Si l'intrigue peut paraître un peu brouillonne, le roman passionnera forcément tous ceux qui suivent la vie politique et culturelle lyonnaise.
Lyon Capitale : Pour la première fois, vous signez un roman, Mortelle Résidence, dont l'action se déroule à Lyon. Pourquoi ce choix ?
Romain Slocombe : J'ai été invité en 2002 pendant 15 jours aux Subsistances, pour "Body limits", l'événement qui devient "Une affaire de corps" dans le roman. Je suis photographe, je travaille pas mal autour du corps blessé. Ça a été aussi l'occasion de faire une performance avec une jeune artiste japonaise habitant à Lyon, Yoko Higashi. Sa personnalité a beaucoup influencé mon personnage. C'est elle sur la couverture.
Les Subsistances sont d'ailleurs un peu le personnage principal du roman...
Oui, d'où le titre, Mortelle résidence. Le point commun à tous les événements, c'est un lieu maudit. J'ai beaucoup aimé l'endroit. Mais ça ne fonctionnait pas très bien. Les tensions que je décris étaient réelles. Pour le moindre truc, il y avait de la paperasse... C'était l'horreur ! L'initiatrice de l'événement, la performeuse lyonnaise Marie-Claire Cordat, était complètement exploitée, mal payée. Les plus mauvaises vibrations venaient de l'administration. Ces gens étaient glaciaux avec les artistes. Et le restaurant ! Pas possible de négocier une bière... (rires)
La ville vous invite, et vous ne le lui rendez pas bien dans votre roman !
Au contraire. Quand j'ai décidé de faire un roman à partir de cet événement, des artistes d'art contemporain perdus dans cette résidence, je voulais lui donner un côté policier, et fantastique. J'ai fait des recherches pour découvrir ce qui aurait pu se passer aux Subsistances. Et j'ai découvert les massacres de la Révolutions française, la répression jacobine de Lyon. C'est une façon de rendre justice à la ville, car cet épisode historique est ignoré à Paris.
Dans votre roman se croisent les nazis, Pinochet, l'ordre des templiers, des pédophiles... N'est-ce pas un peu trop ?
J'aime bien mettre ensemble des choses qui a priori n'ont rien à voir entre elles. J'avais envie de faire un roman très foisonnant, sadien, sur la violence et l'inhumanité. Un roman sur un lieu, une ville, mais aussi sur les persécutions. Celles de droite, et celles de gauche. Dans le roman, je cite une pensée des mystiques soufis : "Quand le juste persécute le méchant... Dieu est du côté du persécuté."
La sortie de ce livre, pas tendre avec la politique lyonnaise, juste avant les municipales... Est-ce une coïncidence ?
Elle est plutôt heureuse. J'ai voulu égratigner tout le monde. Je n'aime pas trop les politiques en général. C'est là où convergent toutes les ambitions personnelles, les égoïsmes, les gens qui se font du fric... Je suis de gauche, mais on est souvent trahi et déçu par la gauche. Moins par la droite qui, elle, annonce la couleur... Pour mon roman, je voulais qu'il y ait une atmosphère de scandale. J'avais appris la manière dont il y avait eu des pressions sur Lyon Capitale, au moment de la démission de Patrick Bertrand... J'ai appris aussi que vous subissez des pressions de la préfecture en ce moment ! Ça m'intéressait d'avoir un journal indépendant, qui se bat contre des pressions qui viennent de la gauche et de la droite. J'ai trouvé votre histoire passionnante...
Vous allez vous fâcher avec la mairie...
Je ne le souhaite pas particulièrement. Mais ce qui est drôle, c'est que je suis invité à Quais du Polar, fin mars... Les auteurs aiment bien que leurs livres soulèvent un peu de passion. Ça m'amusait de parler du maire, sans jamais le nommer. Qu'il ait une présence un peu mystérieuse, comme ça arrive souvent dans les romans noirs américains... Mais Collomb sera réélu facilement, non ? Tant mieux car personnellement, je déteste la droite rance, type Perben. Et la seule chose dont j'ai souffert à Lyon, c'est la mesquinerie de la bureaucratie.
Ne prenez-vous pas des risques en vous appuyant sur des personnages réels ?
J'ai précisé à la fin du roman qu'il s'agit d'une œuvre de pure fiction. Je ne sais même pas si mon éditeur me l'aurait demandé. Paris et Lyon, c'est tellement éloigné qu'un éditeur parisien, à mon avis, ne s'inquiète pas trop de savoir si le livre peut nommer quelqu'un à Lyon...
Vos personnages, surtout féminins, ont une certaine perversion sexuelle...
En tant que photographe, je travaille sur les fétichismes et les perversions. Je recueille pas mal de confidences de mes modèles. Je suis toujours très intéressé par ce que les femmes ont à raconter sur le sujet. Dans le cas de Laure Fortier, c'était pour lui donner un peu de complexité, de mystère. La journaliste de gauche qui s'attaque aux négationnistes, c'est un peu trop série TV ! Qu'elle éprouve malgré elle une attirance érotique pour un nazi, je trouvais ça intéressant. Ils peuvent avoir aussi une image séduisante.
Pour écrire ainsi sur la perversion, ne faut-il pas être soi-même pervers ?
Les artistes sont des pervers déclarés. Tout le monde est quelque part en déviance par rapport à la normalité. Quand on n'a pas la chance ou le pouvoir de s'exprimer, par la photo, l'art, la vidéo, on est forcé de vivre avec ses propres obsessions sans les déclarer à son entourage. Alors que l'artiste a le droit et le devoir d'être impudique !
Une actu chargée
En même temps que Mortelle résidence, Romain Slocombe publie Qui se souvient de Paula ? aux éditions Syros, "un polar pour adolescents, situé à Lyon et à Paris sous l'Occupation." Cette semaine sort aussi le dessin-animé pour adulte Peur(s) du noir (lire p.15) auquel il a participé comme scénariste. Il apparaîtra enfin le 21 mars dans un documentaire d'Arte (22h30), pour son travail de photographe cette fois, autour des corps blessés.
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