Joli succès pour la grand-messe gastronomique nocturne des Halles de Lyon – Paul Bocuse, malgré quelques royales déconvenues.
Rapide retour sur la soirée dont le tout-Lyon a bruissé, mardi dernier. Non pas l'inauguration du campagne de Gérard Collomb (n'en déplaise à Monsieur le maire), mais bien la grande sauterie privée aux Halles de Lyon. Le match était pipé d'avance : crackers/pizza/lyrisme extasié et cuisine politique ici, saumon/tarama de caviar/champagne et insouciance à discrétion là. Collomb 0 – Roy'Halles de Lyon 1. "Il y a 55 jours pour faire campagne... Nous allons essayer de le faire à un rythme soutenu en commençant arrondissement par arrondissement" expliquait le maire de Lyon qui a débuté - son sit-in politique achevé - avec un certain appétit dans le "ventre" de la ville.
Le couple gastronomie et politique, si cher à Lyon, n'a donc pas failli à sa réputation. Et certains de se dire qu'un air d'herriotisme flottait en ville - époque consacrée où la gastronomie était durablement ancrée dans le fonctionnement politique lyonnais. Si de nombreux édiles de la ville étaient venus tâter du petits-fours et de la bulle – on a croisé Richard Brumm, Michel Havard, Marie-Odile Fondeur, Denis Broliquier, François Turcas, Roland Bernard... -, tout ce que Lyon comptait d'happy few, de boîtes de com', d'attachées de presse, de grosses entreprises locales s'étaient également passé le mot.
Le ticket d'entrée - entre 95 et 230 euros selon qui on était (90% entreprises, le reste en particuliers ) - n'avait apparemment pas refroidi les estomacs, puisque les organisateurs inventoriaient un peu plus de 1 800 fidèles de Pantagruel.
Unlimited
À 19h00, une demi-heure avant le coup de fouet, ça poussait sec sur le perron de l'immense verrière gastronomique. Une fois le cordon de sécurité passé, son verre all night long bien en main, il faut reconnaître qu'une sorte de frémissement vous remontait tout le corps, ponctué d'un petit rire nerveux et, pour certains, d'un préambule mousseux au coin de la lèvre inférieure : ce sanctuaire culinaire de l'identité lyonnaise est proposé avec toute l'abondance désirable.
Alors on attaque par ce qui se présente à nous, dans un chaos absolu : ce sera un chiroubles du château de la Pierre, Thierry Cabanetos, le directeur commercial France de la maison Jean Loron qui commercialise le domaine, nous expliquant que "le pinot noir dans le Beaujolais, on s'y met avec énergie". Direction Bellota-Bellota avec un grand cru Huelva Jabugo (pata negra), un lomo blanc et du chorizo ibérique. Détour par la fromagerie Mons et son MOF Étienne Boissy qui vous salue d'un brillat-savarin truffé et d'un petit sornin frotté aux malts d'orges, de blé et de houblons amères. C'est à ce moment qu'on met le pied dans le carreau des écaillers. Et là... des enfilades de fines de claires, de royales Isigny n°5, de creuses de Cancale, de bulots, de bigorneaux et de crevettes roses et bouquets. Selon la police, 13 000 huîtres auraient ainsi fini dans les jabots. Quelques serrages de mains plus loin, on tombe nez à nez avec les macarons de Romaric Boilley (Délices des sens) : cassis-romarin, chocolat-passion, framboise-violette, banane-caramel, champagne. Bilan des agapes : 2 000 macarons avalés. Rapporté aux 1 800 privilégiés, ça fait à peine un macaron par tête. Bon, sachant qu'une grande partie de l'assistance se concentrait sur les fruits de mer – et plus généralement la cochonaille - on peut remonter, sans trop se tromper, le ratio à 4 par personnes (le double pour moi...).
Dix minutes plus tard, chez Cuisines du Sud je patientais devant une poêlée de grenouilles pantagruélique (ils font 10 tonnes par an) : de Turquie (ce qui, au passage, n'a pas manqué d'alimenter les conversations autour de l'entrée de la Turquie en Europe), passées à la farine, plongées dans une immense sauteuse farcie du tiers d'une plaquette de beurre (et huile pour éviter que le beurre ne brûle). Déception en revanche chez Rolle et ses saumons dignes d'un mareyeur de luxe (Norvège, Écosse, Baltique) : pas de dégustation de salmonidés mais seulement des mousses un peu lourdes.
Tout le monde n'a pas joué le jeu avec le même enthousiasme
Bref... On a bien mangé ! Quelques royales déconvenues cependant sur certains stands (Richart, Bobosse, les maraîchers, etc.). D'autant qu'avec un PAF de ce niveau, les 52 commerçants ouverts (sur 56) recevaient une enveloppe, sorte de redevance, pour jouer le jeu. Chacun, d'après les organisateurs, devaient mette leurs produits à volonté à hauteur de 1 000/1 500 euros. A priori, tout ce petit monde n'a pas la même opinion du concept de "à volonté".
Proxicom et Chalvin& Company, les deux grands manitous de l'open-space-party le reconnaissent d'ailleurs : "Il y a eu un peu de confusion sur les boissons entre le champagne offert par Perrier-Jouët et les vins que les invités ont difficilement trouvé". 1 000 bouteilles de bulles bues ! En revanche, pour l'eau, pfuiiit, on n'en a pas vu.
À 22h30, fermeture des portes. Fin du bal. À en croire les organisateurs, la soirée fut belle et fructueuse. Au-delà d'être plutôt rémunératrices, les Roy'Halles de Lyon furent une gigantesque opération de com' touristique privée (à la grande joie de François Gaillard, le président de l'Office du Tourisme). "Depuis la fin du Grand Prix de Tennis de Lyon et du Salon de l'Auto, explique Pierre-Yves Gas, l'un des organisateurs, il n'y avait plus de lieu à Lyon où les entreprises pouvaient se retrouver en B to B une fois par an". Et Claude Polidori, le président des commerçants, de privilégier "une renaissance des Halles , après deux ans de galère de travaux" (à ceci près qu'il y a le gros du morceau : la construction d'Incity).
Car bien malgré elles, les Halles ne sont pas ce haut-lieu de l'offre gastronomico-touristique lyonnaise qu'on veut bien penser. Miroir de la gastronomie lyonnaise, oui, car c'est ici que se concentrent les maisons de l'identité de la ville ("faire ses courses aux Halles constitue un acte de lyonnitude" explique Bruno Benoît, professeur à l'IEP). "Les Halles de Lyon comme haut lieu ne fonctionnent essentiellement (et partiellement) qu'à destination des populations locales (voire régionales) et ne participent que très marginalement à l'instrumentalisation touristique de la gastronomie", écrit Isabelle Lefort, spécialiste des questions d'histoire et d'épistémologie de la géographie à l'université Lyon 2).
A bon entendeur.
Au final cet étalage de nourriture ne fait pas envie du tout; c'est même indécent par les temps qui courent. Le sentiment des salariés corvéables de cette soirée aurait été intéressant à connaitre....