UTMB. Quatre lettres mythiques pour tout trailer, la course la plus mythique de la discipline qui, cette année, affichera toutes les stars, quasiment personne ne manquant à l'appel, c'est aussi une semaine de compétitions avec en plus de son épreuve reine et de la course jeunes (YCC), quatre autres formats de grande endurance (PTL, TDS, CCC et OCC). Catherine Poletti, la grande organisatrice nous raconte.
Lyon Capitale : L'UTMB fête cette année sa 15e édition. Comment est née "la course de tous les superlatifs",rapidement baptisée comme telle par les médias ?
Catherine Poletti : C'est une histoire de copains et de passionnés. On était neuf à rêver de faire le tour du Mont-Blanc non-stop au départ de Chamonix, en traversant trois pays - la France, l'Italie et la Suisse -, avant de revenir à Chamonix sans regarder en arrière ! Dès 1995, Michel, mon mari, avait cette idée en tête, de faire le tour du Mont-Blanc d'une traite. Mais il a échoué lors d'une tentative en solo en 1997. En octobre 2002, nous avons inscrit la course dans les calendriers internationaux. L'Ultra-Trail International du Tour du Mont-Blanc était né. « La course de tous les superlatifs » était un titre dans la presse, en 2008 il me semble ? On a aimé alors on a l'a réutilisé, pour autant, notre vraie Base-Line est "Sommet mondial du Trail"... L'avantage avec le mot "sommet" est qu'il évoque non seulement la montagne mais aussi le "top" et, il peut y avoir plusieurs sommets dans le monde... En tous cas, géographiquement c'est le cas.
Les ultras existaient déjà pourtant à cette époque...
Il existait en effet des "100 miles" (160 km, NdlR). La Western States, dans la Sierra Nevada en Californie, existe depuis 1977, la Hardrock 100, dans le Colorado, depuis 1992, le Grand Raid de la Réunion (aka La Diagonale des Fous, NdlR) depuis 1989. Mais faire le tour du Mont-Blanc en une seule étape de 160 kilomètres avec quelques 8 000 mètres de dénivelé positif, c'était une toute autre histoire, un défi. Les premières compétitions collectives autour du Mont-Blanc ont commencé en 1987 avec le "Super Marathon du Mont-Blanc". En 1994, le Club des Sports de Chamonix-Mont-Blanc a repris l'épreuve sous la forme d'une course en relais par équipe de sept coureurs parcourant, chacun, une étape. Mais en 1999, la 6e édition a été bouleversée par la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc. Ce n'est qu'en en 2002, à la réouverture du tunnel que suite à l'échec de la reprise de l'épreuve en relai, le président du Chamonix-Mont-Blanc-Marathon, René Bachelard, a voulu relancer quelque chose. Les trails de longue distance émergeaient : Michel, mon mari, avait déjà pris part aux trois éditions de la Fort'iche de Maurienne - 120 km et 7 500 D+ -, et La Diagonale des Fous remportait un vif succès. Inspirés par le phénomène, on a imaginé un nouveau format de course : une épreuve individuelle en une seule étape, sur un parcours "trail", privilégiant au maximum les sentiers, réunissant tous les villages qui le souhaitaient, en moins de 45h. J'ai été la première à consacrer 150% de mon temps à cette organisation avec le soutien de mon mari Michel. Dès 2004 nous avons compris qu'il fallait professionnaliser cette organisation pour produire un événement qualitatif et c'est ainsi qu'est née cette organisation bicéphale originale unissant une entreprise et une association.
"On fait le tour d'une montagne magnifique.... comme un tour du monde !"
Pour la première édition de l'UTMB, le 30 août 2003, à 4 heures du matin, 722 coureurs étaient sur la ligne de départ. Ils seront plus de 8 000 cette année. Comment expliquez-vous ce succès ?
Même si les conditions météo furent dantesques pour le départ à l'aube, il ne pleuvait pas encore. On avait l'impression d'être des aventuriers, des pionniers... un peu comme Christophe Colomb... D'où la musique adoptée dès 2004, du film 1492 et dont le titre est Conquest of Paradise. C'était un peu l'esprit du premier départ.
Pour la première édition, nous avons organisé une seule course mais avec trois arrivées possibles - Courmayeur, Champex et Chamonix, soit 70 km, 113 km et 153 km. Seuls 67 concurrents avaient réussi à franchir la ligne d'arrivée à Chamonix. C'était un peu l'esprit du premier départ. Ces conditions très difficiles, ajoutées aux 722 coureurs au départ et seulement 67 finissant à Chamonix ont certainement participé à la naissance de cette notoriété sans cesse grandissante ?! En 2017, sur cinq formats de course, ils seront effectivement plus de 8 000 coureurs venant des 5 continents et de 92 pays.
