Maison des Bois Veyrat

Marc Veyrat, le retour

Le chef au chapeau noir, à la tartiflette déstructurée, star du jambon Madrange, double 3-étoiles Michelin et double 20/20 au GaultMillau, revient dans sa Haute-Savoie natale. La Maison des Bois, perchée dans le massif cinémascopique des Aravis, se veut écologique et avant-gardiste. Entretien avec un chef “moins rebelle et plus diplomate”, très “bocusien” dans sa façon de voir les choses.

Maison des Bois Veyrat ()

Lyon Capitale : On n’avait plus de vos nouvelles depuis votre accident, en 2005. Comment allez-vous ?

Marc Veyrat : Le très gros accident de ski que j'ai eu en 2005 m'avait complètement cassé. J'avais la cage thoracique enfoncée, les cervicales en vrac, des fractures des lombaires... Je ne pouvais pas continuer, j'ai vendu Megève. J'étais en fauteuil roulant, sous morphine 24 heures/24. Une première fois, je me suis fait opérer à Annecy par un charlot. Tout raté. J'ai été ressuscité en 2009. C'est le professeur Chambat, à Lyon, qui m'a sauvé.

Qu’avez-vous fait, toutes ces années ?

J'ai médité (silence). Sur un peu tout. La vie, la cuisine.

Il y a à peine deux mois, vous avez ouvert La Maison des Bois, à Manigod, en Haute-Savoie. C’est un retour aux sources ?

C'est mon grand-père qui a ouvert la première ferme d'hôtes, sans le savoir. C'était en 1936, l'année des congés payés. Moi, je suis né dans une ferme avec une grande table. On recevait des gens de l'extérieur, beaucoup de de Lyonnais d'ailleurs.

Paul Bocuse est l’un des premiers à être venu déjeuner dans votre nouveau restaurant...

(Il coupe.) Ah, mais Paul... Paul, pour moi, c'est... Tout le monde dit Paul Bocuse ci, Paul Bocuse là. Paul Bocuse est un seigneur. Vous savez ce que c'est, un seigneur ? (Silence.) C'est bien plus qu'un cuisinier... C'est autre chose... C'est quelqu'un qui a marqué la cuisine mondiale comme personne. Pas un mec n'a marqué la cuisine mondiale comme Paul Bocuse. Il a fait sortir les cuisiniers des cuisines pour aller voir les clients. C'est fabuleux !

Le fait de revenir à Manigod, perché dans le massif des Aravis où vous avez grandi, c’est un retour aux sources ?

Un retour aux sources, complètement. Je ne fais que recréer ce que j'ai vécu dans mon adolescence. La maison de mes parents est deux kilomètres plus bas. Elle est tenue par Marie-Ange, ma sœur, avec Isabelle, sa fille qui est mariée avec Edouard Loubet, doublement étoilé dans le Lubéron.

---> Suite page 2 : La gastronomie moléculaire, c’est du passé ?

Maison des Bois Veyrat ()

Lyon Capitale : C’est quoi l’idée de La Maison des Bois ?

Marc Veyrat : Vous savez, ici, on vit quasiment en autarcie : on a les œufs de nos poules, nos abeilles, on a tout. C'est un truc complètement démoniaque. Le message, c'est de se dire : est-ce qu'on a le meilleur produit pour la santé ? Puisque nous sommes soi-disant la vitrine du monde de l'alimentation, est-ce que ce qu'on donne à manger aux gens c'est bon pour la santé ? Après, on achète les produits, on les transforme et on les transcende pour le plaisir. Mais on a oublié cette première phrase. Est-ce que c'est bon pour notre santé ? Chez moi, à Manigod, on travaille sans pesticides et sans insecticides, avec des poules dont les œufs n'ont pas de numéro dessus. Je travaille avec un mec qui fait de blé dans la vallée. C'est extraordinaire !

Donc, les pipettes, les seringues, l’azote liquide, la tartiflette déstructurée, la gastronomie moléculaire, c’est du passé, c’est fini ?

