Zoheir El Ouarraqe, 22 ans, se prépare activement à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), avec une idée précise en tête : participer aux JO de Rio en 2016. Portrait d’un jeune lutteur qui revient de loin. (Article paru dans le mensuel Lyon Capitale daté de mai 2014).
“Sans la lutte, j’aurais mal fini. J’aurais eu des soucis avec la justice. La lutte m’a sauvé, c’est la plus belle porte de sortie que j’ai pu avoir.” Lorsque vous le questionnez sur ce qu’il serait devenu sans la lutte, Zoheir El Ouarraqe, licencié au club de Lyon-Saint-Priest, n’y va pas par quatre chemins. Si le jeune homme s’entraîne à l’Insep aux côtés de la crème française de sa discipline sportive, il n’oublie pas pour autant qu’il a fallu batailler pour en arriver là. Et croire en son destin. Avant de devenir un lutteur qui a “toujours été au-dessus du lot”, selon son premier entraîneur, Damien Jacomelli, Zoheir, élevé par sa mère au sein d’une famille nombreuse, a connu une enfance difficile. L’argent ne coule pas à flots et la violence fait presque partie de son quotidien. “Je me battais souvent ; comme certains disent, j’étais un vrai banlieusard”, confie-t-il. La bagarre, donc, comme unique moyen d’expression d’un enfant qui a une “rage en lui”, selon Jacques Henry, son ancien directeur à l’école Claude-Farrère. “Il nous en a fait baver, se souvient celui-ci. Il était très turbulent, il était dans tous les mauvais coups.”
Une histoire de poubelle qui change sa vie
Fan de lutte, M. Henry fait appel aux services d’Hélène et Gilbert Jacomelli, dirigeants du club de Saint-Priest qui travaille étroitement avec les écoles de la ville. La rencontre entre Zoheir et Hélène Jacomelli sera déterminante. Celle d’une vie. D’ailleurs, le jeune lutteur s’en souvient comme si c’était hier : “J’étais en train de me battre et j’avais mis un mec dans une poubelle. Elle est intervenue et m’a dit : “Toi, tu vas aller à la lutte”.” Une révélation, pour un sport qu’il a depuis adopté. Et qui l’a remis sur le droit chemin. “Grâce à la lutte, j’ai pu voyager et me rendre compte qu’il y avait d’autres choses que la cité. Quand tu vois la misère dans certains pays, ton regard change forcément. Tu prends conscience de certaines choses”, explique le San-Priot, qui se sent parfaitement en phase avec ce sport de combat. “Les lutteurs, nous sommes des guerriers, tu es donc obligé d’être noble et humble. C’est impensable pour nous de frimer.” Des propos qui font écho à ceux d’Hélène Jacomelli. Lyon Saint-Priest a initié ces dernières années un travail considérable en faveur de la jeunesse. “La lutte est un sport formidable qui inculque de bonnes valeurs. Ça leur sert dans la vie de tous les jours”, confesse cette femme très engagée au sein de la commune.
Fidèle et généreux
Le jour de notre venue à l’Institut national du sport, vêtu d’un T-shirt noir au nom de son club, Zoheir El Ouarraqe ne ménage pas ses efforts en salle de musculation, au milieu d’autres sportifs : “Ici, il n’y a pas de vedettes, dit-il. On échange entre athlètes et il y a une bonne ambiance.” Tout au long de la journée, le lutteur évoquera sans cesse les autres : son club, les Jacomelli, ses frères, ses amis de Saint-Priest… Ses proches ne sont guère surpris, tant Zoheir a le don de soi. “Vous savez, on a vécu seuls avec notre mère et c’est toujours lui qui nous a guidés, explique Larbi, l’un de ses cadets. Lorsqu’il y a eu des difficultés, on a toujours pu compter sur lui. Mon frère est très généreux. Avec l’argent qu’il a gagné en luttant, il a aidé sa famille du mieux qu’il pouvait. C’est un exemple, car il n’a jamais oublié d’où il venait. Notre mère est tellement fière de lui. D’ailleurs, elle garde toujours sur elle des articles et des photos de ses exploits.” Sollicité par des clubs plus huppés et rémunérateurs que Lyon-Saint-Priest Lutte, Zoheir n’a jamais cédé aux sirènes. “Ça serait une trahison vis-à-vis de mon club et des Jacomelli. Ils ont tant fait pour moi et ma famille, souffle-t-il. Ce sont des gens de l’ombre qui donnent tellement aux autres et aux jeunes de Saint-Priest. Ça vaut tout l’argent du monde.”
Assurément, toute l’énergie déployée par les dirigeants du club et l’équipe pédagogique de l’école Claude-Farrère a porté ses fruits. Le jeune homme turbulent est devenu un citoyen respecté et respectable. Hélène Jacomelli peut difficilement dire le contraire : “J’ai beaucoup d’éloges à faire sur lui. Il a un charisme naturel auprès des autres jeunes. Sur le plan humain, il fait preuve d’une certaine maturité. Il a des principes et les applique.” Et d’ajouter, un brin émue : “La porte de ma maison sera toujours ouverte pour lui. Quoi qu’il se passe, on ne le laissera jamais tomber.”
Les JO de Rio en ligne de mire
Si l’un de ses autres frères, lutteur également, a choisi de représenter le Maroc, le pays d’origine de sa mère, lui tient à honorer les couleurs tricolores. “Je suis reconnaissant à la France pour ce qu’elle m’a apporté, dit-il. J’ai l’impression d’avoir une dette pour ce pays qui m’a permis d’être celui que je suis.” Zoheir El Ouarraqe travaille donc d’arrache-pied, à raison de deux entraînements quotidiens, pour remplir ses objectifs : disputer les Jeux olympiques de Rio en 2016. “Je veux me qualifier pour les JO et faire une médaille, répète-t-il à l’envi. Je travaille à un rythme soutenu, mais c’est la seule solution si je souhaite remplir mes objectifs.” Remplaçant aux Jeux de Londres (2012), il est désormais numéro 1 dans sa catégorie (lutte libre, 57 kg) et devra sortir le grand jeu lors des championnats du monde organisés à Las Vegas en septembre 2015.
Concentré à 100 % sur le sportif, Zoheir a dernièrement signé, par l’intermédiaire de la Fédération française de lutte, du ministère des Sports et du ministère de l’Intérieur, un “contrat image professionnel” (CIP) avec la Police nationale. Cela signifie qu’à travers ses performances sportives il représente l’image de la police. “Cela me permet de m’entraîner sans penser à l’aspect financier”, précise-t-il. Zoheir El Ouarraqe a définitivement tourné la page de son passé agité. Il a même une idée de reconversion à la fin de sa carrière : “J’aimerais rendre la pareille en travaillant auprès des jeunes. Leur donner quelques conseils et surtout leur dire qu’il y a des possibilités de s’en sortir.”