Cuisinier exceptionnel, considéré comme l’un des fondamentaux de la cuisine française, Paul Bocuse a fait sortir les cuisiniers de leurs cuisines, autrefois gâte-sauces gris du matin jusqu’au soir.
Un peu facile de consigner Paul Bocuse dans les grandes figures de la gastronomie lyonnaise ? Quand un homme a été gratifié de “pape de la gastronomie” (Gault&Millau, 1989) – le seul que la profession ait jamais connu –, de “cuisinier du siècle” (id.) et de “chef du siècle” (Culinary Institute of America, 2011), il serait mal placé, condamnable même, de faire l’impasse.
Paul Bocuse, c’est le Saint-Père de la gastronomie, le capo di tutti capi du bien-manger, le Toutankhamon de la haute cuisine.
“Karajan était le plus connu dans le monde mais pas le meilleur. Idem pour Bocuse”, nous avait un jour soufflé, un brin amusé, celui que tout le monde appelait “Monsieur Paul”.
Icône mondiale
Le Times l’avait classé parmi les soixante personnalités qui comptent dans le monde ? “Il y a un mécano qui est devenu Ferrari, un curé qui est devenu pape et un cuisinier qui est devenu Bocuse”, avait-il répondu du tac au tac. Lorsqu’il est décédé, Le New York Times a même envoyé une alerte sur smartphone, fait extrêmement rare pour un personnage.
Paul Bocuse a été le porte-drapeau de la cuisine française à l’étranger, premier chef à voyager et à prêcher la bonne parole, embarquant avec lui ses copains et des centaines de kilos de produits régionaux. Il est le symbole absolu de la gastronomie dans le monde. Une sorte d’icône, de dieu au panthéon de la gastronomie.
Comme en son temps son mentor Fernand Point, Paul Bocuse a formé les plus grands chefs de notre siècle (Pierre et Jean Troisgros, Raymond Thuillier, Alain Chapel, François Bise, Louis Outhier). D’innombrables cuisiniers sont passés en apprentissage à Collonges, à l’instar de Jacky Marguin, Pierre Orsi, Roger Jaloux (qui deviendra le chef du restaurant Paul Bocuse), Davy Tissot (La Villa Florentine et aujourd’hui Saisons et Bocuse d’Or), Pierre Gagnaire, etc.
Lettres de noblesse
Alors que cuisinier était une voie de garage – quand un enfant ne réussissait pas à l’école, on l’envoyait en cuisine –, Paul Bocuse a rendu à cette profession sa fierté. Il a redonné aux cuisiniers leurs lettres de noblesse, eux qui trimaient dans leur sous-sol (le service avait alors tous les honneurs) sur le piano chauffé au charbon, les cuisines enfumées, le tablier noirci et l’alcoolisme menaçant (le porto des sauces…). La fierté de porter leur veste. D’ailleurs, en excellent communicant, Paul Bocuse leur a même fait tailler un costume sur mesure avec la veste “Grand Chef” (Bragard) et le nom brodé sur la poitrine.
L’histoire retiendra le patronyme de Paul Bocuse à l’égal des Carême et Escoffier.
Pour que son dessein prenne une dimension à la fois plus internationale et massive, fut créé l’institut Paul-Bocuse, à Écully, aujourd’hui reconnu comme l’une des plus prestigieuses écoles hôtelières et culinaires du monde. Dans la même veine, en 2004, Paul Bocuse inaugura sa fondation, axée sur les valeurs de transmission et d’accompagnement des plus jeunes, notamment ceux en difficulté.
Mais la face la plus visible de l’iceberg est sans nul doute le Bocuse d’Or, que d’aucuns surnomment les Jeux olympiques de la gastronomie. Tous les deux ans, vingt-quatre candidats, en provenance d’autant de pays, se bousculent pour se confronter, lors de la grande finale mondiale qui se déroule à Lyon, dans une ambiance survoltée de coupe du monde de football. Avant, les rescapés auront dû passer les sélections nationales puis continentales. Remporter la statuette à l’effigie de Paul Bocuse est le gage d’une carrière solide, si ce n’est assurée.
Rockstar
L’histoire de Paul Bocuse est celle d’un cuisinier devenu rockstar planétaire, d’un homme qui a marqué le siècle de son empreinte. Paul Bocuse s’est éteint il y a cinq ans, samedi 20 janvier 2018, vers 10 h, au soir de sa 92e année, dans le lit qui l’a vu naître, au deuxième étage de la maison familiale, au-dessus de son restaurant de Collonges-au-Mont-d’Or. On croyait Paul Bocuse immortel, lui qui avait survécu aux balles allemandes à 18 ans, à un triple pontage coronarien à 79 ans et à une opération de la moelle épinière à 87 ans. Bonhomme hors norme, communicant inégalé et homme d’affaires hors pair, Paul Bocuse était un de ces personnages comme on en a un par siècle.
Bocuse est un cuisinier qui a vécu à cheval sur deux siècles, entre la poire et le fromage. Hasard ou coup de pouce du bon Dieu, il s’est toujours trouvé là où s’est produit l’événement. Lorsqu’à l’été 1944, le pont de Collonges saute, il s’apprêtait à l’emprunter. Le 28 janvier 1986, au moment où la navette Challenger explose en vol au départ du cap Canaveral, il se rend à l’aéroport d’Orlando, trente kilomètres plus à l’ouest. Le 11 septembre 2001, lors des attentats du World Trade Center, il est dans une chambre d’hôtel du Sofitel, à moins de cinq kilomètres à vol d’oiseau.
De grands destins français, il y en a eu – et il y en aura encore. Mais celui de Paul Bocuse est de ceux que la France affectionne. Des petits devenus grands. Du petit “Paulo des bords de Saône”, qui braconnait sous le pont de Collonges, à la figure du commandeur. Paul Bocuse, c’est un petit bout du roman national, un pan de notre culture commune. Plus qu’un simple chef, auréolé de son immense toque et de sa veste blanche au liserai bleu blanc rouge de Meilleur ouvrier de France, Paul Bocuse incarnait une certaine idée de la France, un pays de cocagne bon enfant et plaisant qui s’en est allé doucement. Le souvenir d’une France à la fois rebelle et bien élevée. Un art de vivre suranné.
Ce qui explique peut-être la dimension des réactions ayant suivi sa disparition : plus de 80 000 mentions sur Twitter, un milliard et demi d’impressions (les “vus”) sur Internet et des articles dans tous les grands titres de la presse étrangère, des États-Unis au Japon, en passant par l’Australie, le Pérou, l’Angleterre, le Danemark, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Suisse, la Pologne, l’Afrique du Sud…
Une guerre mondiale, cinq monnaies, huit papes, douze présidents de la République, quarante-trois Jeux olympiques. Deux siècles. Lui qui est né l’année de la première expérience de télévision, est parti l’année où Twitter relayait en direct le retour sur Terre de Thomas Pesquet. Une cuillère dans chaque siècle et trois étoiles au paradis.
Nul qualificatif n'existe pour Maitre Paul et surtout pas cette génération de copieurs qui avec force mélanges insipides pensent qu'ils en sont les successeurs.
.J'espère que tout la haut il régale ceux qui n'ont pas eu les moyens ou la chance de toucher du bout des papilles une de ses œuvres culinaires.