Comment Oorace a trouvé la recette de l'achat impulsif

Oorace n’a pas attendu la fusion Auvergne-Rhône-Alpes pour opérer une parfaite collaboration entre les deux régions. Installée à Lyon et Clermont-Ferrand, cette start-up commence à s’imposer dans le secteur de la recommandation grâce à des concepts à mi-chemin entre algorithmes mathématiques et sciences cognitives.

Contrairement aux idées reçues, les créateurs de start-up ne sont pas toujours des petits génies à peine sortis de l’adolescence qui commencent dans le garage de leurs parents. Olivier Figon et Jean-Luc Marini ont décidé de monter leur entreprise de nouvelles technologies à plus de 50 ans. Avec Oorace, ces geeks seniors ont fait le pari d’une vie, abandonnant tous deux leur travail pour se lancer dans l’inconnu, alors qu’ils ont famille, enfants et même petits-enfants. Leur start-up va révolutionner la recommandation grâce à une approche inédite qui mêle algorithmes mathématiques et sciences cognitives. Grâce à ce mélange, Oorace a réussi à trouver la recette pour déclencher l’achat impulsif.

Une thèse qui tape dans l’œil de Google et Yahoo

Avant de lancer leur start-up, début 2011, Olivier et Jean-Luc cultivent une solide amitié depuis vingt ans,qui tient malgré la distance. Le premier est en Chine, où il accompagne et conseille les industriels, le second est président d’une société de systèmes et réseaux. À l’approche de la cinquantaine, Jean-Luc décide de faire une thèse. Son sujet : la "sérendipité psycho-cognitive", ou l’art de trouver une autre chose que celle que l’on cherchait, et le plaisir qui en découle. Lors de sa soutenance, le 30 septembre 2010, les deux hommes se retrouvent. Ils ont même un projet d’académie dédiée aux sciences et nouvelles technologies. Celui-ci n’aboutira pas, l’Université de Lyon n’étant pas convaincue.Quelques mois plus tard, Jean-Luc reçoit un message de Nelson Mattos, patron du centre de recherche de Google, qui souhaite avoir les algorithmes de sa thèse. Ils sont ensuite sollicités par Yahoo. Les deux amis comprennent qu’il y a quelque chose à faire.

Un refus à plusieurs millions d’euros

Ils créent leursociété avec 500 euros de capital. Grâce aux contacts d’Olivier en Chine, ils obtiennent rapidement un rendez avec Robin Li, patron de Baidu, le Google chinois. La réunion est,comme le veut la tradition chinoise, noyée sous l’alcool. Au fond de la salle, une femme mystérieuse écoute ; elle ne posera qu’une question : "Qu’en pense Google ?" Réponse des intéressés, qui savent que Baidu est proche du pouvoir chinois: "Google s’intéresse à la thèse, c’est tout !". Olivier raconte la suite : "On a évoqué ensemble la possibilité de développer le concept en Chine pour quelques millions. Nous étions surpris : les Chinois ont une vision très hardware, le software, ça ne vaut pas grand-chose à leurs yeux. Là, on a une thèse et même pas la technologie…des millions,c’est énorme!" Hilare, Jean-Luc continue : "On s’est excusé et on est allé aux toilettes histoire d’échanger. On a décidé tous les deux de refuser la proposition, tout en le faisant de façon polie pour ne pas fermer la porte."

Un retour difficile à la réalité

De retour dans l’Hexagone, ils vont vite déchanter,raconte Olivier: "On pense que ça va être facile, qu’on va lever des fonds comme ça… En fait, non. On ne mesurait pas le chemin, on ne venait pas du monde des éditions logicielles." Alors qu’ils ont refusé plusieurs millions,juste pour des idées, ils vont devoir travailler d’arrache-pied pour les mettre en application. Olivier se souvient des débuts difficiles : "Pas de garage, mais un appartement du 3e arrondissement pour commencer. Jean-Luc se met à coder. On a un premier prototype basé sur le moteur de recherche Bing. En plus des résultats classiques, on crée un décalage qui donne des réponses inattendues." Jean-Luc,fier, complète son ami : "Trouver ce qu’on ne cherche pas à l’origine apporte plus de satisfaction, ce qui peut déclencher l’acte d’achat. On est pertinent, car on n’est pas pertinent. On induit du décalage. Au lieu de proposer une coque quand quelqu’un achète un smartphone, on va renvoyer vers un voyage." Malgré les apparences, rien n’est laissé au hasard : "On ne va pas sortir n’importe quoi.On s’intéresse à l’état d’esprit de l’internaute, notamment quand il est dans une phase d’errance. Si on lui donne un résultat qui le surprend, cela déclenche une émotion, donc une décision d’achat."

