pâté en croûte
Frédéric Le Guen-Geffroy, sacré champion du monde de pâté-croûte 2023, à Lyon© Ka Wa Chan

"Le pâté en croûte, ça me détend"

Frédéric Le Guen-Geffroy a été sacré à Lyon champion du monde de pâté-croûte 2023. Il revient sur ses centaines d'heures de préparation.

Frédéric Le Guen-Geffroy, chef du restaurant parisien Club 90, club de direction de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), à Paris, a remporté, lundi soir, la 14e édition du championnat du monde de pâté-croûte, organisé à la Sucrière, à Lyon.

Frédéric Le Guen-Geffroy
Frédéric Le Guen-Geffroy, champion du monde de pâté-croûte 2023

Véritable "homme pâté-croûte", celui qui a terminé 4e des deux derniers championnats du monde s'était fixé 2023 comme année ultime.

Rien n'a été laissé au hasard, de la sélection des produits avec les éleveurs au au travail, séparé, de la gelée, de la mêlée, de la pâte et des inserts.

En coulisses, ce sont des "centaines d'heures" passées sur une pièce d'artillerie de la cuisine française, un monument d'anthologie et de gourmandise.

Entretien technique.

Pâté-croûte ou pâté en croûte ?
Dans leur ouvrage "Comme on dit chez nous - Le grand livre du français de nos régions", Mathieu Avanzi (docteur en lettres et en sciences du langage), avec la complicité d'Aurore Vincenti (linguiste) et d'Alain Rey (feu-conseiller éditorial du Robert, l’un des plus grands techniciens de la langue française), écrivent que dans la région lyonnaise, on dit "pâté-croûte", une "coquetterie linguistique" partagée avec Reims.
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Lyon Capitale : Qu'est-ce qui vous a poussé à vous inscrire au Championnat du monde de pâté-croûte ? Défi personnel ?

Frédéric Le Guen-Geffroy : Je ne suis pas du tout compétiteur et pas du tout concours. Cela fait six ans que je fais du pâté en croûte à haut niveau et que j'organise des ateliers de pâté en croûte. J'ai aussi énormément de contacts de charcutiers qui font vraiment des pâtés en croûte à haut niveau.
Tout le monde se chahute un peu, en se mettant au défi de faire le meilleur des pâtés en croûte. Je me suis dit "bon, je me défends pas trop mal, si je m'inscrivais au championnat du monde". En réalité, c'est plus une joute amicale entre charcutiers et cuisiniers. J'aime bien torturer la tête pour avoir des choses bien précises. Et moi, faire un pâté en croûte ça ne me dérange pas. Sur Paris, je peut être à vélo à 3 heures du matin si je me réveille. Je vais alors dans ma cuisine, où je fais une pâte je passe au laminoir ça me détend. Je trouve ça hyper relaxant.

Comment se déroulent les sélections ?

Cela se passe en plusieurs étapes. Il y a d'abord un appel à candidature mondial, c'est l'étape dossier, avec photos, fiche technique. Je crois que cette année il y avait 75 dossiers européens pour seulement 19 présélectionnés. Après, il a l'étape dégustation. Pour l'Europe, il ne reste plus alors que 7 candidats. Il y a aussi une sélection Asie, Amériques, Royaume-Uni, Suède et Tahiti. A la fin, on se retrouve à 14 pour la grande finale mondiale à Lyon, les meilleurs du monde.

Frédéric Le Guen-Gefffroy, doux dingue de pâtés-croûtes.

Pour les premières dégustations, le pâté-croûte est juste présenté au jury j'imagine, vu le temps qu'il faut pour le confectionner...

Rien n'est fait sur place. Un pâté en croûte comme celui que j'ai fait, c'est quatre jours. C'est énormément de préparation. Il faut donc des locaux adaptés, des pièces où il ne fait pas trop chaud, parce que la pâte est composée de 50% de beurre. On prépare donc nos pâtés en croûte dans nos locaux, chacun de notre côté. Et puis on ramène pour les finales les pâtés en croûte qui sont cuits.

