A l'occasion de la Sainte Léa, vendredi 22 mars, le restaurant mythique La Voûte chez Léa organise une semaine autour de recettes emblématiques du patrimoine gastronomique de Lyon. Une plongée dans l'histoire.
À une époque où on a jamais autant parlé de globalisation de la gastronomie, où tout un chacun s'interroge pour savoir si on mangera tous demain la même chose, si l'alimentation mondialisée peut coexister avec les spécificités locales et nationales, si la gastronomie n'est, en fin de compte, qu'une marchandise culturelle comme les autres, le restaurant de la légendaire Léa Bidault offre une immersion dans des recettes oubliées qui ont fait les grandes heures de la gastronomie lyonnaise.
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La Voûte chez Léa – Chez Léa ou La Voûte pour les habitués – est sans doute l'un des derniers sanctuaires de la cuisine lyonnaise. Si le nom de La Voûte se perd dans la mémoire des cafés et bistro de quartiers, celui de Chez Léa remonte à 1943. En 76 ans, la table mythique de la dernière mère lyonnaise, n'aura connu que quatre propriétaires. Des sortes de passeurs d'une cuisine un brin désuète et muséale mais bougrement régressive.
Du mardi 19 mars au vendredi 22 mars (sainte Léa, donc), le restaurant de la place Antonin Gourju (quartier Célestins, 2e arrondissement) propose une semaine gastronomique autour de plats du 19e au au 20e siècle.
Chaque soir pendant dix à quinze minutes, en début de repas, Yves Rouèche, chroniqueur culinaire, auteur de huit volumes de L'Almanach Gourmand et du livre Histoire(s) de la gastronomie lyonnaise, interviendra pour raconter les recettes choisies.
Menus servis au dîner / 45 euros (hors boisson) : entrée + plat + dessert parmi 6 recettes :
Entrées
La mousse d’écrevisses bleuette de la Mère Guy
L'une des recettes emblématiques de la première des "mères lyonnaises", la Mère Guy, dont le restaurant datant de 1759 était installé chemin des Etroits à la Mulatière. Il s'agit d'un appareil à quenelle au brochet et queues d'écrevisses enrichi de truffes, pistaches et champignons, cuit au bain marie, et accompagné d'une sauce hollandaise au beurre d'écrevisses.
Le gratin du chanoine
L'une des spécialités du célèbre restaurateur lyonnais Charles Morateur, installé rue Gentil au 19e siècle, et considéré par Félix Benoit comme l'inventeur de la quenelle lyonnaise au brochet. Le gratin du chanoine est une variante du gratin d'écrevisses dans laquelle la grenouille vient embellir le plat.
Plats
Le lapin au rhum Léa Bidault
Mère Léa, dont la fête sera célébrée le vendredi 22 mars, s'est installée place Antonin Gourju en 1943. Elle fut honorée d'une étoile au Guide Michelin et fut aussi la première femme accueillie au sein de l'association des Toques blanches lyonnaises. Le lapin au rhum figurait parmi ses recettes emblématiques avec le paillasson de pommes de terre, le gratin de macaronis, le poulet au vinaigre et le canard au sang.
Les paupiettes de filets de sole en cocon
Voila une recette de Joannès Nandron, chef emblématique du milieu du 20e siècle. Doublement étoilé au Guide Michelin, premier chef de province a être reçu au concours des Meilleurs Ouvriers de France en 1949, il était reconnu pour sa poularde Noëlle, sa mousse de homard et quenelle sauce Nantua, et ses paupiettes de filets de sole en cocon ; des filets de sole farcis d'un salpicon de truffes, champignons, queues et beurre d'écrevisses, enveloppés en cocon dans de la pâte à quenelle, et servis avec une sauce Nantua.
Desserts
La soupe de riz au lait
Au début du 19e siècle, la bourgeoisie lyonnaise organisait des bals bourgeois dans leurs demeures cossues. Ces bals commençaient vers 19 h 30, on dansait, buvait des sirops et pommes d'api, on soupait vers minuit de volailles bouillies et charcuteries froides et on se quittait vers 6 heures du matin, non sans avoir partagé ensemble la soupe de riz au lait, qui était en quelques sortes la soupe à l'oignon de l'époque.
La chamoure ou gâteau de courge
La chamoure est un plat de courge au lait qui se mangeait spécialement dans les revoles, ces fêtes paysannes qui célébraient la fin des vendanges ou des moissons dans le Beaujolais, le Lyonnais et le Mâconnais. Revisité par Christian Têtedoie, ce dessert si simple en apparence, se transforme en une véritable gourmandise avec ses graines de courges torréfiées.
