Evénement. Un petit groupe de viticulteurs sérieux préfigure ce que sera le Beaujolais de demain.
Sans renier ses racines un instant.
"What's new in Beaujolais is certainly not nouveau". La formule est d'Eric Asimov, critique de vin au New-York Times.
Alors que le primeur inonde la planète ce troisième jeudi de novembre, d'aucuns se lassent de ce rite quasi sexuagénaire, trop souvent associé à la médiocrité. Ce n'est pas un scoop, le Beaujolais est en crise. Ce qui l'est plus, c'est le message lancé par un petit détachement de viticulteurs consciencieux, imaginatifs, respectueux de la vigne, et parfois culottés. Rien de bien organisé (si ce n'est, par exemple, au national, la Tribu des vins naturels) mais des vignerons, ici et là, qui ne trichent pas avec le raisin et se battent pour accoucher de vins de terroir, dont le goût se rapproche au maximum du cépage. Pas de mass-market version "it's beaujolais nouveau time", mais de petites structures commerciales de " bon père de famille ". "Nous ne sommes pas des grands goupes, mais nous avons désormais des méthodes offensives sur le marché" explique Dominique Piron, héritier de la saga du même nom, à Villié-Morgon, et vice-président de l'Interprofession.
Qu'on se le dise, le temps où le beaujolais se buvait comme du p'tit lait et se vendait comme des p'tits pains est définitivement révolu. Demain, ce sont les "wineries" qui sortiront le beaujolais de la sclérose en grappes. Autrement dit, les vignerons qui gèreront leur domaine de A à Z, de la vigne à la bouteille, en passant par la commercialisation. "Aujourd'hui, plus que jamais, il faut savoir quitter ses vignes et vendre son vin aux quatre coins du monde", prêche Jean-François Garlon, dont le beaujolais Cuvée Prestige se retrouve sur la carte des vins des restautants étoilés d'Alain Ducasse. Démarcher, démarcher, encore et toujours démarcher. Se construire des réseaux et tisser sa toile. Là réside certainement le secret pour s'en sortir.
Analyse de Pierre-Marie Chermette, l'un des viticulteurs les plus talentueux de sa génération : "il y a vingt ans, 2 ou 3 gros négociants, comme Duboeuf, menaient le Beaujolais, l'Interprofession et l'Union viticole. On était un peu bloqué. Dorénavant, on est plus libre de faire ce qu'on veut. Le système est un peu plus libéral, il s'est adapté". Comprenez : le système quasi communiste d'antan, qui a longtemps porté ses fruits, montre aujourd'hui ses limites. Qu'on le veuille ou non, dans le contexte actuel, la tendance est à la "starification". Non à l'individualisme outrageant. La meilleure preuve ? Cyril et Karine Alonso, un couple de jeunes viticulteurs qui a démarré ses premières vendanges il y a seulement trois ans. Le Gault Millau Vin vient de les honorer de "vignerons de l'année en Beaujolais-Bourgogne" et de "révélation de l'année". Négociants-itinérants, ils choisissent et vinifient les parcelles de viticulteurs de la région qui, en retour, leur filent leur carnet d'adresses. Originaux, doués, un brin barrés (étiquettes) et débrouillards, ils incarnent la relève du Beaujolais. In vino veritas...