La Marche des Beurs, 30 ans après

Ce 15 octobre, la marche “pour l’égalité et contre le racisme” fête ses 30 ans. Imaginée en réaction au traitement policier dans le quartier des Minguettes à l’été 1983, elle visait à améliorer le sort des jeunes des quartiers en leur donnant une visibilité. Entretien avec Farid L’Haoua, marcheur à l’époque de Valence à Paris.

Lyon Capitale : Trente ans après la Marche pour l’égalité et contre le racisme, l’intégration des jeunes issus de l’immigration a-t-elle progressé, selon vous, en France ?

Farid L’Haoua : Après trois ou quatre générations, toute une partie des enfants issus de l’immigration rencontrent encore des difficultés. Les immigrés d’origine espagnole et portugaise qui vivaient dans les quartiers sont entrés dans des espaces de représentation politique en même temps que leurs pays, quand l’Espagne et le Portugal sont entrés dans l’Union européenne. Mais une partie de la communauté française d’origine extracommunautaire est encore en recherche d’égalité, de respect. Elle ne se sent pas représentée en France. Pire, depuis la fin des années 1980, elle est victime de glissements sémantiques, stigmatisée sous les vocables de “Français musulman”, de “communauté musulmane” depuis la guerre du Golfe. Après l’Irak, on a aussi eu les écrits sur le choc des civilisations. C’est désespérant, on va à l’envers de ce que devrait être le “modèle français”...

Quels combats politiques restent à mener ?

Pour le droit de vote des étrangers, on a raté le coche. Il serait risqué de remettre le sujet sur la table aujourd’hui. Il vaut mieux faciliter l’obtention de la nationalité française, faire de la pédagogie sur l’importance d’appartenir à la communauté nationale, expliquer comment on vote, pourquoi on vote. Mais donner le droit de vote aux étrangers serait une erreur. Vu le taux d’abstention des jeunes des quartiers, ce serait envoyer directement Marine Le Pen à l’Élysée.
Ensuite, il faut en finir avec le traitement politico-médiatique qui alimente les représentations sur la jeunesse des quartiers. Bien faire la différence entre les voyous et la jeunesse de France. Il faut que la jeunesse soit une priorité ! Les politiques ont une responsabilité.
Enfin, la France a un problème avec les Maghrébins. Cela n’empêche pas les Français d’aller en vacances au Maroc, mais il y a un problème de compréhension. Les gens s’interrogent sur l’islam, ils en ont peur. Pourtant l’islam de France a fait des progrès, il faut l’encourager. L’entente entre catholiques et protestants ne s’est pas faite en six mois.

Quels progrès restent à faire dans les quartiers ?

Dans les années 1980, le mot d’ordre était “Halte au feu !”, on se faisait tirer dessus comme des lapins ; aujourd’hui ça s’est amélioré, mais pas assez vite... Quand vous vous faites contrôler dans la rue une fois, deux fois, c’est normal, chacun son métier. Mais, quand cela arrive cinq, dix fois, ce n’est pas normal, ce sont des petites choses qui finissent par être insupportables. Il faut arriver à ce que les pratiques de nos élus, de nos institutions soient égalitaires. Et c’est ce qui manque, ce qui a manqué. Tous les Français sont concernés, car si vous n’êtes pas bien né, si vous n’avez pas quelques facilités au départ, alors la route est difficile, peu de jeunes d’origine populaire s’en sortent, maghrébins ou non.

Que sont devenus les marcheurs ? Ont-ils pris l’ascenseur social grâce à la Marche ?

La Marche, c’était un cri du cœur, un mouvement qui a pris de l’ampleur parce qu’il était attendu par les Français. Il n’y avait pas de Rachida Dati, ni de Fadela Amara ou d’Azouz Begag dans cette histoire. Les marcheurs ont fait ce qu’ils avaient à faire puis sont retournés à leurs petites vies. Certains sont aujourd’hui décédés, une autre est à Marseille, l’autre à l’étranger. La vie a repris ses droits.
La Marche n’était pas un label, il n’y avait pas de coupe à gagner à la fin. En revanche, elle a eu pour effet de “dépuceler psychologiquement” toute une partie de la société, les gens se sont investis en politique, dans la culture, les associations. Elle a envoyé un signal à la société française. Après, il y a eu d’autres mouvements, des appétits d’ambitions politiques, beaucoup de gens se sont approprié l’événement, se sont attribué des médailles, on a beaucoup rigolé entre marcheurs. Il y a encore du réseautage, des marcheurs qui se voient. Quelques réussites politiques sont nées grâce à la Marche, mais pas parmi les marcheurs. Aucun de nous n’a eu d’itinéraire identique.

Le film La Marche*, qui sort bientôt au cinéma, peut-il donner des idées aux jeunes des années 2010 selon vous ?

C’est une occasion d’apporter une pierre à la construction de cette mémoire, la mémoire de la Marche. Le film peut aider beaucoup de jeunes à avoir un peu d’espérance. Nous sommes partis du quai [du port, à leur arrivée en France, NdlR] et on est arrivés à l’Élysée. Ce film peut contribuer à montrer que tout est possible dans le respect de la communauté nationale.

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La Marche, de Nabil Ben Yadir. Avec Olivier Gourmet, Jamel Debbouze, Charlotte Le Bon et Hafsia Herzi. Sorties en salles le 27 novembre.

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Cet article est extrait de Lyon Capitale-le mensuel n°726 (oct. 2013)

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