Ce succès, je l'explique par un concours de circonstances. C'est comme une mayonnaise. Il y a eu les bons ingrédients au bon moment, ou alors comme le surfeur avec la bonne vague. En fait, c'est la réunion de plusieurs points : d'abord, le mont Blanc est mondialement connu, ensuite l'UTMB est une aventure particulière avec une histoire : il ne s'agit pas simplement de faire une distance ou du dénivelé... On fait le tour d'une montagne magnifique et de renommée internationale en partant de Chamonix, sans jamais se retourner on traverse 3 pays en alternant villages et grande nature, pour arriver à Chamonix... comme un tour du monde !. Ensuite, le pays du Mont-Blanc et Chamonix sont probablement l'un des seuls sites au monde où il existe une mixité entre les gens qui y habitent et la grande nature. Il y a une proximité et une imprégnation de deux ensembles. Il y a aussi le fait de traverser trois pays, à pied, ce n'est pas courant. On peut ajouter aussi la diversité des paysages qui ne sont pas les mêmes selon qu'on se trouver en Savoie, en Haute-Savoie, en Italie ou en Suisse. Cette diversité de paysages apporte une notion de voyage. Et enfin, c'est probablement lié à un type d'organisation. Michel et moi étions étudiant en informatique venus à Chamonix monter un magasin de disque puis une entreprise informatique. Ce passé d'entrepreneur nous énormément aidé à travailler les détails. L'UTMB, c'est comme un projet d'entreprise, le succès est lié à la recherche de qualité, en particulier celle du travail.
L'UTMB est une véritable entreprise aujourd'hui...
Dès la deuxième année, nous avons reçu plus de 1 600 demandes. On s'est rapidement rendu compte qu'on avait atteint les limites du bénévolat, car il fallait pouvoir s'y consacrer à temps plein. Partis de 1 temps plein à l'année, aujourd'hui nous sommes 7 personnes à l'année à temps plein qui sur la communication, qui sur la logistique, qui sur la qualité des parcours. Par ailleurs, pour atteindre une qualité optimum et réunir les talents dans tous les domaines que nous touchons,on travaille en réseau pour être à la pointe voir même innover sur les secours, sur le suivi de course, sur la communication, sur les images, sur la chronométrie et, aujourd'hui, sur le développement durable. Depuis janvier dernier, sous l'impulsion du ministère des sports et de WWF France, l'UTMB, comme vingt organisateurs de grands événements sportifs internationaux, s 'est ainsi engagé à respecter une charte ambitieuse qui place l'événementiel sportif au cœur des pratiques éco-responsables (alimentation et les achats responsables, tri des déchets, maîtrise des consommations d'eau et d'énergie, mobilité durable, préservation de la biodiversité). On travaille ainsi avec 23 prestataires spécialisés et nos 47 partenaires sont impliqués dans l'organisation. Notre organisation est bicéphale en réunissant une entreprise et une association. Ainsi à la fin aout,2 000 bénévoles rejoignent l'organisation dont 300 personnels de santé,un plan de transports en commun important et ambitieux permet de transporter 16 000 personnes,nous limitons les transports aériens à deux hélicoptères, 1 pour notre production d'images et la logistique, l'autre pour les secours...
"On estime à plus de 7,5 millions d'euros les retombées économiques de l'UTMB"
Quelles sont les retombées économiques de l'UTMB ?
On les estime à plus de 7,5 millions d'euros. Réparties sur la semaine de l'UTMB, elles représentent 1 million d'euro par jour. Une image parle d'elle-même : jusqu'en 2008, la dernière semaine d'août, les hôtels pratiquaient des tarifs de saison basse. Depuis 2008, les tarifs sont ceux de saison haute, voire très haute. Le directeur de l'Office de tourisme de Chamonix dit d'ailleurs que c'est désormais l'une des deux semaines les plus chargées de l'année. Pour le Super U de Chamonix, partenaire dès la première édition, cela représente 30% de chiffre d'affaire en plus. Et je ne parle pas du reste de l'année. En effet, la majorité des trailers pratiquent d'autres sports outdoor en particulier le ski, la montagne... et sur 87% des participants de l'UTMB qui indiquent revenir dans le Pays du Mont-Blanc près de 34% projètent un séjour pour faire du ski et plus de 20% pour faire de la montagne.
L'UTMB est devenu le premier événement sportivo-commercial de la vallée de Chamonix. Peut-on parler d'événement patrimonial ?
