L'institut Paul-Bocuse (Ecully), l’une des plus prestigieuses écoles hôtelières et culinaires du monde.
L’institut Paul-Bocuse (Ecully), l’une des plus prestigieuses écoles hôtelières et culinaires du monde, s’appellera désormais l’Institut Lyfe. @Antoine Merlet

Tourmente à l'institut Paul-Bocuse : un changement de nom qui annonce la fin des haricots ?

L' institut Paul-Bocuse change de nom sur fond de bataille juridique. Pour son ancien directeur académique, les conséquences pour l'école risquent d'être "désastreuses".

Comme dit le dicton, "à la Sainte-Zita, le froid ne dure pas". C'est néanmoins toute la question qui va se poser pour l'institut Paul-Bocuse. Jeudi 27 avril, la direction de l'école couramment appelée "IPB" a annoncé, à la surprise générale, changer de nom. L'école hôtelière, l'une des plus prestigieuses au monde, s'appelle désormais "institut Lyfe" (acronyme de "Lyon for excellence").

Selon la direction en place, "l’Institut Lyfe (est) un nom pour donner du sens à la vie de celles et ceux qui font rayonner l’art de vivre à la française dans
le monde entier."
Et d'ajouter : "un nouveau nom et une nouvelle identité portent ses ambitions stratégiques."

Ce changement de nom n'est pas anodin. Il intervient sur fond de bataille juridique. Un procès doit d'ailleurs se tenir en mai entre Jérôme Bocuse et le désormais ex-institut Paul-Bocuse pour usage abusif du nom du "pape de la gastronomie".

Lire aussi : Enquête. L’institut Paul-Bocuse dans la tourmente

Est-ce la fin des haricots pour la grande école française ? Stéphan Demaeght de Montalay, ancien directeur académique de l'école, co-fondateur et trésorier de l’Association de défense des valeurs de l’IPB estime que "la valeur de l'école peut être dépréciée" et que "les répercussions sur le centre de recherche et les partenariats internationaux risquent également d’être désastreuses"

Dans un entretien qu'il a accordé à Lyon Capitale, cet ancien cadre de l'ex-institut Paul-Bocuse, n'est pas très optimisme quant à l'avenir de l'école fondée au milieu des années 80, sous les bons auspices de Jack Lang, ministre de la Culture et Henri Nallet, ministre de l’Agriculture, et sous le parrainage de Paul Bocuse. Objectif : concurrencer les grandes écoles, comme celles de Lausanne, en Suisse, ou Glion (Londres et Montreux), qui fournissent dans le monde entier les meilleurs serveurs, maîtres d’hôtel ou sommeliers. “Et pour former des chefs exécutifs”, explique Paul Bocuse.

Dans la foulée de l'annonce du changement de nom, une pétition a aussi été mise en ligne pour dénoncer cette "situation désagréable". Du jamais vu.

Que pensez-vous du changement de nom de l’"institut Paul Bocuse" en "Institut Lyfe" (acronyme de Lyon  for excellence) ?  

Ce changement de nom est une catastrophe en soi. J’ai bien compris que les dirigeants souhaitaient garder le mot "institut". Il faut rester sérieux : les étudiants ne viennent pas pour le mot "institut" mais pour le nom qui y est accolé "Paul Bocuse". 

Quelles sont justement les conséquences pour les étudiants ? 

Il faut distinguer trois catégories d'étudiants. Il y a d’abord ceux qui sont déjà diplômés de l’Institut Paul Bocuse, qui peuvent être un peu frustrés car leur diplôme subit de plein fouet une certaine perte de valeur car leur école n’existera plus. Il y a ensuite les étudiants qui sont à l’école en ce moment. Ils ont rejoint l’Institut Paul Bocuse pour avoir un diplôme estampillé "Paul Bocuse" et, au final, vont se retrouver avec un diplôme "Lyfe". Je vais vous faire une confidence : dès le changement de nom dévoilé publiquement, des étudiants m’ont appelé pour que je leur conseille une nouvelle école. Que pensez-vous de Ferrandi, de Vatel, de Ferrière, etc. ? Incroyable. Enfin, la troisième catégorie d’étudiants, ce sont les suivants qui, eux, savent à quoi s’attendre et ne viendront plus. J’ai une pensée particulière pour le service commercial de l’école. Je n’aimerai pas être à la place du directeur commercial de l’école, croyez-moi.

