Interview. Masami Kimura est un homme d'affaires de Nagasaki, au Japon. Féru de gastronomie, il a ouvert, en France, quasiment coup sur coup, les trois restaurants Au 14 Février : à St Valentin, dans l'Indre, rue Mourguet dans le Vieux-Lyon et, il y a quelques mois, à Saint-Amour, dans le Beaujolais. Le guide Michelin vient de récompenser d'un macaron son dernier né de Saint-Amour. Les trois tables de Kimura sont désormais toutes étoilées. Une prouesse.
Lyon Capitale : Masami Kimura, tout le monde connaît vos restaurants français. Mais vous, qui êtes-vous ?
Masami Kimura : Mon activité professionnelle au Japon est centrée autour du conseil en projets commerciaux pour les établissements de restauration et les établissements hôteliers. En outre, je suis directeur général d’une entreprise qui assure la formation des organisateurs de mariage. En 2014, plus de 50 restaurants et hôtels au Japon collaborent avec notre entreprise. Entre 4 000 et 5 000 couples par an ont célébré une cérémonie de mariage d'un un restaurant ou un hôtel partenaire.
Avant d'ouvrir vos propres restaurants, qu'avez-vous fait ?
À partir du milieu des années 1970, je suis entré dans le monde professionnel de la restauration au Japon, et j’ai participé à la gestion d’un restaurant franchisé. À partir du milieu des années 1980, vers l’âge de 20-25 ans, j’ai voyagé seul en Australie et dans le Pacifique Sud, et, tombé sous le charme de la Polynésie française, j’ai commencé à travailler sur place dans l’Office du Tourisme de Polynésie Française. J’ai participé à des activités de développement de cérémonies de mariage dans une station touristique, ainsi qu’à des activités visant à attirer les touristes japonais.
Durant ces 7 années au cours desquelles j’ai vécu en Polynésie française, j’ai acquis des connaissances sur la culture et la cuisine françaises, ainsi que sur le vin.
À partir de la fin des années 1990, j’ai participé à de véritables activités de cérémonie de mariage à Tokyo, et développé des activités de cérémonie de mariage et de repas de noces, associées au vin, dans le style européen.
Mariage, Saint-Amour, vin... le village beaujolais était tout trouvé pour vos affaires !
En 1998 a débuté notre collaboration avec le village de Saint-Amour. Nous avons commencé à importer du vin de cette région. Nous avons également commencé à collaborer à partir de 2000 avec le village de Saint-Valentin dans le centre de la France, et lancé des activités visant à attirer les couples japonais en voyage de noces, ayant célébré leur cérémonie de mariage - dans le style européen - au sein des établissements partenaires au Japon. Nous avons réussi à attirer de nombreux touristes japonais au village de Saint-Valentin ainsi qu’au village de Saint-Amour.
Dans le même temps, nos activités visant à la diffusion du vin français se sont élargies et, à la demande des régions Champagne, Loire et Beaujolais, nous avons, avec les 50 entreprises de notre groupe, fait la promotion du vin français, tout en nous efforçant d’utiliser des produits du terroir français dans les repas de noces des 50 entreprises.
Vous aimez la France et la France semble bien vous le rendre...
Cette contribution de notre part a été reconnue, et j’ai reçu en 2003 de la part du village de Saint-Amour le titre de citoyen d’honneur, puis le même titre l’année suivante de la part du village de Saint-Valentin.
Notre contribution à la diffusion des produits du terroir français, dans les restaurants des entreprises du groupe au Japon également, a été reconnue, et l’Ordre du Mérite agricole m’a été décerné par le gouvernement français (l’Ambassade de France à Tokyo).
Influencé par mon séjour en Polynésie française vers l’âge de 25-30 ans, les cérémonies de mariage des Japonais étant par ailleurs également devenues « à l’européenne », j’ai recherché un endroit possédant un « lien » avec la cérémonie du mariage. J’ai alors moi-même commencé à établir des contacts pour collaborer avec les villages de Saint-Amour et de Saint-Valentin en France, et cela a abouti à la mise en place d’une relation de coopération.
