Jean-François Malle, sous-chef de cuisine à La Rotonde (**), à Charbonnières-les-Bains, est le nouveau champion du monde de pâté en croûte. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. C'est bien le retour en grâce d'un grand classique de la gastronomie française boxé par les industriels.
Ringard, le pâté en croûte ? Pssshh ! Il n'a jamais été aussi adulé.
Et pourtant, pourtant, il revient de loin, de très loin même. Bastonné, ces dernières années, par l'industrie agroalimentaire, dans sa version grasse et ramollie, complètement insipide, asphyxié dans son emballage sous-vide.
Chef-d’œuvre charcutier
Il faut remonter à l'Antiquité pour entendre parler du pâté en croûte. En ces temps-là, la croûte ne servait qu'à conserver la viande. Autrement dit, la croûte n'était que contenant. Elle ne se mangeait donc pas. C'est François Ier qui lui donne ses lettres de noblesse. Louis XIV le porte aux nues. Le pâté en croûte tombe ensuite en désuétude à la fin des années 70 : sa préparation demande trop de temps, son prix convainc les consommateurs de s'en détourner. Les industriels s'engouffrent dans la farce. Le début de la fin.
Par opposition aux terrines qui "ne sont rien d'autre que des pâtés sans croûte" écrit Auguste Escoffier, tout se mange dans le pâté en moderne : contenant et contenu.
À Lyon, le pâté en croûte n'a jamais vraiment disparu. Ville de grande tradition charcutière, Lyon résiste malgré tout à l'envahisseur. Il n'y a qu'à jeter un œil aux vitrines des maisons de renom. Les pâtés en croûte (Richelieu, foie gras, lièvre, etc.) s'alignent aux côtés des saucissons à cuire aux morilles ou aux truffes, des andouillettes, des terrines, des jambon à l'os ou des quenelles.
Un jury à 17 étoiles
Ce n'est donc pas un hasard sir le championnat du monde de pâté en croûte a vu le jour dans la cité du primat des gueules. L'histoire de quatre copains qui raffolent du pâté en croûte quand d'autres vénèrent la course à pied. À force d'en goûter dans les restos de la ville, de les "benchmarker" et d'en parler à leurs potes cuisiniers qui leur répondent invariablement "le mien, c'est le meilleur !", nos quatre amis tombent d'accord pour organiser le 1er championnat du monde de pâté en croûte de la galaxie.
S'il y a cinq ans, ça faisait rire tout le monde, aujourd'hui, quand on voit le jury, ça force le respect. Dans le désordre : Régis Marcon (Régis & Jacques Marcon ***, Saint-Bonnet-Le-Froid, Haute-Loire), Joseph Viola (MOF, Daniel &Denise, Lyon ), Luc Dubanchet (Omnivore), Sébastien Demorand (Masterchef) , Klaus Erfort (GästeHaus Klaus Erfort***, Saarbrücken, Allemagne), Michel Kayser (Restaurant Alexandre**, Garons, Gard), Cathy Klein (maîtresse de maison Arnsbourg***), Daniel Léron (MOF), Mathieu Viannay (MOF, Mère Brazier **), Yohan Lastre (La Tour d’Argent – Champion du Monde de Pâté Croûte 2012), Éric Métivier (Lenôtre – Champion du Monde de Pâté Croûte 2010), Gilles Vérot (Vice-Champion du Monde de Pâté Croûte 2010), Gilles Giroud (MOF Charcutier), Franck Fresson (MOF Pâtissier), Daniel Boulud (Daniel***, New-York) Anthony Bourdain (journaliste culinaire CNN) et Michel Chapoutier (vigneron de la vallée du Rhône).
Plat canaille
Car le pâté en croûte n'est rien de moins qu'un véritable chef d'oeuvre charcutier. Un art et une science. Et plat canaille par-dessus le marché !. "D'une grande complexité technique" reconnaît Jean-François Malle (podcast), sous-chef de cuisine à La Rotonde (**), à Charbonnières-les-Bains, et nouveau champion du monde de pâté en croûte. Le Lyonnais d'origine bretonne ramène donc la coupe à Lyon, chipée depuis 3 ans par les Parisiens de La Tour d'Argent, du Bristol et de Lenôtre.
Douze fous furieux étaient réunis lundi 2 décembre à Tain l'Hermitage, chez le vigneron Michel Chapoutier, pour la finale. Huit de Lyon et de sa région, un de Beaune, un de Carantec, un traiteur d'Herepian et un seul de Paname. (Petite parenthèse : le fameux "Le champion du monde de pâté en croûte est Français", entendu sur toutes les radios aujourd'hui, ne peut donc être que du cru, faute de candidats étrangers...).
Jean-François Malle a séduit le jury, présidé cette année par Dominique Loiseau (Relais & Châteaux Bernard Loiseau, à Saulieu, en Bourgogne), autre groupie du pâté en croûte, avec une recette à base de volaille de Bresse, de foie gras et de trompettes de la mort.
Et de méditer sur cette phrase de Baden-Powell, fondateur du scoutisme anglais (qu'on imagine également amateur du pâté en croûte) : "les connaissances sans le caractère ne sont que la croûte sans le pâté". Ou, plus curieux, "Noël en août, pâté en croûte"...
Bonus
L’oreiller de la Belle Aurore, un monument de gastronomie
Oreiller de la Belle Aurore. Le nom sonne si bien. La recette, mythique, remonte aux temps de Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), fin gastronome à qui l'on doit la magistrale Physiologie du Goût. Entre Noël et le jour de l'An, la charcuterie Reynon (13, rue des Archers – 2e) en propose dix. Pas un de plus. Trente deux kilos à la pesée. Mis à part quelques patrons de bouchons (Gelin à La Meunière...) ou Paul Bocuse (sur commande), Reynon est la seule boutique lyonnaise, l'une des très rares françaises à notre connaissance, à perpétuer la tradition. Dans cet oreiller là, pas de duvet, mais des gibiers à poils et à plumes, farcis distinctement. Treize au final, avec ris de veau, foie gras, truffes, cuits pendant huit heures. Du grand art version Premier Empire.
Composition
Cailles, pigeon, palombes, perdreaux, grouse tous garnis de farce au foie gras et aux truffes, volaille de Bresse, canard mulard, faisan, colvert, lièvre, lapin de Garenne, chevreuil, biche, marcassin chacun avec sa farce : ensemble auquel sont ajoutés ris de veau, foie gras et truffes du Tricastin).