Édito – Imaginez un monde où vous pouvez acheter un livre, mais n'avez pas le droit de l'ouvrir ailleurs que chez vous. Avant de pouvoir le dévorer, il faut montrer patte blanche à plusieurs reprises, prouver qu'il s'agit bien d'un vrai. Pour tourner chaque page, il est obligatoire de rester à un endroit précis dans votre salon. Si l'ouvrage remarque que quelqu'un lit par-dessus votre épaule, il se ferme tout seul. Parfois, la fin n'est même pas au rendez-vous : il faut payer pour l'avoir. Attention, vous n'avez pas le droit de le prêter à un ami et surtout, au fond, il ne vous appartient pas. Ce monde choquant existe déjà : c'est celui du jeu vidéo.
Inlassablement, le joueur accepte les contraintes et les limites placées par certains éditeurs. L'envie de découvrir de nouvelles aventures prend souvent le pas sur les inconvénients. Pourtant, aujourd'hui, de nouvelles obligations font leur apparition, notamment avec la Xbox One. La nouvelle console de Microsoft est dotée de caractéristiques qui dérangent : obligation d'avoir la caméra Kinect connectée en permanence, de synchroniser sa console en ligne toutes les 24 heures, tandis que la question des jeux d'occasion est loin d'être réglée. De son côté, Sony n'a rien annoncé pour sa PlayStation 4, mais qui sait si le géant japonais ne réserve pas, lui aussi, quelques surprises.
A croire les éditeurs et constructeurs de consoles, toutes ces mesures viseraient à lutter contre le piratage et l'occasion, qui "feraient perdre de précieux revenus". Paradoxalement, les premières victimes de ces systèmes de "protection" sont les clients qui ont payé leur jeu. Les "punitions" ne manquent pas. Elles s'accumulent même parfois jusqu'à la nausée.
L'obligation de connexion
Première contrainte, bien connue sur PC : l'obligation de connexion. Pour s'assurer qu'il s'agit bien d'un jeu officiel, ce dernier doit être connecté en permanence au réseau, y compris lors d'une partie solo. Dans l'absolu, cette demande n'est pas difficile à accepter : nos consoles et PC sont quasiment toujours en ligne. Cependant, deux problèmes restent : que font ceux qui n'ont pas toujours envie d'être connectés ou qui ne peuvent pas l'être ? Et surtout que se passe-t-il quand les serveurs du jeu sont saturés ou tout simplement fermés par l'éditeur ?
Deux exemples récents ont prouvé que la connexion permanente était une mauvaise idée : Diablo III de Blizzard et SimCity d'Electronic Arts. Dans les deux cas, les serveurs n'ont pas résisté le premier jour face aux nombres de connexions simultanées. Conséquence, il était tout simplement impossible de jouer. Les perturbations ont duré plusieurs jours, empêchant ceux qui ont déboursé 49 euros de profiter librement de leur achat.
Quand le piratage devient la seule solution pour jouer tout de suite
Parfois, cette obligation de connexion devient tellement contraignante que les honnêtes joueurs se tournent alors vers le piratage. L'exemple parfait reste Silent Hunter 5 d'Ubisoft. A cause d'un problème du serveur d'authentification, seul capable de dire si le logiciel était un vrai ou non, les clients se sont retrouvés dans l'impossibilité de jouer. Certains ont alors récupéré un fichier pirate pour pouvoir lancer le jeu acheté en toute légalité.
Face à une telle situation, Ubisoft a préféré abandonner la connexion permanente. Electronic Arts y pense aussi. Pour combien de temps ? Les nouvelles consoles comme la PS4 et la Xbox One pourraient remettre la fonction à la mode. Doit-on s'attendre à pester devant sa machine, ne pouvant pas profiter du dernier jeu à la mode car les serveurs sont saturés ? On n'ose imaginer la situation le jour du lancement d'un Call of Duty.
Et lorsque les serveurs sont fermés ?
Que deviendront tous ces logiciels qui nécessitent une connexion Internet quand les éditeurs décideront de ne plus assurer le support des serveurs ? Aujourd'hui, le dernier SimCity a besoin d'être toujours relié au réseau, mais dans dix ans, la plateforme d'authentification et de jeu existera-t-elle toujours ? Sorti en 2003, son grand frère Sim City 4 bénéficie encore d'une grande communauté de fan. Heureusement pour eux, le jeu ne doit pas être toujours relié à Internet. Mais pour les autres logiciels, ceux accrocs à la connexion : ont-ils une date de péremption inconnue de tous, y compris des éditeurs qui fermeront les vannes quand cela ne sera plus intéressant financièrement ?
