Le palmarès 2016 du Guide Michelin est tombé et trois restaurants du Rhône viennent d'accrocher une première étoile. Il s’agit du 1217, situé dans le Château de Bagnols, et des restaurants PraiRial et Le Passe-Temps à Lyon. L’occasion de revenir en trois pages sur trois restaurants visités par Lyon Capitale. Dégustation.
PRaiRial : Lost in translation
Jolie sortie, hors des sentiers battus, à travers champs. Végétal. Réfléchi. Stylé et campagne.
Une asperge blanche, de jeunes oignons caramélisés. Un regard, une caresse. Quelques cheveux de fenouil bronze et feuilles d’acacia en juges de paix. L’assiette est graphique, sensuelle. Un brin animale. On croit connaître la chanson, et voilà que Gaëtan Gentil nous la chante à sa façon. Wow !
Vertige de l’instant, perception immédiate et directe du présent. Le palais reste comme engourdi. La technique est désarmante. L’asperge est brûlée crue, la première peau simplement retirée avant le service. Et puis il y a cette pâte terreuse qui décuple l’acuité sensorielle du plat. Gaëtan Gentil brouille les pistes. Ici, par un savant mélange de poudre d’amande, de brioche séchée et d’olives noires déshydratées mixées et frites. En fin de bouche, le muscovado (un sucre doux raffiné issu de cannes à sucre mauriciennes), sous sa forme sirupeuse brune, apporte une touche prononcée de caramel réglissé.
D’un plat en apparence simple, on croise au large d’un univers complexe, à la fois ouaté et excitant. Le stress, le jeune cuisinier connaît. Il était à Paname il y a encore quelques mois, sous les feux de la critique parisienne, au piano du très hype Agapé Substance. On a rencontré le chef trentenaire en bord de Saône, à quelques semaines de l’ouverture de sa première affaire, Prairial. “L’idée, c’est de la gastronomie décomplexée, une assiette soignée et un service à la coule”, formulait-il.
Champ culinaire des possibles
Prairial est un laboratoire. Une sorte d’officine culinaire où l’on vient déguster (“manger avec plaisir, en savourant”, explicite le Larousse). Plus qu’un repas, Prairial est une expérience, où défilent les coups de cœur de la sommelière. La cuisine est à la fois terrienne (canette des Dombes poêlée, jeunes carottes étuvées, jus de canard framboise et chocolat) et aérienne (fraises à l’hibiscus, glace à la fleur de sureau et pousses de pourpier), fraîche (fleurs et pousses en tous genres sont distillées avec une intuition rare, apportant à la fois densité, vaporeux et saveur aux recettes) et juste (coup de chapeau aux cuissons méthodiques). Bref, cette cuisine-là a de la caisse et du répondant. On sent que ça fuse d’idées et de bon sens.
Gaëtan Gentil n’est ni suiveur ni derviche tourneur. C’est un franc-tireur et un empêcheur de tourner en rond. Un pisteur, en quelque sorte. Quoique encore un peu timide. Dans les quantités, certes. Mais surtout, on aurait envie d’être un peu plus bousculé. Avec un végétal plus brutal et radical. De se perdre un peu plus. D’être déboussolé.
Dans le vaste champ culinaire de Gaëtan, cette sensation primaire et implacable est à bout de fourchette. C’est palpable.
L’addition • Déjeuner de 22 à 35 € • Dîner de 42 à 49 € • Menus spéciaux à 47, 58 et 76 € Les plats • Foie gras, épeautre & cresson • Asperge blanche, jeunes oignons & olives noires • Chinchard, asperges vertes & miso blanc • Canette, carottes, framboises & cacao • Fraises, hibiscus & sureau • Chocolat, yuzu & mélilot Les vins • Touraine Terre Blanche Noëlla Morantin, 2013 – 29 € • Sauvignon Quartz Étienne Courtois, 2013 – 34 € • Morgon P’tit Max Guy Breton, 2013 – 41 € PRaiRial 11 rue Chavanne, Lyon 1er 04 78 27 86 93 |
Le Passe Temps : Pur-sang
Un jeune inconnu originaire de Séoul excite les papilles dans son petit bistrot ébauche.
