La création d'un nouveau fromage est suffisamment rare pour être signalée. Hervé Mons, "éminence grise du fromage", comme la presse étrangère le surnomme, considéré comme l'un des plus talentueux et l'un des plus avant-gardistes affineurs qui soit, meilleur ouvrier de France fromager, et la bergère Caroline Joguet ont créé un fromage de toutes pièces.
En matière de fromage, tout commence toujours en montagne. Invariablement. Au départ, il y a les chèvres. Quatre-vingt-dix précisément. De race alpine chamoisée. Chouchoutées dans le cadre idyllique des alpages du Beaufortain. Il y a ensuite la bergère, Caroline Joguet, 28 ans, miss Agri 2017 ("pour casser l'image de l'agricultrice avec son fichu sur la tête et son tablier") qui marche sur les traces de sa grand-mère Ottavie. Il y a ensuite des affineurs : les Dubouloz, savoyards pur sang et les Mons, auvergnats pur jus. Il y a aussi la Pierra Menta, une compétition internationale de ski alpinisme, à Arêches-Beaufort, baptisée en hommage au sommet mythique du massif du Beaufortain, par lequel elle grimpe (et dont le père de la petite bergère a gagné la toute première édition, en 1986).
De ces rencontres est né le plancherin d'Arêches, un nouveau fromage pour lequel, du nom jusqu'à sa fabrication, tout a été inventé.
Vieille recette de grand-mère
Le plancherin d'Arêches (combinaison de Plan, le lieu dit où se situe l’exploitation de Caroline Joguet, de vacherin car il se présente de la sorte et d'Arêches où il est né) est un fromage au lait cru de chèvre, travaillé au chaudron en cuivre, moulé à la main et cerclé d'une écorce d'aubier et salé. Inventé de toutes pièces donc, mais inspiré par les parcours professionnels de chacun. La recette du fromage qu'avait léguée la grand-mère à la petite-fille n’a pas manqué d’intriguer les fromagers affineurs Mons et Dubouloz, en balade dans le coin. Mais ça ressemblait un peu trop au grataron local, une pâte molle à croûte lavée du coin, sorte de reblochon de chèvre.
Hervé Mons avait, depuis longtemps, l'idée de faire un vacherin de chèvres. C'est sa propre crémerie, à Saint-Haon-le-Châtel, qui lui a permis de réaliser le projet. "Il a fallu mettre en place la techno, sélectionner les types de ferments, le type de lactation, les conditions d'affinage..." explique Pierric, responsable du fromage. Dix-huit mois de réflexions, de teste. "On a planché sec. Et une recette a émergé. Les essais ont été nombreux, les copains de la montagne ont été nos testeurs" confie Hervé Mons.
Commence alors un long processus d’affinage sur planches avec de nombreux soins. Cette étape est aujourd’hui faite dans les caves emblématiques de la maison Mons, mais aussi dans les caves de Marc Dubouloz, à Annecy. Le but d’Hervé Mons est que ce fromage soit à l’image de son terroir, de par son aspect rustique mais soigné, son croutage fin et délicat, son cerclage lui donnant une caractéristique tant visuelle que gustative. Le goût, la texture, les arômes, toujours dans la finesse et la subtilité. Le goût caprin doit s’approcher de la noisette, le boisé par un tanin subtil doit marquer sans dominer, la texture crémeuse doit fondre en bouche et la note finale ne doit être que fraîcheur. Facile à dire ou à écrire, un peu plus compliqué à faire quand on connait l’alchimie fromagère et ces aléas.
Hervé Mons rencontre alors Jean Sulpice, le chef doublement étoilé de Talloires, à L'Auberge du Père Bise, lui aussi fou de montagne et avec lequel il fait de nombreux tests de dégustation, le palais d'un maître-queue valant son pesant de cacahuètes. Avec Jérôme Feuillade, un copain médecin urgentiste, amateur de bonne chère, ils ont la Pierra Menta en ligne de mire. S'ils la bouclent, ils fêteront la naissance du plancherin d'Arêches à l'auberge. Aussitôt dit aussitôt fait.
Parrainé par le deux étoiles Michelin de Talloires
Mercredi 11 septembre, ils étaient tous au bistrot L'Auberge du Père Bise, le 1903, pour baptiser le plancherin d'Arêches et goûter le menu spécial de Jean Sulpice. Car le fromage se mange mais se cuisine aussi.
"Le fromage, c'est un peu comme une équation. C'est un terroir + une histoire + une race de bête + un savoir-faire, dont le dénominateur commun est la saison. En modifiant l'un des paramètres de l'équation, on change de facto la qualité du produit final.(...) Un fromage, c'est le fruit d'une tradition séculaire, assis sur un socle solide et indiscutable, son histoire !" expliquait à Lyon Capitale, il y a quelques mois de cela, Christian Janier, Meilleur ouvrier de France fromager.
Tout ce qu'on peut dire, c'est que l'histoire du plancherin d'Arêches est en cours. Et en bonne voie.
Où manger du plancherin d'Arêches ? En vente à Lyon : Halles de Lyon Paul Bocuse, Lyon la Charité, Lyon Croix-Rousse, Lyon Frères Lumière, Lyon Platière.