C'est l'UTMB le plus rapide de l'histoire. Pour la première fois, un coureur a réussi à courir sous la barre des 20 heures. Et il est vigneron dans le Beaujolais. Soit une vitesse canon de 8,8 km/h sur 167 km et 9 500 mètres de dénivelé positif. Cinq autres coureurs ont battu le précédent record de l'épreuve (167 km, 9 618 mètres de dénivelé positif), tenu par ce même trailer-viticulteur. Entretien avec le roi François d'Haene.
Un peu plus de deux semaines après votre éclatante victoire à Chamonix, lors de l'UTMB, comment vous sentez-vous ?
Ça va. Un peu fatigué. J'ai les jambes un peu lourdes et un peu raides mais c'est supportable. Je commence juste à recourir. Je pense récupérer physiquement assez vite mais moralement, il faut que je me repose encore un peu et que j'évacue toute cette fatigue. D’autant que j'ai enchaîné sur des vendanges (rires). En fait, ça ne fait qu'une semaine que je réalise un peu.
2017 marque l'UTMB le plus rapide de l'histoire, avec une moyenne de 8,8 km/h pour vous, soit 19h01, c'est-à-dire 1h10 de mieux qu'en 2014, le précédent record de l'épreuve, le vôtre...
Il ne faut pas trop comparer non plus. Chaque année est différente. C'est donc assez difficile de comparer. Il y a eu quelques petites modifications, même si la distance était la même qu'en 2014. Si on prend en compte ces changements, à titre de comparaison entre la course de 2014 et celle de 2017, c'est sûr qu'on a bien gagné 45 minutes. Ça a effectivement été un UTMB rapide. On n'a pas forcément démarré plus vite qu'en 2014 mais mais on a grappillé des minutes progressivement. Au bout de trois heures, on avait 5 minutes d'avance, et ainsi de suite. En 2014, j'étais en tête avec avec Iker Karrera et Tofol Castaner. Le temps était assez rapide mais on avait ralenti après Courmayeur. Cette année, on n'a pas perdu de temps. On n'a jamais ralenti, au contraire. Ça été une course intelligente et régulière, mais assez dure, notamment avec des conditions climatiques difficiles mêlant froid, brouillard, pluie et neige. Quand j’ai attaqué la descente du Grand col Ferret, on ne voyait rien, on était gelé, on avait les jambes toutes dures. Ceci dit, je pense que les chronos peuvent encore être améliorées sur le même parcours.
L'Américain Jim Walmsley, élu meilleur Ultra Runner aux États-Unis en 2016 et n°1 au classement mondial de l'International Trail Running Association (Itra) au départ de l'UTMB, a multiplié les déclarations d'avant-course un peu prétentieuses, allant même jusqu'à dire au 78e kilomètres ça n'allait pas assez vite...
Les Américains aiment bien dire à l'avance qu'ils viennent pour gagner. Ils fonctionnent dans un système différent que le nôtre. Nous, on vient pour la course, le plaisir, et si tout se passe bien, on essaie de jouer les places et pourquoi pas le podium. Les propos de Jim peuvent choquer mais c'est sa culture. D'autant qu'il a très bien géré sa course.
Ludovic Pommeret, le coureur de Ferney-Voltaire vainqueur de l'UTMB 2016 et 3e de la CCC 2017, a déclaré après la course que vous alliez changer de dimension au niveau international après cette course, y compris au sein du Team Salomon...
(Rires). Ludo aime bien me mettre en avant. C'est sûr que cet UTMB a été exceptionnellement médiatisé (plus de 200 médias internationaux et 4 millions de téléspectateurs sur l'UTMB TV). C'est un gros coup d'accélérateur pour ma carrière, certainement. Depuis dix ans, je progresse chaque année.... J'espère pour autant que ça ne changera pas ma vie, globalement. Aujourd'hui, de plus en plus de gens me reconnaissent (sourires). Je compose avec. En même temps, c’est le jeu, les gens attendent des retours. C'est mon rôle de les rencontrer, de leur répondre, d’échanger avec eux.