Le mélange parfait d'algorithmes et de sciences cognitives

Leur technologie est parfaite pour le secteur de l’e-commerce. Grâce à une équation entre algorithmes et sciences cognitives, ils ont trouvé la recette de l’achat impulsif. 3 millions d’euros ont été levés depuis le début de l’aventure. Jean-Luc et Olivier ont un point fort : leur âge –"On nous fait plus confiance, expliquent-ils en chœur, car on a eu des parcours en entreprise, c’est plus difficile pour des jeunes qui débutent et qui n’ont pas fait leurs preuves". L’entreprise s’est même offert les services d’un directeur artistique, la forme et la présentation du résultat étant importantes pour déclencher un wow effect. Les clients ont suivi. Oorace a déjà convaincu Pecheur.com, une filiale de Decathlon. La start-up emploie une douzaine de personnes entre Lyon et Clermont-Ferrand et ses deux fondateurs se payent déjà. Loin de s’arrêter là, ils ont choisi de pousser leur révolution hors du Web.

Retrouver les recommandations du web dans le monde physique

Oorace a choisi de décliner ses concepts dans les commerces physiques grâce à des beacons ultraprécis. Ces capteurs développés en interne sont capables de suivre un client à quelques mètres dans une boutique en repérant son smartphone dans l’espace (avec l’accord de l’utilisateur). Decathlon, convaincu par le concept, le présente depuis fin octobre dans l’un de ses magasins à Villeneuve-d’Ascq."On fait du online to offline. C’est le rêve des vendeurs : boucler la boucle”, indique Olivier. Le procédé va être testé à grande échelle. En juillet, Oorace a signé un contrat avec l’aéroport de Shanghai et ses boutiques pour accompagner les voyageurs de l’achat du billet jusqu’à l’arrivée à destination. Par le biais d’une application, ceux-ci reçoivent des recommandations inattendues. L’objectif est toujours le même : déclencher l’achat impulsif.

La boîte de Pandore ?

Avec leur recette capable de suggérer des envies aux clients avant même qu’ils les aient formulées,Jean-Luc et Olivier ont-ils ouvert une boîte de Pandore ? Les deux hommes tempèrent: "En France,nous avons la CNIL. Nous ne lisons pas dans l’esprit des gens. Nous voulons être cohérents. Notre technologie évite le matraquage et les mauvaises propositions lors de la navigation." Olivier pointe même un paradoxe : "D’un côté, des gens mettent tout sur Facebook, mais ils ne veulent pas être tracés." En attendant, les deux patrons jouent la transparence : "On demande toujours l’accord des clients. L’éthique est importante. On est vieux, c’est pour ça" (rires).

En attendant, ils ne souhaitent pas se limiter aux e-commerces, le champ de leurs découvertes est infini, rappelle Olivier : "On a eu des contacts avec le vice-président de BioMérieux en Asie, des ingénieurs de Boeing China pour la vérification des appareils. Partout où il y a un humain, il y a un terrain de jeu. On rêverait d’aller sur des domaines avec des objectifs complètement différents, comme l’amélioration du diagnostic médical, sauver des vies… Mais on n’aura peut-être pas l’occasion de voir l’explosion de ce genre de concept. Tant pis, on aura au moins eu le sentiment d’ouvrir une voie." La prochaine étape pour Oorace en 2016 est d’ajouter du jeu dans le processus. Si un jour une start-up d’Auvergne-Rhône-Alpes est rachetée plusieurs millions, voire milliards, il se pourrait bien qu’il s’agisse d’Oorace.

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