A mon avis oui, en tous cas c'est un objectif ! Pour moi, la discipline du trail-running doit forcément être ancrée dans son territoire. Si on ne motive pas ses habitants à accueillir,, à participer, si on ne les implique pas, ça ne marche pas. On a par exemple permis d'entretenir pas mal de chemins. Au départ, le GR du Tour du Mont-Blanc ne passait ni par Saint-Gervais ni par Vallorcines. Les communes ont compris l'intérêt que l'UTMB passe par chez elles et ça a changé la voie habituelle du GR TMB. Idem pour la TDS (NdlR, Trail des Ducs de Savoie, 119 km 7250 D+, l'une des cinq courses de l'événement UTMB) : des chemins ont été créés dans le Beaufortain. L'UTMB a donc une influence importante sur le volet patrimonial. Quand on parle du pays du Mont-Blanc, on parle à la fois du site mais aussi de la vie des gens qui y vivent.
Le trail, c'est quand même un sport tourisme. Ce que sont les marathons aux villes, le trail l'est pour "l'arrière-pays". Aujourd'hui, un coureur vient avec 2,13 accompagnants. Cela fait 17 000 accompagnants qui s'ajoutent aux 8 000 coureurs. Mais ce qui est nouveau, c'est le public. On attend 50 000 visiteurs, sans parler des milliers d'internautes qui suivent l'événement de tous les coins de la planète sur l'UTMB®TV et se créent l'envie de venir un jour découvrir le Pays du Mont-Blanc.
"Pour participer à l'UTMB, il faudra forcément faire évoluer le système à un moment donné"
En 2007, pour la 5e édition de l'UTMB, les inscriptions ont été complètes en 10 heures. En 2008, il n'a fallu que 8 minutes pour que les dossards de la course reine soient épuisés. Du coup, pour gérer ces demandes, vous avez dans un premier temps demandé aux coureurs de justifier d'une expérience de deux courses de 50 kilomètres ou d'une course de 80 kilomètres. En 2009, vous avez mis en place un tirage au sort et un système de points de qualification. De 4, vous êtes passé à 5 en 2011, 7 en 2013, 8 en 2015 et 9 en 2016. Va-t-il falloir encore plus de points dans les années à venir pour pouvoir participer à l'UTMB ?
Le système actuel de l'UTMB est le suivant : pour pouvoir prétendre au tirage au sort, il faut un nombre de points suffisants selon la course. Si on a augmenté le nombre de points nécessaires, c'est parce les trailers progressent et qu'on a dépassé le tirage au sort de 1 sur 2. Autrement dit, un coureur n'a aujourd'hui plus que 50% de chances d'avoir un dossard. Le règlement prévoit que si un coureur n'est pas tiré au sort la première fois, il aura deux fois plus de chances l'année suivante et 100% de chances la troisième année. Or, avec le nombre exponentiel de demandes (5 500 demandes pour 2 300 places pour l'UTMB en 2016), ce n'est plus possible. Il faudra forcément faire évoluer le système à un moment donné, peut-être repousser la garantie d'avoir un dossard au bout de 4 ou 5 ans. Mais probablement pas le nombre de points...Pour les « points montagne » je ne sais pas encore... c'est aujourd'hui difficile de demander à un coureur qui habite un pays plat une expérience montagne. Mais le système de points a un intérêt, c'est de toucher le plus de monde possible. Grâce à cette évaluation pragmatique et sérieuse des courses faite par l'ITRA, aujourd'hui, 3 185 courses réparties dans le monde entier permettent aux coureurs d'acquérir des points pour se qualifier. Ce système nous permet de définir des règles d'inscription les plus équitables possibles tout en ne dépassant pas la capacité des sentiers et en évitant que des coureurs traversent la planète pour venir s'entasser dans des bouchons.
À ce propos, plusieurs sites se sont fait l'écho, en juillet dernier, d'une polémique sur la qualification à l'UTMB de Kilian Jornet et la Hardrock 100. En gros, comme le trail américain refusait de payer l'adhésion à l'ITRA (organisme qui permet notamment d'évaluer des courses et de leur attribuer des points, NdlR), le champion espagnol se retrouvait en manque de points pour pouvoir participer à l'UTMB...
Il n'y a jamais eu de polémique. Il s'agit simplement d'une incompréhension. Avant que l'ITRA (International trail running association) n'existe, c'était l'organisation de l'UTMB qui évaluait la difficulté des courses et leur attribuait un certain nombre de points pour pouvoir participer à l'UTMB. Il y avait alors 800 courses évaluées « approximativement ». Quand l'ITRA est née, en 2013, l'UTMB y a logiquement adhéré immédiatement. Quand une organisation adhère à l'ITRA, cela inclut plusieurs services dont l'évaluation de ses course, mais pas seulement... Il y a aussi entre autres, un guide de sécurité, l'indice de performance, la politique de santé, la publication d'un calendrier international...). Cette adhésion implique logiquement pour l'organisateur, une cotisation calculée selon le nombre d'inscriptions à ses courses. Aujourd'hui le montant de la cotisation se situe entre 50 euros et 500 euros par an. Si la Hardrock devait adhérer à l'ITRA, cela lui coûterait 50 euros annuels. Elle n'a pas souhaité adhérer à l'ITRA.