"Ce que j'appelle le haut niveau c'est de sublimer la pâte, de faire des mêlées avec des structures différentes, des couleurs, mettre des insert hyper précis."

Vous parliez de pâté-croûte de haut niveau, c'est-à-dire ?

La plupart des pâtés en croûte n'ont rien de spécial. C'est une mêlée (garniture, NdlR) avec rien de très spécial dedans. Ce sont des petits fruits secs, une pâte standard pas de déco, rien du tout. Ce que j'appelle le haut niveau c'est de sublimer la pâte, de faire des mêlées avec des structures différentes, des couleurs, mettre des insert hyper précis.

Votre insert, en forme de rosace à huit pétales, était incroyable, d'une précision quasi chirurgicale. Comment avez-vous fait ?

Quand j'ai tranché, c'était hyper net et précis. Rien que les inserts en eux-mêmes, c'est quasiment une demi-journée. C'est vraiment ça prend un travail de fou furieux. Il faut avoir du matériel adapté aussi qui n'existe pas parce que les pâtés en coute au niveau du matériel, on n'a rien, on a juste les moules. Après le reste, on est obligé de piocher un peu partout, dans du matériel de cuisiniers, dans du matériel de pâtissiers, dans du matériel de ceux qui travaillent peu le sucre, dans des matériels de gens qui travaillent le cuir, la reliure. Mais il ne suffit pas que ce soit joli, il faut que ce soit bon aussi.

pâté croûte
Le pâté-croûte de Frederic Le Guen-Geffroy, champion du monde 2023

La présentation compte effectivement seulement pour 20 points sur 200...

J'avais eu, lors de la finale européenne, des retours très positifs sur la présentation, sur l'esthétique de mon pâté en croûte. Mais des Meilleurs ouvriers de France m'ont aussi dit que ça pouvait me desservir. J'ai retravaillé la recette, revu des méthodes. Par exemple, au lieu d'utiliser une farce fine avec de la crème, j'ai utilisé une crème parfumée avec des champignons, avec une garniture aromatique. Je voulais rendre ma face un peu plus grasse, plus onctueuse donc au lieu d'avoir des filets de poulets, j'ai coupé avec de la poitrine de porc pour faire comme une recette de boudin blanc traditionnel - quand il est froid ça reste même assez moelleux. J'ai travaillé énormément sur ces recettes pour les modifier. J'ai travaillé d'ailleurs tous les éléments de façon séparée. La pâte est assez inédite. Aucun pâté en croûte n'a cette pâte-là. C'est une pâte très spéciale parce qu'elle n'est pas lisse. La plupart des pâtés en croûte ont une pâte lisse avec une dorure, des petits décorations dessus. La mienne est hyper structurée, un peu feuilletée, hyper craquante, croustillante, beurrée. Il y a énormément de beurre dans cette pâte.

Comment avez-vous sélectionné les produits de votre pâté-croûte ?

Le porc n'est pas standard. C'est un porc fermier. Je suis Breton, je travaille depuis des années avec des éleveurs de Bretagne. Si le porc breton n'a pas forcément une bonne réputation, il y a des bons éleveurs qui essaient justement de redresser la situation. J'ai travaillé un porc de variété Duroc, élevé en plein air, du bon porc fermier qui a de l'espace, qui mange de belle choses. Pareil pour le beurre qui n'est pas standard. Il été fait sur mesure pour le championnat par une personne avec qui je travaille depuis des années. Il a un vrai goût de beurre, si on ferme les yeux, on a l'impression d'être dans la campagne bretonne. La farine non plus n'est pas standard. On a l'impression, de croquer dans du blé frais. C'est un goût différent. Donc que des bons produits. Il y aussi des magrets de canard du sud-ouest, des coeurs de canards, du foie gras de canards, des foies maigres de canards. Il y a du ris de veau, de la duxelle de giroles. Et tout ça mélangé pour la mêlée avec l'insert. Et à la fin de la cuisson, une fois que la mêlée a commencé à se rétracter, on peut commencer à couler la gelée.

