La 110e édition du guide Michelin, juge de paix de la gastronomie mondiale, sera dévoilée lundi 21 janvier. A Lyon, certains restaurants pourraient tirer leur épingle du jeu. Entre rumeurs infondées, et certitudes, les premiers échos annoncent un cru plein de surprises.
Nunc est bibendum !
Lundi 21 janvier, certains chefs donneront du Horace et de l'Alcée de Mytilène. Pour d'autres, en revanche, oubliés et déchus, ce sera soupe à la grimace au menu.
Chaque année, après la galette des rois, c'est la même effervescence. La fève passée, la couronne d'un jour mise au rebut, c'est "le Rouge" que les cuisiniers attendent, impatiemment, fébrilement. Et quoiqu'on en dise, le guide Michelin reste l'une des références de la gastronomie - s'il ne reste pas encore le juge de paix en la matière. D'autant qu'il y a deux ans, il est entré au capital (à hauteur de 40%) du Fooding, appendice de Nova Mag, de Libération et du Nouvel Obs, construit en opposition implacable au Michelin qu'il rudoyait et boxait au plaisir. Une caution cool pour le Michelin qui s'empoussiérait lentement mais sûrement.
Le guide Rouge reste l'étalon de la cuisine française. Une institution avec ses rites, ses règles, ses principes, ses canons mais aussi ses lacunes, ses revers, ses ratés et son goût prononcé pour le mystère. Et sa griffe. En 1926, le guide invente l'étoile pour distinguer la prestation des meilleurs restaurants. Un siècle plus tard, Louis de Funès, alias Monsieur Duchemin (dont l'assonance avec "Michelin" n'est pas fortuite), directeur d'un grand guide dans L'aile ou la cuisse "témoigne de la présence quasi institutionnelle du guide dans la société française" écrivait, en 2011 Gwendal Poullennec, directeur international des guides Michelin depuis septembre dernier.
En 2019, si le guide Parker est la référence suprême pour les vins, le classement de Shanghai pour les universités, le guide Michelin l'est pour les restaurants.
Bref, le Michelin est sur toutes les lèvres. Le Landerneau des casseroles est en pleine ébullition, accentuée, cette année, par la tenue du Sirha, le premier depuis le décès du pape ad aeternam, Paul Bocuse.
Possibles Lyonnais
Paul Bocuse justement. Certains cuisiniers - il faut en convenir, pas très nombreux - se sont émus en vase clos et en sourdine, d'une plausible déchéance du plus ancien trois-étoiles de France. Soyons sérieux deux minutes : quel est le directeur qui oserait enlever ne serait-ce qu'une étoile au restaurant de Collonges, quasiment un an jour pour jour après le décès de son mentor ? Qui plus est à quelques jours du "Dîner des grands chefs" réunissant deux cent chefs, soit deux cent cinquante étoiles à l'Abbaye de Collonges "pour rendre hommage à Paul Bocuse"?
Et puis Bocuse c’est trois étoiles gravées dans le marbre ! Une morceau d’histoire dans l’assiette !
Bocuse, c'est le sommet. Celui de la grande cuisine française. À la Escoffier. Une cuisine saucière, cocardière et parfaitement codée. "Avec des os et des arêtes" embellit-il. Ce qu'on mange chez Bocuse ce sont les mêmes plats qu'on a envie de manger tous les jours - "quand on met la cocotte sur la table et qu'on se sert deux fois". Chez Bocuse, on se nourrit d'histoire avec un grand "H".
C'est dans ce mini-musée, miroir des bonnes maisons bourgeoises d'antan, et qui balance une cuisine désarmante d'émotion, que vous aurez rendez-vous avec l'impalpable et l'universel.
Passons aux promus. Comme nous l'écrivions en octobre dernier, la Mère Brazier a mis la table pour trois étoiles. Soit un chèque de 500 000 euros pour rénover (avec allure) du sol au plafond le 10 rue Royale. Son chef, Mathieu Viannay ne fait pas mystère de son envie de décrocher le graal de la troisième étoile. Pour nous, si sa cuisine est l'une des plus magistrales de la ville, les plats sont quasiment tous au même niveau. Quasiment car si certains sont clairement trois macarons, d'autres ne sont qu'à deux, d'autres deux et demi. Et pour décrocher les trois étoiles, il faut une harmonie parfaite dans le restaurant. Il ne manque peut-être qu'une petite étincelle qui ferait décoller la Mère Brazier à la verticale.