Parmi les services proposés par l'ITRA il y a donc l'évaluation des courses basée sur la fourchette kilomètre/dénivelé positif. L'UTMB s'est logiquement pliée à cette évaluation extérieure. Pour autant, chaque organisateur reste maitre de ses règles d'inscription, et nous n'avions pas encore été confrontés à cette question Nous connaissons Killian, et nous connaissons aussi la Hardrock 100 (pour la petite histoire, l'UTMB est sur la liste des 24 courses qualificatives de la Hardrock 100). On sait que grosso modo, c'est la même chose en termes de difficultés que l'UTMB, donc 6 points, le maximum. On a donc décidé qu'à partir de 2015 la Hardrock donnerait 6 points aux coureurs qui l'ont terminé, dont Killian.
"2017 est le plus beau plateau élite depuis la création de l'UTMB"
Kilian Jornet sera donc sur la ligne de départ de l'UTMB, qu'il a remporté trois fois, avec le beaujolais Francois d'Haene et le Savoyard Xavier Thévenard tous deux double vainqueurs de la course. Sans compter les Américains... C'est un plateau élite sacrément relevé !
C'est le plus beau plateau élite depuis la création de l'UTMB. On a la crème des coureurs hommes et femmes, selon l'indice de performance ITRA. Ça va être un sacré challenge ! Pour Kilian, François et Xavier, les trois ont toujours fini 1er lors de leur participations. Donc, cette année, on en aura au moins deux qui vivront une nouvelle expérience de ne pas terminer 1er !
Comment voyez-vous l'UTMB ans 10 ans ?
Entouré de la famille des « by UTMB »...Cela fait longtemps qu'on nous demande de créer des franchises UTMB®. Les premiers ont été les Japonais avec l'Ultra-Trail du Mont-Fuji (UTMF). On les a aidés. Mais on s'est rendu compte que l'image de l'UTMB ne devait pas être associée à des événements dont les standards se qualité dans tous les domaines de l'événementiels n'étaient pas certains. C'est une façon de ne pas tromper les coureurs. On a mis en place un cahier des charges complet prenant en compte plusieurs critères : la crédibilité sportive, l'engouement populaire et l'implication des habitants locaux, la dimension événementielle, l'invitation au voyage, la capacité des infrastructures internationales, une organisation locale et indépendante bénéficiant du soutien des autorités locales... Chaque événement devra être populaire et organisé en pleine nature et dans un endroit de « mythique ». Il devra être une invitation au voyage et à la découverte. Le site doit être attractif touristiquement et bénéficier d'excellentes infrastructures. L'événement doit comprendre plusieurs distances (dont au moins un 100 miles) accueillant chaque année plusieurs milliers de participants venus du monde entier. Il faut également que la sécurité soit traitée de manière qualitative, on sera attentif sur l'accueil des journalistes, la qualité des ravitaillements, le choix de barrières horaires équitables et pas complètement explosantes, la qualité de la communication, la prise en compte des accompagnants, etc... mais aussi et surtout au respect des valeurs qui sont les nôtres sur l'UTMB...
Le GaoLiGong by UTMB®, en Chine, sera le premier à voir le jour en mars 2018...
La Chine et le Japon font partie du top 10 des nations les plus représentées à l'UTMB. La croissance du nombre de coureurs chinois, japonais et asiatiques en général qui viennent participer à l'UTMB et qui pratiquent cette discipline sportive est tellement forte, qu'il fallait bien qu'il existe quelque chose chez eux, et nous avons des demandes fortes.
"On se donne la possibilité d'accorder 5 labels « by UTMB» par continent."
Quel sera le nombre de franchises que l'UTMB accordera ?
Il y aura deux niveaux : soit "by UTMB", soit "UTMB XX" selon le continent. On se donne la possibilité d'accorder 5 labels "by UTMB" par continent. Après cette première étape et selon des critères de qualité plus importants, le meilleur événement de chaque « continent pourra, s'il le souhaite, accéder au niveau UTMB. L'Europe est évidemment sacralisée avec l'UTMB Mont-Blanc qui restera la "locomotive". Mais il n'y aura pas plus de coureurs sur chaque course car on est au sommet de ce que chacune peut absorber. Et le but n'est pas que les coureurs se retrouvent dans des embouteillages sur les sentiers, cela gâcherait leur expérience et aussi les sentiers et le magnifique environnement dans lequel ils évoluent. Le maître-mot de l'UTMB est l'émotion positive, et ce que nous souhaitons le plus est d'offrir à chacun qu'il soit coureur, ami, bénévole, partenaire, média... une expérience personnelle inoubliable, qui pour beaucoup est gravée dans la mémoire comme un nouveau départ.