Gilles Fumey est géographe et spécialiste de l’alimentation. A l'occasion du Lyon Street Food Festival (15-18 juin), il revient sur nos mode de consommation.
Comment expliquer socialement le développement de la street food ?
Le changement de mode de vie fait qu’on a des générations décomplexées par rapport au repas, qui ont souvent été très peu pris en famille. Autrefois, les enfants vivaient dans un système familial éduquant. Il y avait la phase de rebelle et, ensuite, une fois en couple, ils reprenaient les recettes apprises des parents. Sauf qu’aujourd’hui, il n’y a plus de transmission. C’est ce qui est nouveau : les jeunes dont on parle ont très peu reçus des parents. Ils ont l’offre américaine, asiatique. Finalement, chaque génération réinvente sa manière de manger en fonction de ses modes de vie.
"Dans un pays où on patrimonialise la gastronomie comme les toiles de maître, agiter la vague du fast food nourrit la sidération comme l’invasion de l’Ukraine en Europe ou les criquets en Afrique!"
Et plus structurellement ?
La fermeture des restaurants pendant la pandémie Covid a cassé un certain nombre de codes. La restauration rapide s’est engouffrée dans cet espace temporel pour répondre à un besoin. La sociabilité ne s’exerce plus comme avant. La convivialité qu’on trouvait à table s’est déplacée un peu partout, elle se perd ou est diluée dans des relations moins contraignantes. Les restaurants, tels qu’ils avaient été conçus avec un système extrêmement normé – des tables agencées, des horaires réguliers et finalement pas mal de contraintes –, n’ont pas évolué, ou à la marge en faisant de la livraison. Ils ne se sont pas adaptés aux nouveaux modes de consommation.
"L’industrie alimentaire, Metro pour ne pas le nommer, a un peu plantés les restaurants avec ses plats surgelés à réchauffer au micro-onde"
Faut-il avoir peur de la street food ?
L’homme est paradoxal. Il est à la fois néophobe, il n’aime pas trop changer, a peur de ce qu’il ne connaît pas et, en même temps, il est néophile, c’est-à-dire qu’il est excité par la découverte. Dans un pays où on patrimonialise la gastronomie comme les toiles de maître, agiter la vague du fast food nourrit la sidération comme l’invasion de l’Ukraine en Europe ou les criquets en Afrique ! Il faut mettre ceux qui stigmatisent la malbouffe face à leurs responsabilités : si les restaurants sont désertés, c’est qu’ils ne sont pas bons. Ils n’ont pas su s’adapter à ces nouveaux modes de consommation. Et puis l’industrie alimentaire, Metro pour ne pas le nommer, les a un peu plantés avec ses plats surgelés à réchauffer au micro-onde, vus comme une panacée pour régler les problèmes sociaux. Cette industrie a scié la branche sur laquelle elle était assise.
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