”. Or, c’est précisément l’inquiétude de plusieurs acteurs de ce dossier. Certains au Grand Lyon affirment que l’enquête est bouclée depuis plusieurs semaines. La direction du Grand Lyon avance le contraire et indique que ses éléments ne seront pas connus avant plusieurs semaines. La crainte de plusieurs sources proches de ce dossier ? Que le Grand Lyon fasse passer les éléments de cette enquête pour une banale affaire de “difficultés organisationnelles”. Jean-Yves Latournerie a d’ores et déjà affirmé que tout dans cette affaire ne serait pas rendu public. Il conviendrait pourtant de faire toute la lumière sur un dossier que le Grand Lyon a déjà bien tenté de maquiller en une simple affaire de “management”.

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Heures supplémentaires gonflées et prestations de sociétés non réalisées

Dans ses récusations catégoriques de notre enquête, le Grand Lyon n’a pas dit pas un mot sur la question des heures supplémentaires artificiellement gonflées de certains fonctionnaires. Pour que les combines fonctionnent, il faut en effet que tout le monde y trouve son compte. Ainsi, des agents de la direction de la propreté bénéficient d’heures supplémentaires bidon et ne prennent même pas de précautions au moment de justifier le travail effectivement réalisé. Lyon Capitale a ainsi pu consulter la fiche d’heures supp’ d’un agent dont les justifications de travaux réalisés sont fantaisistes. Entre 2008 et 2009, les heures supplémentaires à la direction de la propreté auraient ainsi bondi de près de 500 000 euros d’après un tableau récapitulant le montant des heures supp’ payées par le Grand Lyon. Elles étaient d’environ 1,7 million d’euros en 2008 et s’établissent à 2,2 millions en 2009.

Autres anomalies, les prestations réellement réalisées par les entreprises. Le Grand Lyon jure que les entreprises sont rigoureusement contrôlées et que la mention “service fait” est une certification qui atteste de la prestation effectuée par les sociétés, provoquant ainsi le paiement de leurs factures. Plusieurs agents affirment pourtant que les contrôles sont difficiles et que la mention “service fait” ne prouve rien. Encore faut-il avoir les justificatifs de la prestation. Ainsi Lyon Capitale s’est procuré les notes d’un agent travaillant dans le 7e arrondissement de Lyon. Dans ces notes manuscrites, l’agent note scrupuleusement les prestations non réalisées de certaines sociétés. “Le Mardi 1-12-09, Pizzorno enlevé de mon secteur par G.” ; “Mercredi 9-12-09, Scoralie enlevé pour envoyé 8ème?”; “Mardi 15-12-09 Enlevé Pizzorno après ? de travail effectué”; “3-02-2010, jour de reprise. VIR (Véhicules d’Intervention Rapide, ndlr) enlevé. ND (Nettoyage Divers, ndlr) enlevé par G. à 9h”. Au détour de ces notes très précises, l’agent écrit : “J’ai plein d’autres cas qui sont antérieurs au moment où je me suis aperçu que c’était délibéré et que je n’ai malheureusement pas notés”. Ces autorisations données aux entreprises de ne pas faire les prestations seraint ainsi “délibérées”. Et à chaque fois, c’est le même fonctionnaire, un certain Y. G. qui s’occupe de contrôler les entreprises et qui prend soin de ne pas faire réaliser les prestations à ces sociétés. Pourtant l’agent qui a pris ces notes affirme qu’il signe les documents de prestations avant que les sociétés ne les réalisent. “Elles passent le matin au bureau, je signe et ensuite, on me les supprime !”. Ainsi, la prestation peut être déclarée réalisée alors qu’il n’en est rien.

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