Non. Non, je n'ai jamais dit ça moi. Je dis simplement que la connerie, dans la cuisine moléculaire, c'est qu'on en fait trop. Vous ne pouvez pas faire 12 plats de cuisine moléculaire, ce n'est pas vrai. Vous savez, j'ai été l'un des instigateurs de la cuisine moléculaire. J'ai aussi fait des erreurs. Mais je pense qu'il y a des techniques dans la cuisine moléculaire qui peuvent être prises en compte dans la cuisine d'aujourd'hui : je pense à l'azote, c'est naturel. Ce sont des technique qu'on doit incorporer, au même titre que la cuisine vapeur puis les émulsions.

Des bêtises, quelles bêtises ?

La plus grosse bêtise que j'ai faite, c'est de ne pas avoir su expliquer aux médias l'histoire de mon chapeau. Les journalistes se sont dits : “C'est du cinéma ce mec avec ses petites herbes et son chapeau noir. On se demande même s'il ne les fume pas !”

C’est quoi, alors, l’histoire de votre chapeau ?

Marc Veyrat, c'est pas un gars de la ville avec des herbes et un chapeau. C'est un gars de la montagne. S'il a un chapeau, c'est qu'il a des raisons de le porter.Le chapeau, c'est mon grand-père qui m'a élevé dans la ferme familiale. Il venait me chercher à l'école avec le troupeau de chèvres et de moutons. Mon grand-père, c'était ma vie. Je l'embrassais et je mangeais sur son chapeau les fraises des bois les myrtilles qu'il avait ramassées. Et personne, vous entendez, personne ne me fera enlever mon chapeau ! C'est source d'amour et d'identité.

Ça vous a blessé ?

Ah ouais, profondément. J'ai des cicatrices qui ne sont pas refermées...

Le chapeau, c’est aussi un peu de marketing...

Au départ, non, mais c'est devenu du marketing ensuite. Et c'est grâce à Vavro. C'est hallucinant. Il est arrivé une histoire rocambolesque, c'était y a trente ans. Paul Bocuse vient me voir, car on commençait à parler un peu de nous. Il passe un repas, ça se passe bien. Huit jours plus tard, il m'appelle et me dit tiens je te passe quelqu'un. Et Vavro me dit : “Bonjour, Marc (je le connais pas), les vaches à droite sont toujours là, les veaux à gauche.” Je me dis : “Qui c'est ce type ? C'est pas possible !” Vavro, enfant, était dans la ferme d'hôtes avec ses parents, il entendait les cloches le matin et venait soigner les vaches avec moi. C'est depuis ce jour là il a amené Bocuse, la famille Veyrat, c'est des travailleurs, des vrais paysans, des gens d'exception.

On vous sent plus assagi...

Je suis beaucoup moins rebelle, je suis plus diplomate. Ici, c'est autre chose. Les gens sont réunis. Ça n'a rien à voir avec mes précédents restaurants. Je voulais enlever les gants blancs. J'en ai marre des explications qui n'en finissent pas quand vous manger un plat. C'est pas la peine, ça sert à rien. Les gens sont là pour se faire plaisir.

C’est un retour à la simplicité, en somme.

Oui, bien sûr. Mais ça n'enlève rien à la gastronomie.

---> Suite page 3 : “Michelin ? Qu’il nous laisse peinards !”

“Michelin ? Qu’il nous laisse peinards et qu’il revienne nous voir dans un an !”

Lyon Capitale : Que va-t-on manger en 2013 chez Marc Veyrat ?

Ah ah ! Vous allez manger un truc d'enfer : des tendrons de veau qui cuit la veille dans le four. On les sert le lendemain, à midi, et là le monde contemporain arrive avec des sortes d'émulsions de truffe et d’achillée millefeuille qu'on verse sur les tendrons. C'est l'alliance entre le goût d'hier et celui d'aujourd'hui. J'ai un four à pain, je fais toutes mes pâtisseries. C'est génial.

Veyrat et son four à pain. Il y a aussi Ducasse et son mortier...

Pour moi, les instigateurs, c'est Paul Bocuse et Michel Guérard. Ducasse, il fait un très bon boulot au niveau des jeunes et je le félicite. De gens comme Pierre Gagnaire, comme Michel Bras, Marcon, Olivier Roellinger sont des gens qui ont amené quelque chose de nouveau à la cuisine.