Chez Younghoon Lee et So Young Lim, on ne fait pas dans le bravache. Plutôt dans la courbette. Rien d’étonnant à cela : en Corée, la politesse est une institution nationale. À table, du reste, il est impoli de sentir un plat avant de le manger (même si c’est pour en dire le plus grand bien). Chez nous, c’est à l’inverse un sport national.
Au Passe Temps – jolie et suggestive formule culinaire –, l’étude picturale des assiettes fait d’emblée ressentir le besoin de humer. Alors, on attend que la maîtresse de maison se soit écartée... Les intitulés des plats (saumon mariné/haricot vert/huile de sésame/mascarpone, cabillaud/artichaut/pamplemousse/noisette) sont aussi fragmentaires que leur architecture est accomplie. On attaquerait limite avec des pincettes – de celles que les frères Roca de Girone vous soumettent pour déguster leur abyssale salade d’anémones de mer, couteaux, concombre de mer et algues en escabèche. D’ailleurs, vu l’application que met le chef Younghoon Lee à construire ses toiles à manger, on pourrait légitimement penser qu’il dispose ingrédient par ingrédient aux brucelles utilisées en joaillerie.
Orfèvrerie
Le menu, très resserré (deux entrées, deux plats, un fromage et un dessert), est un petit bijou de goût. Une vraie orfèvrerie papillaire. Qui aurait pensé associer des coquillages et une émulsion de moules fumées à un velouté de potimarron-châtaigne ? Pourtant, le rapprochement tombe sous le sens. En cuisine, avec son second Myoungwoo Seok, c’est l’entente cordiale. Si on y ajoute leur cuisine bien française, subtilement dévergondée d’affiquets coréens (miso, kimchi, soja jaune...), on pourrait parler de “triple entente”.
“Mon niveau de cuisine n’est pas celui d’un grand chef”, s’excuse presque Younghoon Lee d’une légère inclinaison de la tête. Avant de se rattraper : “Mais j’ai plein d’idées dans ma tête.” L’homme a appris à Séoul, dans un bistrot tenu par un Français. En 2009, il prend l’avion direction le pays des grenouilles. Atterrit à Écully, à l’institut Paul Bocuse. Il en ressortira quelques années plus tard, avec son diplôme Arts culinaires et management de la restauration, religieusement accroché au-dessus de ses casseroles – en Corée, les cuisiniers vouent un culte à Paul Bocuse, ceci expliquant cela. Son premier stage, c’est d’ailleurs à Collonges qu’il le fait, avant de partir pour Paris, chez Lasserre. À bonne école donc. Mais Younghoon Lee fait mieux : il réinvente la cuisine française. À sa sauce et à son rythme. À quel prix, demanderez-vous ? Si on vous dit 23 euros le menu, vous y croyez ? Pour le chef, la cuisine est un “passe-temps”. Ses potes ? Takao Takano, Nicolas Guilloton de L’Atelier des Augustins et Samuel Desjobert de L’Eskis. Y a pire.
L’addition • Entrée+plat ou plat+dessert : 18 € • Menu complet : 23 € Les vins • Petit chablis Garnier & Fils • Minervois 2011 Le Régal, Le Loup Blanc Les plats • Saumon mariné, haricot vert, huile de sésame, ricotta • Velouté de potimarron, coquillage, châtaigne • Cabillaud, artichaut, pamplemousse, noisette • Poulet jaune, navet boule d’or, épeautre, minipoireau • Fromage affiné Étienne Boissy, MOF, pour la maison Mons • Chocolat noir, praline noisette et amande, “sable” Le Passe Temps 52 rue Tronchet, Lyon 6e 04 72 82 90 14 Ouvert tous les jours, midi (du mardi au vendredi) et soir (du lundi au samedi). |
Bagnols ou la bistronomie de château
Depuis son providentiel rachat par un industriel lyonnais, le château de Bagnols renaît de ses cendres. Si le nouveau chef vise sans le dire – mais n’en pense pas moins – les étoiles, il joue aussi l’ouverture avec une séduisante carte bistronomique.