Un procès s’annonce entre Jérôme Bocuse et l’institut Paul-Bocuse sur l’utilisation du nom "Paul Bocuse ". Le moment était donc bien choisi...

Il y a deux choses : c'était le pire moment pour annoncer un changement de nom car toutes les écoles de France sont en période de sélection des étudiants.  Tous ceux qui ont coché la case "institut Paul-Bocuse" dans leurs vœux à Parcoursup sont en train de passer leurs oraux et doivent confirmer ce  choix, ou non, le mois prochain. Nombre d’entre eux ne rejoindront pas Lyfe. Les gamins sont des victimes de cette guerre la entre l’institut Paul-Bocuse et Jérôme Bocuse. 

Sur le volet procès, le moment est effectivement bien choisi par les dirigeants de l’école qui coupent l'herbe sous le pied de Jérôme Bocuse. Lors de la conférence de presse de l’école, organisée jeudi en fin de matinée, Gilles Pélisson, le président de l’école, et Dominique Giraudier, son directeur général, ont expliqué que le changement de nom n’était pas lié au procès, et n’avait rien à voir avec Jérôme Bocuse. Ils ont dit qu’il s’agissait d’un choix stratégique lié au repositionnement de l’école. Ils ont, en prime, refusé de répondre aux questions par rapport au procès, ce qui montre une certaine fébrilité par rapport à ce procès. Mais tout le monde sait qu’au niveau de l’échéance du procès, les dés sont jetés. Est-ce que quelqu’un sera dupe ? J'en doute sérieusement. 

Quelles répercussions ce changement de nom peut-il avoir sur le centre de recherche de l’école ?

Je maintiens ce que je vous avais dit en novembre dernier lors de votre enquête : s’il n’y avait pas le nom accolé à l’école, le centre de recherche n’aurait probablement pas autant de missions extérieures avec des universités nationales et internationales. Il faut comprendre qu’il y a énormément d'entreprises qui travaillent avec le centre de recherche dans l’idée qu’à un moment donné ils pourront utiliser le nom "Paul Bocuse". Qu’il s’agisse du centre de recherche ou des étudiants qui viennent en formation continue, et qui au bout de quinze jours reçoivent leur veste estampillée "Paul Bocuse", tous viennent pour le nom  "Paul Bocuse", soyons sérieux. 

La valeur de l’école peut-elle être dépréciée ? 

Sans aucun doute. Lorsque les représentants de l’école feront la présentation de l’école à l ’étranger, je peux vous assurer que leur carte de visite n’aura plus le même poids. Les répercussions sur les partenariats internationaux risquent également d’être désastreuses. 

Au final, Jérôme Bocuse a-t-il gagné son procès avant l’heure ? 

Dans une certaine mesure, oui, je pense. Le nom «"Paul Bocuse" a été retiré de l’institut. Mais je ne sais pas si Jérôme Bocuse envisage de demander une compensation financière pour l’utilisation du nom par le passé. Je sais simplement que la position du groupe Bocuse était de demander 100 000 euros par an pour l'utilisation future du nom. Jérôme Bocuse serait néanmoins en droit de demander un dédommagement financier pour l ’utilisation passée du nom "Paul Bocuse". Ce sera intéressant de voir ce que les campus étrangers qui portent le nom "Paul Bocuse" vont faire au Pérou, à Singapour, en Corée du Sud, au Japon, à Moscou, etc.

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