(article paru dans l'édition de mai 2009 de Lyon Capitale)
Son parachutage comme tête de liste PS dans le quart Sud-Est pour les Européennes avait provoqué un psychodrame chez les socialistes. Gérard Collomb était furieux et Vincent Peillon parlait de "crève-cœur" en quittant sa région d'origine. Aujourd'hui, il en a assez de revenir sur cet épisode: "Franchement, donnez-moi envie de venir à Lyon !" Entretien sur l'Europe, le PS,la présidentielle et sur... Gérard Collomb.
Lyon Capitale : Gérard Collomb avait fustigé votre "parachutage" dans la grande région Sud-Est pour les Européennes. Vos rapports se sont-ils améliorés depuis ?
Vincent Peillon : Pour moi cette question est totalement réglée. J'ai beaucoup d'amitié pour Gérard Collomb, ça peut paraître une blague, mais c'est comme ça. L'épisode a été un peu désagréable humainement et politiquement, mais assez secondaire au fond.
Cette polémique avec Gérard Collomb signifie-t-elle qu'il y a un risque d'éclatement du courant de Ségolène Royal auquel vous appartenez au côté du maire de Lyon ?
C'est le principal courant du parti. Au sortir du congrès, j'ai senti qu'il y avait des personnalités très diverses. Des gens étaient proches de Ségolène Royal, d'autres étaient dans l'affaire de la Ligne Claire avec Collomb, Guérini et Valls. Moi j'avais mes propres amis qui m'accompagnent depuis longtemps. Il fallait donc rassembler tout ce monde, le solidifier et lui donner une perspective. Nous avons donc créé le courant L'Espoir à gauche en prolongement de tout cela. Ce courant se porte bien. Il est très animé car il réunit 30 premiers secrétaires fédéraux et quelques 200 parlementaires et grands élus locaux. Le courant est fort mais le problème reste celui des finalités. Car la question demeure de savoir quel message on va porter dans les temps qui viennent. C'est ma préoccupation centrale. C'est pourquoi L'Espoir à gauche organisera les 21 et 22 août prochain à Marseille une grande université d'été. Jusqu'à mi-2010, l'essentiel sera de réaliser un travail d'expression politique sur le fond. Si nous pouvons contribuer à l'élaboration d'un programme pour le PS, ce sera bien. Car il y a une attente forte. Il suffit de sortir dans la rue, les gens nous interpellent en nous disant "Arrêtez vos conneries !".
Et justement, ces "conneries", quand vont-elles cesser ?
Elles ont déjà cessé. Les Européennes devront être l'occasion pour que ça se calme. D'abord il va quand même falloir régler quelques questions de fond et si possible pas dans les trois mois de la présidentielle. Je veux trancher dans l'année qui vient. Je souhaite que les gens nous rejoignent parce que nous dégageons une identité politique qui manque cruellement aujourd'hui. Il faut que nous donnions de vraies perspectives sur l'Europe, les hôpitaux, la réforme fiscale ou l'éducation. La deuxième chose pour laquelle je suis désormais totalement déterminé tout en sachant que ce n'est pas encore le bon tempo, c'est la question des primaires. En observant le film de ces dernières années, ce qui frappe c'est que nos procédures sont constamment contestées : la désignation de Ségolène, l'histoire du traité constitutionnel - le parti a voté oui, mais certains ont fait la campagne du non, les désignations pour les Européennes très majoritairement validées par les militants mais malgré tout, ceux qui ne sont pas contents vont quand même faire des télés pour protester ! Nos procédures ne sont plus capables de produire de la légitimité. Dès cet été, en même temps que l'on doit dire les choses sur le fond, il faut mettre en place un processus d'ouverture vers toute la gauche pour des primaires ouvertes dans la perspective de la présidentielle de 2012.
Comment faire, dans un processus de primaire, pour que la forme ne l'emporte pas sur le fond ? Autrement dit, comment éviter la personnification des débats ?
Il n'y a qu'une seule façon de réfléchir à cela, c'est de faire des primaires longues et ouvertes pendant un an. Les Verts ont l'air intéressé, le Mouvement des Citoyens aussi. Il ne s'agit pas simplement de trois débats dans un coin, mais c'est le tour de France, à l'américaine. Pendant un an, après plusieurs débats et des procédures éliminatoires, on pourra alors se rendre compte si quelqu'un a du contenu ou pas.
On a l'impression de ne toujours pas voir venir la refondation intellectuelle du PS. Où en est-elle ?
D'abord la refondation idéologique se fait. Mais elle n'intéresse pas nécessairement tout le monde. Deux ou trois livres sont publiés chaque mois autour de la refondation idéologique au sens profond du terme : comment s'armer pour penser les questions essentielles. Ensuite il faut parvenir à construire un programme où l'on arrive à dire un certain nombre de choses que l'on n'a pas suffisamment dites ces dernières années.
Par exemple ?
Sur la réforme fiscale par exemple, je pense qu'il faut un très grand impôt progressif et fondre l'impôt sur le revenu et la CSG. Nous avons un pays où les pauvres payent pour les riches. Sur le système éducatif, je suis favorable à la suppression des grandes écoles pour les fusionner avec les universités qui sont trop pauvres.
Le PS se fait petit à petit déposséder des valeurs de solidarité et de justice sociale auxquelles il était associé. Le NPA de Besancenot et le Front de Gauche se sont créés et paraissent plus déterminés à défendre les intérêts des milieux populaires.
