Disparition de Philippe Séguin : Une grande tristesse

Comme de très nombreux Français, j’ai ressenti une grande tristesse à l’annonce de la disparition de Philippe Séguin, hier matin, dans sa soixante-sixième année. C’est André Gerin qui a eu les mots les plus justes : « La France perd un homme d’État qui aura marqué la vie politique de notre pays. Chacun se souviendra de son esprit d’indépendance, de sa capacité de résistance, de son aptitude à dire non lorsqu’il considérait que tel ou tel projet contredisait l’idée qu’il se faisait de la France, de sa souveraineté. »

Au début des années 90 –j’avais vingt-sept ans- je quittai alors Le Figaro pour « m’engager en politique », une parenthèse qui dura quatre ans. Grâce à Philippe Séguin, figure que j’admirais et qui me semblait incarner la synthèse parfaite de la République et de la Nation, au-dessus des partis. Nous étions quelques-uns autour de lui –une poignée !- à considérer que le gaullisme n’était pas mort et qu’il constituait au contraire une pensée politique d’une grande actualité. Nous ne nous considérions pas « de droite ». Nous n’étions pas non plus « à gauche », même si certains esprits chagrins nous collèrent un peu vite l’étiquette commode de « gauchistes du RPR » (à vrai dire, nous n’étions guère « encartés »). Minoritaires, nous l’étions certes en nombre. Mais nos idées triomphèrent en 1995 et portèrent Jacques Chirac à la présidence de la République. « La fracture sociale », « la France pour tous », « le pacte républicain », c’était Philippe Séguin.

Cette poignée de fidèles à « une certaine idée de la France » se réunissait chaque semaine à l’Assemblée nationale. Cela peut faire sourire aujourd’hui, mais à l’époque, en 1994, 90% des députés et sénateurs RPR et UDF étaient « balladuriens ». Régulièrement, un certain Nicolas Sarkozy nous téléphonait pour tenter de nous convaincre de rejoindre « le camp de la victoire », nous promettant ministères, distinctions et autres sucres d’orge. Nous avons résisté et rares furent ceux d’entre nous qui tanguèrent.

Et puis… Et puis « le meilleur d’entre nous », Alain Juppé, fut nommé Premier ministre. Beaucoup « d’entre nous » prirent alors du recul et quittèrent l’arène politique, ne se reconnaissant pas dans les orientations prises par le gouvernement. Certains continuèrent et occupent aujourd’hui encore de hautes fonctions : ministres, parlementaires, maires de grandes villes, conseillers en vogue.

Avec le recul, je peux dire en mon âme et conscience que je ne regrette rien. Car nous n’avons jamais fait le moindre compromis sur nos convictions. Chaque fois que, pour nous, l’essentiel était en jeu, nous avons résisté. Les postes, les honneurs et le décorum ne nous intéressaient pas. Nous avions le sentiment de nous battre pour quelque chose de plus grand que nous, qui nous transcendait. C’était une magnifique aventure collective, celle du « métro à six heures du soir », pour reprendre l’expression de Malraux.

Avec le recul –moi qui regarde rarement dans le rétroviseur- je réalise aussi que des hommes de la trempe de Philippe Séguin sont finalement assez peu compatibles avec l’exercice quotidien du pouvoir, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, où l’habileté a remplacé la vision et les enquêtes d’opinion l’intérêt général. Pour autant, sa pensée reste une source d’inspiration intarissable. Une pensée nourrie d’absolu quand le monde dans lequel nous vivons nous incite au relativisme.

Apprendre à dire « non »

Oui, notre ambition était immense pour notre pays. Et ridicule pour nous-mêmes. Nous avons d’ailleurs vite constaté que, dans les partis politiques, « l’ennemi vient de l’intérieur ». Il faut savoir poignarder ses amis dans le dos, la nuit dans le secret des alcôves, tout en assurant sa propre promotion. Et nous en étions bien incapables. Mais, au fil du temps et grâce à la force de caractère de Philippe Séguin, nous avons renforcé notre propre colonne vertébrale. Nous avons appris à dire « non » et à assumer le fait d’être toujours des « esprits libres », quelles que soient les circonstances.

C’est bien cet exemple qui me guide aujourd’hui dans l’aventure Lyon Capitale. Il en est un autre, que seules la discrétion et la pudeur m’empêchent de citer. Un homme qui rend chaque jour la poursuite de cette aventure possible. Un homme libre et indépendant. Un homme au-dessus des partis. Et qui lui aussi a une « certaine idée de la France ». Il se reconnaîtra. Comme je le connais et reconnais.

Cette rencontre avec une équipe de journalistes -qui a fait de l’indépendance sa vertu cardinale- était donc naturelle et limpide. Sans doute, les derniers espaces de liberté sont aujourd’hui dans la presse. Nous essaierons de ne pas les gâcher. Et ce n’est certes pas facile tant les pressions sont nombreuses et les étiquettes –forcément réductrices- toujours commodes.

En ce début d’année 2010, je tenais à te rendre hommage, mon très cher Philippe Séguin. Toi, l’enfant de Tunis, l’amoureux du ballon rond et de la France éternelle, le fumeur invétéré, l’homme courageux, ombrageux et mélancolique, toi la pupille de la nation qui, à son tour, se sent un peu orpheline. Et je forme le vœu, pour notre pays, qu’un géant relève un jour ton flambeau.

Didier Maïsto

P-dg de Lyon Capitale

Membre fondateur du R.A.P. - Rassemblement pour une Autre Politique

Ancien délégué général de Rassemblement et Fidélité

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