C'est le maire de Saint-Valentin qui vous a d'ailleurs demandé de reprendre le restaurant du village...
Oui, à l’été 2004, nous avons reçu de la part de Pierre Rousseau, maire du village de Saint-Valentin, une proposition pour reprendre l’activité du restaurant du village, celui-ci ayant fermé. Cette proposition a également été faite à des personnes de la région habitant les environs. Mais dans la mesure où personne ne s’est proposé pour reprendre l’activité d’un restaurant d’un village de 280 habitants où le dépeuplement se poursuit, j’ai fondé par moi-même une société. En décembre 2005, le restaurant du village de Saint-Valentin a rouvert ses portes après rénovation.
Une équipe 100% japonaise, c'était le but ?
Pas forcément. Au moment de la réouverture, même en souhaitant recruter des personnes françaises pour travailler, nous n’avons pas réussi, dans cette zone rurale, à embaucher des personnes possédant une expérience. Nous avons alors sélectionné et recruté une équipe souhaitant travailler tout en apprenant la culture et l’art de vivre français, parmi les cuisiniers et sommeliers des établissements partenaires au Japon avec lesquels je pratique une activité de conseil.
Aujourd’hui, dans les grandes villes comme Paris, je pense que personne ne s’oppose à une cuisine française proposée par un chef japonais, mais à cette époque... Le restaurant n’avait pas de réservations, les journées sans client se succédaient, et, cela semble être une histoire drôle mais, désœuvrés, nous passions nos journées à jouer au ping-pong avec l’équipe.
Par ailleurs, concernant le nom du restaurant « Au 14 février », celui-ci étant situé en face de la rue du 14 février du village de Saint-Valentin, ce nom a été choisi.
Trois étoiles en trois ans. C'est important pour vous ?
En 2009, nous avons ouvert à Lyon le restaurant « Au 14 février Vieux Lyon ». En 2011, le restaurant a obtenu une étoile au Michelin, et l’année suivante, en 2012, le restaurant principal de Saint-Valentin a lui aussi obtenu une étoile, de même que le restaurant de Saint-Amour, en Beaujolais, ouvert au mois d’octobre de l’année dernière, et qui a obtenu une étoile au guide Michelin de cette année.
Le fait que les trois restaurants ont obtenu une étoile au guide Michelin a été un grand honneur, et dans le même temps, nous avons fait la publicité de ces résultats appréciés des restaurants également au sein des 50 entreprises partenaires au Japon. Les demandes en vin français ont ainsi augmenté de plus en plus, et nous sommes heureux d’avoir établi cette position dans laquelle nous pouvons aider les régions du Beaujolais et de la Loire.
La deuxième étoile est-elle un objectif ?
À présent, sans nous satisfaire de ces résultats, nous envisageons de poursuivre nos efforts afin que les restaurants obtiennent une deuxième étoile, et donnent du plaisir aux clients.
L’appréciation du guide Michelin est comme une décoration pour les équipes japonaises travaillant dans notre entreprise, et je suis certain que ces équipes, une fois rentrées au Japon, pourront, à partir de cette expérience accumulée en France, devenir des ambassadeurs culinaires contribuant à une transmission plus large de la culture française au Japon.
Quels sont vos autres projets en France ?
On me demande souvent quelle sera la prochaine étape de notre développement. Nous souhaitons pouvoir toujours poursuivre nos activités avec les régions. Si une région est susceptible d’avoir besoin de notre entreprise, nous sommes prêts à aller n’importe où, et à faire avancer les discussions avec sérieux et passion.
Avec l’ouverture d’un restaurant de notre entreprise, l’attrait des touristes japonais se met en place, ainsi que l’importation vers le Japon de vin et de produits du terroir : si l’attrait de nos restaurants semble apporter des résultats intéressants vis-à-vis de l’économie et des producteurs du village, nous souhaitons, autant que possible, apporter notre aide au développement de la région.