Les derniers sondages mettent le NPA à 7% malgré le matraquage de toutes les forces capitalistes en sa faveur, la surexposition médiatique dont il bénéficie et même malgré le soutien du président de la République. Il y a un éparpillement des forces progressistes quand le PS ne remplit pas sa tâche. Plus le PS déserte sa propre histoire, ses propres valeurs, son propre projet, plus les forces à côté grandissent. Il est évident que nombreux sont ceux qui voudraient que le seul parti qui soit capable de proposer une alternative soit affaibli. Par conséquent, certains n'hésitent pas à utiliser des cartes adverses. Pour moi, ce n'est pas un sujet majeur. Le PS sort d'un congrès traumatique et d'une présidentielle à nouveau ratée. La question n'est pas de s'intéresser aux autres, mais il s'agit bien plutôt de se transformer soi-même. C'est d'ailleurs un signe de faiblesse de toujours s'inquiéter. Il faut être en affirmation.
Le PS est plutôt dans une position intenable entre social et libéralisme. Alors que le contexte de crise rend sensible aux thèses anticapitalistes, les socialistes ne parviennent pas à assumer la voie social-libérale...
Depuis 1905 et l'unité des socialistes, ceux qui se disent le plus à gauche dans les congrès sont toujours ceux qui le sont le moins dans l'exercice des responsabilités. Et nous avons un exemple magnifique pour la jeune génération, c'est Laurent Fabius. Je l'observe depuis vingt ans et chaque fois que nous sommes dans l'opposition, il rase gratis, monte sur les tréteaux et promet tous azimuts. Chaque fois qu'il dirige, c'est le plus libéral d'entre nous et le plus soumis aux sirènes du marché. La raison pour laquelle la gauche a très peu gouverné au XXème siècle en France réside dans cet écart entre les discours et les actes. Par rapport au social-libéralisme, il faut rappeler que le socialisme français est un socialisme libéral. Et malheureusement, le libéralisme est une valeur progressiste qui a été abandonnée à la droite.
Comment expliquer que les Français ne s'enthousiasment pas pour l'Europe ?
Nous avons une incapacité à formuler un projet historique, alors qu'il est sous nos yeux. L'Europe est notre projet historique. Aujourd'hui, elle se perd dans des polémiques sur le vin rosé ou le thon rouge. Où est le sens ? Je ne dis pas que le vin rosé et le thon rouge ne sont pas de vraies questions mais il faut les remettre à leur niveau par rapport à ce magnifique projet historique.
Qu'est-ce qui peut porter l'Europe aujourd'hui ?
L'enjeu de la prochaine mandature ce sont les services publics. L'affaire des générations d'aujourd'hui est de créer l'ordre public mondial. Dans l'économie-monde que nous connaissons, il n'y a pas de puissance publique mondiale. La question des paradis fiscaux et du blanchiment d'argent démontre que les capitaux circulent à la vitesse de l'électronique mais les personnes chargées de l'ordre public - policiers et juges - sont arrêtés aux frontières. Nous avons créé un ordre économique qui est en réalité un désordre public puisqu'il favorise les criminels sur les honnêtes gens. L'Europe doit être à l'avant-garde de ce nouvel ordre international. C'est l'affaire du XXIème siècle.
L'Europe apparaît toujours comme une entité qui privilégie plutôt le marché en faisant l'impasse sur la question sociale.
Il ne faut pas faire croire aux gens que c'est l'Europe qui déconstruit en France nos acquis sociaux. La réalité de l'Europe à 27 est que nous ne sommes pas tous au même niveau. En France, nous avons un niveau de protection sociale tout à fait remarquable par rapport aux autres. Un certain nombre de directives apparaissent donc souvent comme étonnantes pour les Français parce qu'elles édictent des normes qui sont très en deçà de ce que l'on connaît. Ça ne nous fait pas régresser mais ça permet aux autres de progresser. Est-ce suffisant ? Certainement pas. Voilà un grand enjeu du vote. L'harmonisation sociale et fiscale par le haut. Nous proposons par exemple un salaire minimum européen fixé à 60% du salaire médian dans chaque pays. La droite avait déjà voté contre. Elle préfère l'organisation d'un libre marché dans lequel il n'y a pas de régulation si ce n'est par la mise en concurrence des systèmes sociaux et fiscaux ainsi que des salariés. La droite veut nous faire croire que l'Europe n'est ni de droite ni de gauche, qu'elle est une sorte d'entité abstraite et asexuée. En vérité, l'Europe est de droite. Et il ne faut pas dire que c'est la faute à l'Europe, mais plutôt que c'est la faute à l'Europe de droite qui vote les textes. La droite se nourrit de cette Europe impuissante. Plus l'Europe est impuissante plus on enterre l'idée européenne. Or les objectifs d'harmonisation sociale et fiscale par le haut que nous formulons peuvent tout à fait prendre la forme d'un traité social.
Vous êtes un député européen assez peu présent à Bruxelles et à Strasbourg...
Je ne crois pas qu'il faille tomber dans cette démagogie qui consiste à estimer le travail des gens aux heures de présence. Le but des élus européens n'est pas de se transformer en technocrate européen, il faut rester en prise politique. Nous avons dans cette région Françoise Grossetête, la tête de liste UMP, qui est très présente à Strasbourg. Pour autant j'ai pu mesurer dans cette campagne à quel point elle était absolument inconnue dans sa propre région.
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