Les intoxications alimentaires diagnostiquées chez les clients de trois restaurants classés parmi les meilleurs du monde, Noma, The Fat Duck et elBulli interrogent, alors que le palmarès 2013 du World's Best 50 Restaurants (les 50 meilleurs restaurants du monde) sera dévoilé dans la soirée du lundi 29 avril.
Jörg Zipprick est journaliste gastronomique pour de nombreux magazines. Dont le Stern allemand. Il est le premier à s'être indigné de la dérive moléculaire de la cuisine catalane, puis anglaise et aujourd'hui danoise. Dans un livre Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire (éd. Favre), il explique comment la “cuisine technologique et chimique” est devenue “la vitrine de l'industrie chimico-alimentaire”.
Le palmarès du classement des 50 meilleurs restaurants du monde, le World's 50 Best Restaurants, sera dévoilé en grandes pompes, ce lundi soir 29 avril, à Londres. René Redzepi, n°1 depuis 2010, a récemment dû fermer son restaurant de Copenhague, Noma, suite à une intoxication alimentaire. Que s'est-il passé exactement ?
Officiellement, le norovirus a encore frappé. Le norovirus est en train de devenir l'excuse générale, le croque-mitaine de la gastronomie. Car après 3 ou 4 jours, les médecins ne peuvent plus rien trouver.
Qu'est-ce qu'un norovirus ?
Le norovirus a été découvert pour la première fois dans les années 1960. Il provoque à lui seul la moitié des épidémies de gastro-entérite. Il se transmet par voie “orale-fécale”. On peut en trouver chez les animaux, comme les huîtres (ndlr : en février dernier, des huîtres creuses pêchées dans la Manche et vendues en France ont été contaminées en norovirus), dans les aliments, par exemple quand un cuistot ne s'est pas lavé les mains.
Ici, il s'agit d'intoxication dans des restaurants...
Oui, en l'espèce, pour ce qui est des intoxications alimentaires chez Noma, en février dernier, ou au Fat Duck, à Londres, en 2009, les deux chefs, René Redzepi et Heston Blumenthal, racontent qu'un membre du personnel a été malade et qu'il a contaminé les autres clients. Ce n'est absolument pas crédible car, primo, les novoviri sont très agressifs, secundo, le personnel du restaurant mange ensemble. Il aurait donc dû être contaminé. Or, cela n'a pas été le cas.
Conclusion : le norovirus n'est pas un problème.
Le Time a défendu René Redzepi en disant qu'en 2012, il y avait eu 22 cas de norovirus au Danemark. Mais ce n'est rien à l'échelle du pays ! En France, l'année dernière, il y a eu 9 cas recensés. C'est infinitésimal. Le norovirus n'a jamais été un grand problème pour la restauration. Au Fat Duck, il y a eu tellement de cas de clients malades, 519 ou 565, que des chercheurs en ont même fait un sujet de recherche à part entière...
Il n'a déclaré les intoxications qu’après un certain laps de temps qui ne permettait plus aux médecins de trouver quoi que ce soit. Mais le pire, c'est que la veille de la fermeture de son restaurant, il était applaudi sur la scène d'Omnivore (ndlr : un festival culinaire). C'est assez indécent, non ? À ce propos, il a refusé de dédommager les clients... tout en touchant un chèque de £204 043 d'Axa, car il était assuré. Il a simplement proposé aux clients victimes de nausées et de diarrhées de revenir manger chez lui. Mais ça ne lui ait pas venu à l'esprit de se mettre à la place de gens qui ont vomi pendant 3 jours et qui n'avaient pas forcément envie de revenir dans ce même restaurant qui leur a causé tous ces désagréments !?
Heston Blumenthal affirme qu'à sa réouverture, The Fat Duck affichait complet...
Dire que c'est complet, c'est du blabla. Ferran Adrià, le chef de elBulli, se vantait d'avoir plus de deux millions de demandes de réservations. Vous imaginez le nombre de réceptionnistes, de standardistes et de stagiaires qu'il faut pour dire non à 2 millions de personnes (rires) !
Quels sont les liens entre ces trois cuisiniers, René Redzepi (Noma, Copenhague), Heston Blumenthal (The Fat Duck, Londres) et Ferran Adrià (elBulli, Roses) ?
Blumenthal est très clairement inspiré par Adrià : ils utilisent les mêmes méthodes. Il voulait devenir l'Adrià anglais. Quant à Redzepi, il a travaillé chez Adrià. Il utilise les mêmes ingrédients mais avec des buts visuels différents. Ferran Adrià cherche un aspect chimique tandis que Redzepi, une assiette plus naturelle. Mais le concept est le même. Redzepi utilise d'autres ingrédients aussi comme l'instant food thickener...
"René Redzepi ne peut pas réussir un tartare de bœuf sans cet "instant food thickener" ! On marche sur la tête !"
L'instant food thickener, c'est quoi ?
