La bugne ? Le seul dessert de Lyon dont la tradition s'est maintenue depuis au moins cinq siècles.
“À mardi-gras, c'est le temps des bugnes à l'éperon, alors, on en fait manquablement un plein bagnon.”
En parler lyonnais, la bugne évoque à la fois un dessert, la nature d'une personne et une coiffure.
1. Beignet en forme de tortillon,
“Tiens ! Mets donc moi de la farine... et de l'huile ! On f'ra des bugnes ! Avec la Glaudia ! Tu viendras manger si tu veux !”(Père Craquelin)
2. Benêt, personne maladroite. Injure anodine.
“Et si jamais le monde d'ici venait à être si benoni que de ne plus manger de bugnes, tant qu'ils seraient ils ne seraient tous que de grandes bugnes.”
3. Vieux chapeau.
4. Droit comme une bugne, droit comme un “I”.
La rubrique que vous lisez étant essentiellement gourmande, nous ne nous intéresserons qu'à la bugne comestible, faute de quoi on en avalerait notre chapeau.
Il faut savoir, en guise d'amuse-bouche, qu'il y a deux écoles de bugnes à Lyon : celle des dodues et des moelleuses, un peu joufflues, dites “à éperon” (du nom de la petite roulette en bois dentelée, semblable à l'éperon du cavalier) qui sont faites à partir d'une pâte levée à base de levure de boulanger, et celles des fines et craquantes, sans levure, inspirées des merveilles ou des oreillettes. Les premières sont plus souvent l'oeuvre des charcutiers-traiteurs, quand les secondes se trouvent plutôt chez les boulangers-pâtissiers – encore que.
Rongeon, “La Jeanne”, Madame Gorguet et les Dames de Saint-Pierre
Quoi qu'il en soit, il s'agit, dans les deux cas, de beignet, une préparation composée d'une pâte qu'on fait frire dans l'huile.
Du point de vue historique, la bugne est attestée à Lyon dès 1538, dans un document faisant état d'achats de bugnes faits par la municipalité, à l'occasion de repas d'honneur offerts par la Ville. François Rabelais les mentionne un peu plus tard, en 1548, dans la première version de son Quart Livre, suites des “faits et dits” de Pantagruel.
En 1557, le Supplément aux lyonnois dignes de memoire donne un aperçu de quelques unes des meilleures adresses de bugnes. Il y a d'abord le Sieur Rongeon qui loue une petite boutique dans la rue du Vert-Galand (aujourd'hui rue de la Bourse) – Rongeon, Bagatelle & compagnie : sa gargote était alors la plus fameuse de la ville. Au point que les Lyonnais en firent un proverbe : qui n'a pas mangé de la friture de chez Rongeon, n'a rien mangé de bon”.
Il demanda même au Consulat pour obtenir le monopole de la friture à Lyon, ce que l'avocat du roi et le procureur général refusèrent derechef. Il y avait aussi la manufacture de bugnes de “la Jeanne”, établie rue du Paradis (aujourd'hui rue David Girin, entre la rue Childebert et la rue Confort) qui “fit tomber toutes les autres, tant ses bugnes étaient bonnes (et ses ventes considérables : en vingt ans, elle amassa 20 000 écus). Sa boutique fut reprise par Madame Gorguet qui, “poussa son talent à un degré supérieur”, au point d'être vénérée par tous les amateurs de bugnes, et qui se cachait pour faire sa pâte, qu'elle donnait ensuite à plusieurs jeunes filles qu'elles avaient sous ses ordres pour lui donner la forme des bugnes.
Plate ou gonflée, le vrai schmilblick
Selon l'historien Bruno Benoît, dans le Dictionnaire historique de Lyon, “le mot bugne est une déformation phonétique du vieux français beigne, qui a donné beignet ; quant au nom de beigne, il vient de bosse, en raison de sa forme gonflée.” Pourtant, en 1794, le “Tableau du Maximum“ des denrées du département du Rhône (qui établit un recensement alphabétique des principaux aliments), fait état à la fois de “bugnes fines, dites faites à l'entonnoir, 15 sols la livre” et de ”bugnes communes, connues pour être fabriquées à la Guillotière, 19 sols la livre”. Ce qui n'arrange rien au schmilblick.