"Les canards étaient abattus dans la nuit. J'avais donc les foies gras le lendemain matin."

La gelée est cruciale entre la farce et la croûte ?

Il faut savoir que la gelée il ne faut vraiment pas la prendre à la légère parce c'est une partie hyper importante de la note. C'est 30 points sur 200. Donc chaque point grappillé permet d'avoir les meilleures notes. Et la gelée là c'est vraiment un truc à part. Je me suis concentré dessus pour que ça soit vraiment la meilleure possible. Ma gelée c'est comme un jus de rôti. C'est de la poitrine de porc qui est rôtie comme si on faisait un rôti de porc au four avec du thym de l'ail du laurier juste mouillé à l'eau et cuit tranquillement pour que ça infuse. Quand on mange une cuillère de gelée on a l'impression de manger un rôti de porc bien caramélisé. C'est important car les jurés quand ils goûtent ils goûtent la gelée la pâte la mêlée séparément. Et après il y a une note de dégustation globale.

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Avez-vous une idée du nombre de pâtés-croûte que vous avez pu réaliser avant de présenter celui qui allait devenir champion du monde ?

Des centaines… J'y ai passé des dizaines et des dizaines d'heures. En fait cela fait la troisième fois que je fais le championnat du monde. La première fois j'ai terminé quatrième la deuxième fois aussi. Je me suis dit que c'était la dernière année que je le faisais. J'ai tout mis pour que ça soit au top. Je ne me suis concentré que sur la pâte puis je ne me suis concentré que sur la mêlée je ne me suis concentré que sur la gelée et je ne me suis concentré que sur les inserts. J'ai mis au point les recettes et les méthodes individuellement et après j'ai rassemblé le tout et j'ai fait des essais puis j'ai modifié. J'ai fait goûter un peu à droite à gauche. Mon équipe en cuisine au Club 90 en a mangé des dizaines. Je suis aussi allé voir des anciens champions du monde des Meilleurs ouvriers de France pour leur faire goûter pour avoir des conseils pour prendre le meilleur de ce qu'ils pouvaient faire.

C'est un travail d'équipe ou un travail de loup solitaire ?

C'est une vraie équipe. Ne serait-ce qu'avec les fournisseurs. Il faut se coordonner pour avoir les produits les plus frais et les plus jolis possibles. Pour le foie gras, les canards étaient abattus dans la nuit. J'avais donc les foies gras le lendemain matin. Pareil avec l'éleveur de cochon, pour pouvoir sélectionner le meilleur cochon, le gabarit cochon que je voulais parce que comme je travaille avec de l'échine et de la poitrine, je voulais une poitrine grasse, mais pas trop grasse, en plus je voulais pas mal de chair quand même. Et puis tout le monde joue le jeu, tout le monde y croit.

Et puis il y a tous les clients du Club 90, où je suis chef cuisinier, qui ont goûté.

C'est quoi au juste ce Club 90 ?

C'est un club de direction, en fait, celui de la Fédération nationale des travaux publics. On a un club qui fait 1000 mètres carrés sur les Champs Elysées, où on reçoit des hommes d'affaires, des gens des travaux publics, Eiffage, Vinci, Bouygues, tous ceux qui s'occupent des infrastructures françaises, les voies ferrées, les ponts, les tunnels, les travaux sous-marins, les travaux souterrains, les canalisations, etc. Tout ce qui se passe en infrastructures françaises c'est ici. C'est un endroit où les clients sont là pour manger, pour bien manger, même s'ils sont surtout là pour parler affaires. On reçoit des présidents de la République, reçoit des Premiers ministres, des ministres, des députés, des sénateurs.

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