Rupture du quotidien, les fêtes - comme Noël ou le Nouvel An, s'accompagnent de repas plus copieux que d'ordinaire.
Noël est sans aucun doute la fête la plus populaire de l'année. Si les chrétiens célèbrent la naissance de Jésus le 25 décembre – date fixée par l'Église au milieu du IVe siècle – "les raisons profondes de cette fête tiennent en réalité au solstice d'hiver quand, dans l'hémisphère nord, les jours, alors les plus courts, vont progressivement se mettre à rallonger" explique Nadine Cretin, docteur en histoire à l'École des hautes études en sciences sociales et spécialiste des relations entre le territoire et ses usages festif, rituel et spirituel.
Tabula fortunata
Dans la Rome antique, lors des Saturnales, la population revivait "l'Âge d'or quand tous étaient égaux", de même qu'était très en vogue à cette époque le culte venu de Perse au dieu Mithra, Sol invictus, le "Soleil invaincu", né de la pierre un 25 décembre. Lors de ces grandes réjouissances populaires pendant lesquelles étaient organisés de grands banquets domestiques qui ressemblaient à nos réveillons, et où l'on mangeait très copieusement. C’est la coutume de la tabula fortunata, une table chargée de mets et de boissons censée porter bonheur aux Calendes de janvier, à la veille de la nouvelle année.
Au Moyen-âge, relate Nadine Cretin, de grands repas, ancêtres de nos réveillons, se tenait près de la cheminée où brûlait une bûche au caractère sacré. L'origine de la bûche de Noël est intimement liée au solstice d'hiver. Dans chaque maison, pour cette nuit la plus longue de l'année "qui appartient aux revenants" et dont "il fallait conjurer le sort", selon Nadine Cretin, on plaçait cérémonieusement une vraie bûche dans la cheminée, et on associait le souvenir des chers disparus. On renversait un peu de vin ou d'huile dessus en offrande. Le gâteau n'est arrivé qu'en 1870, sous forme d'un roulé qui rappelait la bûche. Le gâteau était très riche, comme pour annoncer un hiver prospère, car l'abondance appelle l'abondance.
"Précédant la messe, le gros souper provençal était maigre avec poisson, morue et escargots.... En revanche, si on poursuivait les agapes après la messe de Minuit, on passait aux viandes grasses, comme le veut la savoureuse description du réveillon dans le célèbre conte d'Alphonse Daudet Les Trois messes basses (1873) qui tourne la tête de Dom Balaguère, chapelain des seigneurs de Trinquelague, non loin du mont Ventoux."
Le récit commence par un dialogue entre le prêtre et son jeune servant de messe qui se préparent à la sacristie :
"-Deux filles truffées, Garrigou ?...
-Oui, mon révérend, deux dindes magnifiques bourrées de truffes. (…)
-Et avec les dindes, qu'est-ce que tu as encore aperçu à la cuisine ?...
-Oh ! Toutes sortes de bonnes choses... Depuis midi nous n'avons que fait plumer des faisans, des huppes, des gelinottes, des coqus de bruyère. La plume en volait de partout.... Puis de l'étang on apporté des anguilles, des carpes dorées, des truites, des...
-Grosses comment les truites, Garrigou ?...
-Grosses comme ça mon révérend... Énormes ! ...(...) Si vous voyiez cela dans la salle à manger du château, tourtes ces carafes qui flambent pleines de vin de toutes les couleurs.... Et la vaisselle d'argent, les surtouts ciselés, les fleurs, les candélabres !... Jamais il ne se sera vu un réveillon pareil."
Nos réveillons modernes de Noël (ou du Nouvel An) représentent cette abondance souhaitée pour l'année qui vient. Les repas sont très riches, pour annoncer un hiver prospère, car l'abondance appelle l'abondance.