L'IFT. On le donne à l'hôpital aux patients atteints de dysphagie, c'est à dire une sensation de blocage quand on avale quelque chose. C'est un épaississant, comme les autres additifs chimiques. Ce qui me rend triste, c'est que Redzepi, dans son livre Noma, démontre qu'il ne peut pas réussir un tartare de bœuf sans cet instant food thickener ! On marche véritablement sur la tête !
Noma, The Fat Duck et elBulli ont la particularité d'avoir été tous les trois n°1 du classement des meilleurs restaurants du monde. Qu'est-ce que ça vous inspire ?
Tous ces gens-là sont mis en avant par le 50 Best. Je suis désolé mais c'est sponsorisé par Nestlé et au final, on voit qu'il y a une grande proximité de ces chefs avec l'industrie agroalimentaire. C'est une cuisine technologique, une cuisine de chimiste alimentaire.
"Crevettes et fourmis vivantes dans l'assiette"
Médiatiquement, le 50 Best est un événement énorme...
Oui, ça marche extrêmement bien. Nestlé met tout à disposition des journaux, il y a même du live streaming, pour qu'ils reprennent l'événement. Pour moi, c'est là le danger. C'est ceux qui semblent les plus malhonnêtes qui réalisent le maximum de retombées médiatiques. Ça donne une mauvaise image de la cuisine, ça fausse le paysage.
Si vous regardez les livres de Ferran Adrià, de René Redzepi ou de l'Espagnol Quique Dacosta, ce sont des cuisiniers qui ont un très faible coût de matières premières. Pour le tartare de bœuf version Noma ou la sphérification version Fat Duck et elBulli, le food cost est proche de zéro.
Chez Noma, à Copenhague, il y a même un plat où le client doit cuire lui-même son œuf au plat. En guise d'amuse-bouche, il sert des crevettes vivantes (vidéo). Dans un gala, à Londres, il a même servi des fourmis vivantes sur un lit de crème fraîche.
"On paie la philosophie, pas la bouffe"
Peut-on encore parler de cuisine ?
Tous ces chefs, et les journalistes reprennent, racontent que c'est le fruit d'un énorme travail intellectuel. Autrement dit, on paie la philosophie, pas la bouffe.
Une “cuisine de bluff” comme vous l'écriviez dans votre livre Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire (éd. Favre, 2009) ?
Oui, une cuisine de bluff pour des gens qui ne connaissent pas la cuisine. Les jeunes critiques culinaires qui ont commencé leur carrière pendant la période “adrianesque” sont convertis à cette cuisine technologique et chimique. Peut-être que Redzepi ne sera plus n°1 cette année. Le 50 Best avait fait la même chose avec Heston Blumenthal. Ils l'avaient rétrogradé.
Mais ce dont personne ne parle c'est que René Redzepi a un patron, Claus Meyer : il fournit les cantines, les écoles et les maisons de retraite. Et puis il a un rôle de “conseiller alimentaire” dans la politique danoise. Il y a neuf ans, il avait eu l'idée d'écrire un manifeste pour la nouvelle cuisine nordique, le “nordysk mad”, un programme qui a reçu 5 millions d'euros d'aides d'argent public. Selon des chefs voisins, Noma (abréviation de nordysk mad) en a pas mal profité. Claus Meyer a pu partir aux quatre coins de la planète vendre son produit.
Appeler “produit” un restaurant, vous n'y allez pas un peu fort ?
Non, Noma est un concept. Récemment, Claus Meyer a essayé de vendre la nouvelles cuisine des Caraïbes à Trinité-et-Tobago. Il vient de signer en Bolivie pour la nouvelle cuisine bolivienne. Il vend des concepts, tout simplement. Dans ses écrits, il mentionne d'ailleurs un nombre incalculable de fois l' “industrie agroalimentaire”.
Tout est marketing alors. Mais revenons au départ, à la santé…
Adrià dit haut et fort qu'il se ne soucie pas de la santé de ses clients. Attendez que je vous retrouve la phrase... (il cherche) Voilà : “c’est hypocrite de dire que la mission de la gastronomie est de se soucier de la santé. C’est comme si on demandait à la F1 de se soucier de l’écologie. Le problème en la matière, ce sont les millions de voiture qui circulent. Si vous allez même 20 jours au resto il vous en reste 345 pour vous soucier de votre santé. Au resto, c’est la fête, on se consacre à donner du bonheur. Mais les cuisiniers vont aussi devenir prescripteurs pour l’alimentation”. Cette phrase est en parfaite harmonie avec sa cuisine.
En conclusion ?
Ce qui me fait le plus peur est que ces gens ne sont plus isolés. Il sont devenus le modèle, le porte-étendard de toute une génération de cuisiniers. Allez demander à un cuistot à qui il veut ressembler : Alain Chapel – je ne sais même pas d'ailleurs s'il connaît – ou Ferran Adrià. Ce sera Adrià.