Paul Bocuse a dit de lui qu’il serait le premier chef étoilé de couleur. Jean-Alexandre Ouaratta, 33 ans, en a en tout cas le pedigree. Ancien de L’Auberge du pont de Collonges, chef adjoint de Yannick Alléno au 1947 à Courchevel puis au Royal Mansour à Marrakech, le cuisinier d’origine réunionnaise n’en revient toujours pas de travailler dans un tel théâtre – que beaucoup considèrent comme l’un des plus beaux châteaux-hôtels du monde.
Belle endormie
Après errements et égarements, le château de Bagnols a recouvré son lustre d’antan, depuis son rachat, à l’été 2012, par l’industriel lyonnais Jean-Claude Lavorel. Le président-fondateur du groupe LVL Médical n’a pas regardé à la dépense pour faire revivre cette “belle endormie” : 10 millions pour le château classé au titre des Monuments historiques et trois autres pour métamorphoser l’immense cuvage en SPA de grand luxe de 357 m2 et six nouvelles chambres contemporaines. C’est lui qui a souhaité mettre en place, aux côtés de la légitime carte gastronomique, un menu bistronomique. L’idée : “ouvrir les portes du château”, fermé pendant huit siècles aux manants et au grand public.
34 euros, le prix de la félicité
Première bonne surprise : les tarifs. Jadis zélateur d’un répertoire exclusivement dispendieux, Bagnols joue désormais la carte bistronomique, avec un menu à 34 euros. Les produits sont plus simples (salade de tomates-mozzarella, carpaccio de bœuf aux copeaux de parmesan), avec parfois quelques envolées (salade César au homard, filet de féra cuit au naturel). On aime les touches d’inspiration créole du chef, à l’image de ce tartare de thon au lait de coco et citron vert. Ce sont, dans le volet gastronomique, les belles langoustines juste saisies au combava accompagnées de cœur-de-bœuf au vinaigre de mangue et curcuma, ou la selle d’agneau de l’Aveyron rôtie au massalé.
Agapes graphiques
Dans la cour Renaissance ou dans l’allée des Lavandes, face aux collines vineuses et aux vallées serpentines, c’est un festival de galbes, d’agapes graphiques, un récital écologique majeur à seulement quelques encablures de Lyon.
Ce monument chargé de huit siècles d’histoire est un bon plan pour savourer la “petite Toscane” à la française entre douves, murs d’enceinte, herse et pont-levis.
Le secret du chef
Jean-Alexandre Ouaratta, 33 ans, est le nouveau chef des cuisines de Bagnols. Originaire de la côte ouest de l’île de la Réunion et passé par les pianos de Paul Bocuse, de Yannick Alléno et du Royal Mansour à Marrakech, sa cuisine, de facture classique et raffinée, est subtilement assaisonnée de sa culture culinaire créole.
L’addition Carte bistronomique (le midi en semaine) de 18 à 32 € Menus gastronomiques à 70, 95 et 120 € Menu enfant (-12 ans) à 28 € Les plats • Tartare de thon au lait de coco et citron vert • Côtelettes d’agneau à la plancha, polenta moelleuse • Fondant au chocolat, caramel et fleur de sel Les vins • Saint-véran Le Grand Bussière, domaine Olivier Merlin, 2010 • Pouilly-fuissé vieilles vignes, domaine Pierre Vessigaud, 2011 • Volnay 1er cru Clos des Chênes, vieilles vignes, domaine Henri Delagrange & Fils, 2007 Château de Bagnols 69620 Bagnols 04 74 71 40 00 |