Le père de Brunot Benoît, pourtant, semble trancher... contre son fils. Dans son ouvrage La Cuisine lyonnaise (co-écrit avec Henry Clos-Jouve, 1972), cet esprit curieux et farceur, grand défenseur de l'histoire locale, note qu'“un parfum de fleurs berça les premières bugnes : les bugnes à la rose inventées par les Dames de Saint-Pierre au XVIe siècle et reprise ensuite par les friteurs de la fin du XVIIIe.” Il ajoute, par-dessus le marché : “Or les bugnes communes à un sou, les bugnes à l’éperon, qui se mangeaient durant les temps de pénitence, n'étaient pas parfumées à la rose.” Et de conclure que les friteurs débitaient des chaînes de bugnes, “en forme de couronnes et enfilées sur une ficelle”. Un fait que Nizier du Puistpelu – fondateur de l’Académie du Gourguillon, une des plus emblématiques association prônant la défense des traditions et du passé de Lyon – avait déjà relevé en 1879 dans Les Vieilleries lyonnaises : “comment se fabriquent les bugnes ? On sait que c'est une poignée de pâte, façonnée en couronne et frite dans l'huile.” Et voulant en avoir le cœur net de sa composition, qui indiquerait s'il y avait de la levure et donc si elles gonflaient, il demanda à un bourgeois de Lyon, le Sieur des Guénardes, “érudit comme pas un et spirituel autant qu'il est érudit” de vérifier la chose “expérimentalement”. Conclusion : de la levure de bière. Les bugnes lyonnaises sont donc bel et bien à l’origine gonflée, dite “à éperon” et en forme de couronne.
Aspect culinaire cérémoniel
Si le débat – plate ou joufflue - continue de plus belle, une chose est certaine : les bugnes étaient consommées mardi-Gras, la dernière journée du carnaval, à la veille du Mercredi des Cendres. Comme l'explique l'historienne Nadine Cretin (Écoles des hautes études en sciences sociales), “c'est une journée où les excès alimentaires sont permis cars ils étaient supposés avoir une valeur magique, et cet aspect culinaire cérémoniel est essentiel. Marquée par les mascarades et par la consommation recommandée de “gras”, particulièrement de pâtisseries rituelles (crêpes, beignets ou bugnes, gaufres...), la journée s'oppose nettement au jeûne du carême qui suit, période “maigre” de quarante jours avant Pâques.”
Mardi-Gras ou le premier dimanche de Carême était d'ailleurs nommé Jour des Bugnes.
“La bugne ! Voilà que ne se connaît qu'à Lyon. À dix lieues on ne sait plus ce que c'est.” Nizier du Puitspelu
“Se perdre dans Lyon, marcher au hasard (…), manger une bonne bugne, boire un verre de Brindas…” (L. Daudet, Vers le Roi, 1920)
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La recette des bugnes lyonnaises de Léon de Lyon
ex-restaurant deux étoiles Michelin (1978 – 2008), sous la houlette de Jean-Paul Lacombe
Ingrédients pour 6 à 8 personnes
· 500 g de farine
· 70 g de sucre
· 1 pincée de sel
· 4 œufs
· 3 cl de Grand Marnier
· 40 g de beurre mou
· Huile pour friture
· Sucre glace
L’appareil doit être préparé la veille afin de reposer.
Dans la cuve d'un batteur muni d'un crochet, réunissez la farine, le sucre et l e sel. Ajoutez les œufs, le Grand Marnier et enfin le beurre mou.
(Sinon, à la main, tamisez la farine et la disposer en fontaine. Ajoutez le sucre, le sel, les œufs et le beurre).
Travaillez jusqu'à ce que la pâte soit homogène.
Réservez au frais pendant toute la nuit.
Faites chauffer l'huile à 170°C.
Étalez très finement au rouleau des morceaux de cette pâte, découpez-les en rectangles à l'aide d'une roulette cannelée.
Faites-les frire dans l'huile chaude.
Laissez refroidir et poudrez-les légèrement de sucre glace.
Excellente recette traditionnelle, à associer avec des sources de fibres et antioxydants mais c'est pas une pâtisserie pour rien !
À dix lieues on ne sait plus ce que c'est.” Nizier du Puitspelu!! 10 lieues soit 46 km ?? connues même à Annonay !! voir plus.