Impossible de revendre ses jeux
Nouvel ennemi à abattre : le marché de l'occasion. En effet, ce dernier permet aux revendeurs d'engranger des revenus, tout en excluant les éditeurs du circuit. Or, pour certains d'entre-eux, un jeu acheté sur le marché de l'occasion est une vente en moins sur celui du neuf.
Un outil simple et efficace existe pour tuer l'occasion : lier chaque jeu à une console ou un PC. Dans ce cas-là, la revente devient difficile pour ne pas dire impossible. Nous sommes déjà dans cette configuration avec la plateforme Steam sur PC. Une fois enregistré, le logiciel ne peut plus être revendu. De même, les jeux dématérialisés, achetés en ligne sur le Xbox Live, le Sony PSN, et même le Google Play ou l'App Store d'Apple sont également dans une situation identique : une fois achetés, impossible de les revendre. Ils sont littéralement liés à nos comptes et ne peuvent même pas être prêtés à des amis. Cela pose également une autre question : si nous ne pouvons pas faire ce qu'il nous plaît avec nos jeux, sont-ils vraiment à nous ?
L'effet inattendu de la fin de l'occasion
Dans un monde où le jeu vidéo prend parfois des allures de produit jetable : vite fini, vite revendu, les barrières visant à supprimer le marché de l'occasion pourraient bien avoir un effet inattendu.
Ainsi, il est plus simple pour un client d'acheter un jeu à 60 euros qui se termine en moins de dix heures, tout en ayant l'espoir de le revendre rapidement par la suite. Forcement s'il n'est plus possible de s'en débarrasser, le joueur pourrait réfléchir à deux fois avant de craquer. La fin du marché de l'occasion pourrait donc pénaliser cette multitude de jeux moyens que l'on achète quand même, malgré une durée de vie médiocre ou quelques gros défauts. Paradoxalement une telle mutation pourrait également encourager le piratage. Comment vont réagir les joueurs qui financièrement ne peuvent pas s'acheter des jeux neufs et se tournent automatiquement vers l'occasion ? Faute d'une alternative à petit prix : ils pourraient alors décider de télécharger illégalement pour profiter des derniers jeux sortis. Tout le monde n'a pas les moyens de s'offrir un jeu récent, vendu entre 60 et 70 euros neuf.
Et demain ?
Le futur n'est pas des plus radieux, en témoigne ce brevet de Microsoft pour Kinect dévoilant une fonction inquiétante. D'après ce document, lors de la lecture d'un film, la caméra pourrait être capable de repérer combien de personnes sont présentes devant la télévision et couper la lecture si le nombre est supérieur à une limite autorisée. Pour continuer de profiter du film avec plusieurs amis, il faudrait alors payer une somme non définie. Peut-on imaginer alors un triste avenir où les jeux seront liés physiquement à nous ? Quand la console ne reconnaîtra pas notre visage, aucun logiciel ne se lancera ? Techniquement cela est déjà possible.
Trouver des alternatives intelligentes
La course à la sécurisation et aux obligations pénalisent avant tout le joueur honnête qui achète inlassablement ses jeux. Rares sont les industries à "punir" autant leurs clients, leur imposant des contraintes parfois surréalistes. Certains éditeurs et développeurs plus respectueux inventent des modes de contrôles originaux, et qui plus est, réellement efficaces.
Ainsi, dans Serious Sam 3, les pirates sont pourchassés par un scorpion impossible à tuer. Game Dev Tycoon est allé encore plus loin encore. Tous ceux qui ont téléchargé illégalement ce logiciel, permettant de gérer virtuellement son studio de jeu vidéo, se retrouvent face à un problème de taille : les jeux commercialisés sont alors massivement piratés, entraînant la faillite de l'entreprise que l'on dirige.
Avec l'arrivée des nouvelles consoles de jeu, un tournant majeur est face à nous. Allons-nous nous diriger vers plus de barrière, quitte à faire parfois payer les pots cassés aux joueurs ou bien les éditeurs vont-ils se souvenir qui est le client ? Vouloir détruire le piratage est une chose, mais une telle entreprise ne doit pas se faire au détriment de ceux qui respectent les règles. Éditeurs de jeux vidéo : pour l'instant, nous achetons et vous nous punissez quand même, mais pour combien de temps encore ?