Dans la catégorie une étoile, nous avons deux favoris : La Mutinerie du jeune chef Nicolas Seibold, l'une des grosses révélations culinaires 2018 de Lyon Capitale. Une cuisine de fond ferrée à l’instinct, un accélérateur de particules, un tremplin sensuel, loin des effets de mode. Notre second crack est le restaurant végétarien Culina Hortus d'un autre jeune chef, Adrien Zedda : une vraie révolution culinaire dans son approche, soutenue par une maturité étonnante, une technique impeccable et juste ce qu'il faut d'audace.
Ça parle aussi pas mal dans le Landerneau lyonnais du cas L'Ourson qui boit du chef Akira Nishigaki. Bib Gourmand (largement mérité) l'année dernière, le petit restaurant de la rue Royale a disparu des tablettes du Bibendum cette année. D'aucuns se sont dits qu'il y avait anguille sous roche et que ça signifiait automatiquement sa promotion à une étoile. Nous avons déjeuné vendredi 18 janvier. A 20 euros le menu complet hyper chiadé, L'Ourson qui boit ne peut être que distingué. De là à ce que les oursons flottant comme des astronautes au plafond du néo-bistrot touchent les étoiles... Nous ne pensons humblement pas. Il n'empêche que le restaurant d'Akira Nishigaki reste l'un des meilleurs rapport/qualité prix des 1 600 restaurants de la ville.
On reste un brin étonné que Monsieur P tenu de main de maître par Florent Poulard n'ait pas été découvert par Michelin. Pas de Bib Gourmand. Malgré des qualificatifs élogieux de la presse nationale : "une pointure" et "grand espoir de la gastronomie lyonnaise" pour François Régis-Gaudry de L'Express. "Un aimant à foodies" selon Atabula.com. C'est vrai que cet ancien de Philippe Jousse (Chapel), de Guy Savoy (L'Arpège) et de Daniel Boulud à New York dévoile une maturité et une technique aussi surprenantes que bluffantes. Une étoile en 2019 ?
On mise une pièce aussi sur Le Suprême du chef Grégory Stawowy qui revisite avec élégance et finesse les classiques de la volaille de Bresse dans le quartier Bir Hakeim (7e). Le cuisinier ne joue pas dans le registre du superflu, il ne parsème pas ses assiettes de futilités, il va à l'essentiel.
Et Les Apothicaires du duo Tabata et Ludovic Mey ? Adeptes d'une cuisine instinctive et végétale, ils jouent le mélange des genres, entre classique et contemporain. Délicatesse et audace. Deux têtes chercheuses de goûts et, au final, une cuisine très personnelle.
Injuste et magnifique
Perdre une étoile, on imagine que c'est dur mais la pire des choses reste sans doute l'oubli. Oui car chaque année, le guide Michelin est à la fois injuste et magnifique.
Les nouveaux étoilés devaient être appelés dimanche matin, pour que ceux qui sont en dehors de Paris puissent s’organiser pour venir à la cérémonie parisienne de lundi.
Ceux qui perdent une étoile, eux, seront prévenus entre dimanche matin et lundi matin.
Sur son compte Twitter, le Guide Michelin a annoncé que "2019 est une année record : jamais le guide France n’avait reçu autant de nouvelles tables étoilées d’un coup". Le guide devrait aussi se distinguer par un nombre record de femmes chefs parmi les étoilées.
Verdict le 21 janvier, à la Salle Gaveau.
Les critères du guide Michelin
Les inspecteurs font un essai de table, c'est-à-dire une fiche technique dans lequel il applique les cinq critères : la qualité des ingrédients, la maîtrise des cuissons, l’harmonie et l’équilibre dans les saveurs, ainsi que la personnalité du chef et sa capacité à s'exprimer dans les plats la constance dans le temps.
Les restaurants étoilés lyonnais 2018
3 étoiles
Bocuse
2 étoiles
Mère Brazier
Le Neuvième Art
Takao Takano
1 étoile
Au 14 Février
Auberge de l'Ile Barbe
Le Gourmet de Sèze
Jérémy Galvan
Les Loges
Maison Clovis
Miraflores
Le Passe Temps
Pierre Orsi
Prairial
Les Terrasses de Lyon
Les Trois Dômes
Têtedoie
La Rotonde