Comment voyez-vous la cuisine aujourd’hui ?

Premier truc : les produits. On a complètement occulté les produits. C'est pas parce que vous achetez des produits bleu-blanc-rouge qu'ils sont bons. Je le crie haut et fort : attention ! Attention ! Est-ce qu'il n'y a pas de produits chimiques, pas d’insecticides. Est-ce qu'il sont cultivés sans toutes ces saloperies comme le Round-Up & Cie ? Est-ce que c'est produit par des gens de cœur, qui respectent la terre et donc l'homme ? Moi, je suis pas persuadé que les produits qui ont des labels sont des produits sans truc à gauche à droite. Mais l'avantage qu'on a en France, c'est le nombre de petits et de moyens producteurs. Le problème, c'est que ces gens là n'ont pas le temps de se fédérer. Le problème, c'est qu'on est bouffé par les grandes surfaces.

Le cuisinier a une responsabilité.

Bien entendu ! Mais, pendant trop longtemps, il a passé outre sa responsabilité sur l'origine des produits.

Comment voyez-vous la cuisine de demain ?

La cuisine de demain sera celle dont je viens de vous parler. Il y a une ligne blanche à ne pas dépasser, c'est pas compliqué.

De plus en plus de chefs cèdent aux sirènes des industriels...

(Il coupe.) Moi le premier ! Moi le premier ! Je fais la promotion d'un jambon.

Madrange...

Oui. Il y a une polémique pour le jambon dont je fais la promotion. Je vais vous dire. J'ai enlevé une saloperie dans le jambon, hé bien j'ai oeuvré pour les gens de la cuisine de tous les jours. Je pense à Jean-Pierre Coffe qui a été décrié au maximum et qui a fait un boulot remarquable dans les supermarchés Lidl. Chez Lidl, on trouve maintenant des adresses de copains qui livrent des produits de campagne. Bravo, M. Coffe !

À vous entendre, les chefs tirent les industriels vers le haut.

Oui. Si c'est juste pour la photo, je suis contre. Mais par contre, si on travaille dedans, c'est génial.

Les chefs devraient mettre leur nez dans les cantines ?

Vous savez, j'ai travaillé 15 ans pour Sodexo. C'est difficilement améliorable car ils sont tenus à des contraintes de normes hygiéniques européennes complètement débiles. On est devenu fou. Quand vous cuisez vos haricots verts trop de temps pour respecter l'hygiène mais qu'ils sortent tout gris et n'ont plus de goût, je dis non. Ceci étant, Sodexo a fait des efforts énormes.

Bon, et vos projets en Croatie, à Pékin, à Annecy, avec Cozna Vera, à Veyrier-du-Lac ?

Dans quelque temps, on a des choses qui arrivent à Paris.

Et le reste de vos affaires ?

Pékin, c'est un échec total. C’est une grande leçon d'humilité. Il faut comprendre les civilisations, c'est tout un état d'esprit.

Et votre fast-food Cozna Vera, à Annecy ?

Je travaille avec GL Events. C'est un de mes partenaires. Ils ont racheté Cozna Vera. On est en train de retravailler dessus.

Il y en aura d’autres ?

À mon avis, oui, car derrière, il y a une grosse machine, GL Events. En plus, Olivier Ginon est gastronome...

Vous avez été le seul chef à avoir eu 20/20 au GaultMillau, l’un des rares à être double triple-étoilé...

(Il coupe.) Non, non, non. J'ai été le premier à avoir eu deux fois 3 étoiles et le seul à avoir eu 20/20 au GaultMillau. C'est inégalé et ça restera inégalé.

Justement, les étoiles, ça vous retente ?

Vous savez, aujourd'hui, j'ai un concept nouveau. Les guides feront ce qu'ils voudront. Je ne suis pas dans la GaultMillau cette année, je suis déjà content. C'est déjà tout imprimé. Ça fait au moins une année de gagné (rires). La 2e année, je demande simplement au Michelin qu'il ne me mette pas d'étoiles et nous laisse vivre peinard et de revenir nous voir l'année suivante. On ne demande rien nous...

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