À ce propos, Kilian Jornet a été pointé du doigt suite aux accidents mortels de trailers sur le mont Blanc cet été (NdlR : il avait publié une photo de lui nu sur le mont Blanc après l'arrêté du marie de Saint-Gervais imposant un matériel obligatoire pour faire l'ascension). Vous avez une responsabilité ?
Ce n’est pas parce qu'un skieur professionnel descend des couloirs vertigineux à 55° de pente et qu'il poste les vidéos de ses exploits que je vais faire comme lui. Idem pour le trail. Il faut faire la part des choses. C'est vrai que sur le mont Blanc, il y a beaucoup de monde, que c’est un gros business. Après, ce sont des accidents fâcheux qui auraient pu être évités.
Kilian Jornet, 2e à quinze minutes derrière vous, a déclaré, hilare, qu'avec désormais trois victoire chacun sur l'UTMB, il fallait vous départager donnant rendez-vous l'été prochain. Ça vous tenterait ?
Non, je ne pense pas, ni pour lui ni pour moi. J'aime bien laisser un peu de temps entre chaque ultra-trail. Je n'ai pas forcément prévu de refaire l'UTMB en 2019 car ça demande un certain engagement moral et physique.
Avez-vous déjà programmé des projets ?
Oui, je pars le 5 octobre aux États-Unis faire la traversée du John Muir Trail en Californie (Ndlr : 338,6 km, 14 000 D+, probablement le trek américain le plus réputé de Yosemite Valley jusqu'au Mont Whitney (4 421 m), il traverse les parcs nationaux de Yosemite, Sequoia et Kings Canyon à travers la chaîne de la Sierra Nevada). Ce sera une aventure un peu comme celle que j'ai vécue sur le GR20 en juin 2016 (NdlR : il avait battu le record de la traversée - 180 kilomètres pour 13 000 mètres de dénivelé positif - en 31h06). Je vais partir avec quelques amis pour découvrir un parcours qui me fascine.
Selon vous, ces fastest know times (FKT) – temps connu le plus rapide – sont la nouvelle frontière athlétique ?
Non, je ne pense pas. Le trail évolue, il est simplement de plus en plus médiatisé. Mais ces FKT ont toujours existé, on s'y intéresse plus aujourd'hui, c'est tout. La plupart des ultra-trailers ont toujours pratiqué ce genre de course. J'en ai besoin, en tous cas moi. Ça fait douze ans que je fais du trail : je n'ai pas envie de perdre ce goût, cette motivation. J'ai besoin de ce genre d'aventure pour garder le plaisir. Sinon, je n'ai pas encore réfléchi à mon planning. En décembre, nous définirons, avec Carline (NdlR, sa compagne), les priorités du planning familial, de la vigne et des mes courses. C'est un gros travail de programmation.
En attendant, dans les vignes, ça avance comment ?
On a fini les vendanges. On entre dans la phase vinification et on attaque le pressurage.
Votre notoriété vous aide-t-elle à exporter vos vins ?
C’est vrai que le fait que je suis désormais un peu connu m'aide un peu à vendre, c'est sûr. Je m'en sers, oui. On fait des années spéciales, avec des étiquettes spéciales, des coffrets trail (UTMB, Diagonale de la Réunion, Hong Kong, etc.). On fait aussi un peu d'export mais ça fluctue selon les saisons. Mais globalement, on ne fait que de la bouteille, pas de négoce, pas de cave coopérative. Soit 15 000 par an. On vend en direct car on aime partager avec les gens, discuter avec eux. Le vin, c'est ma deuxième passion. Il y a d'ailleurs beaucoup de parallèles avec le trail : c'est convivial, on partage, c’est et on passe de bonnes soirées (rires).