La Voûte Chez Léa,
11 Place Antonin Gourju, Lyon 2e
04 78 42 01 33
Réservations fortement conseillées
Article paru dans le livre Tables mythiques de Lyon (novembre 2016).
La Voûte Chez Léa
La voûte tourne
C'est sans doute l'un des derniers sanctuaires de la cuisine lyonnaise. Si le nom de La Voûte se perd dans la mémoire des cafés et bistro de quartiers, celui de Chez Léa remonte à 1943. En 71 ans, la table mythique de la dernière mère lyonnaise, n'aura connu que trois propriétaires. Des sortes de passeurs d'une cuisine un brin désuète et muséale mais régressive.
"Attention faible femme mais forte gueule". Qui se souvient de Léa Bidault ? Pas grand monde à dire vrai. C'est la pancarte accrochée à sa charrette à bras qui restera. Le folklore en quelque sorte.
Chaque matin, la "mère Léa" écumait les cinq cent mètres du marché Saint-Antoine, entre les ponts de deux autres illustres hommes Bonaparte et Maréchal-Juin. C'est sur les bords de Saône qu'elle venait faire ses emplettes pour la journée, à deux pas de son restaurant, sur le petite place Antonin Gourju. Avec sa casquette blanche ajustée sur un châle qui lui enveloppait la nuque et une bonne partie de la tête, son carton cloué sur sa brouette, la petite bonne femme ne passait pas inaperçu. "La mère Léa, fallait pas trop l'enquiquiner sous peine qu'elle vous fiche à la porte sans y mettre les formes !" raconte Philippe Rabatel, qui l'a bien connue pour avoir repris sa boutique.
De Schneider au marché noir
Bref, la mère Léa, est un mythe. Son nom circule encore aujourd'hui sous le manteau. Née Bidault, dans une famille pauvre, Léa voit le jour en 1908, au Creusot, en roulant les "r". Jusqu'à ses 14 ans, elle est employée chez les Schneider, la famille fondatrice de la ville qui fonda les aciéries du Creusot au XXIe siècle. Autrement dit, elle a fait comme beaucoup de jeunes filles démunies : elle a été cuisinière en maison bourgeoise, avant de se mettre à son compte. Pour tout bagage, Léa avait une paire de sabots et une robe. Ni plus, ni moins. On raconte qu'elle finira millionnaire (ou presque) et qu'elle fréquentait les meilleurs couturiers lyonnais. Bref. La jeune apprentie cuisinière, qui semble avoir hérité d'un authentique don pour la bonne chère, part approfondir son talent dans plusieurs restaurants de la région avant d'atterrir à Lyon, en Presqu'Ile, dans les années 30. Ce sera sa première affaire, dont le nom est tombé dans les oubliettes de ses marmites. L'adresse, en revanche, se fera une petite réputation, à tel point qu'un certain, Daniel Léron reprendra la boutique, qui deviendra Daniel & Denise (avant de déménager rue de Créqui, dans le 6e). La mère Léa restera dix sept ans, avec son gendre, sa fille et ses deux sœurs. Avant de se voir infliger une interdiction d'exercer d'un an pour avoir acheté au marché noir.
Le gratin sous la voûte
Léa, qui n'a jamais vu autre chose que Lyon, l'andouillette et sa Bourgogne, en profite pour partir en voyage. Quand elle revient à Lyon, elle s'installe sur la petite place Antonin Gourju, en retrait du quai des Célestins, en rive gauche de la Saône. Si l'on connaît plus celles de Perrache, la voûte est ici surmontée d'une vierge (pour marquer l'entrée de l’ancien couvent des Célestins) et flanquée de deux cafés comptoir. Côté nord, Au Réveil Lyonnais, et côté est, À La Voûte - Salle de sociétés et réunions en étage, Comptoir Jean Marie en rez-de-chaussée. Ce sera sur ce dernier que Léa Bidault portera son dévolu. On est alors en 1943. Quand les Allemands font sauter le pont Bonaparte tout proche, un an plus tard, le plafond du bistrot et toute la vaisselle n'y résistent pas. En 1945, la matronne se sépare de son associé. Ce sera Restaurant Léa. Aucune discussion possible. L'adresse devient hautement recommandable. Toutes les grandes familles lyonnaises viennent goûter son estimable poulet au vinaigre de vin vieux, son tablier de sapeur-gratin de macaronis, sa salade de pissenlits aux groins d'âne, son canard au sang et son gigot d'agneau enduit, vingt quatre heures durant, de moutarde, filets d'anchois écrasés, sauge, basilic, romarin et ail pilé. Sans oublier la choucroute au champagne ! Les Girerd croisent les Mérieux, les Berliet, les Streichenberger et les Perrier. Toute la magistrature (le Tribunal pour enfants faisait alors l'angle avec la rue Chambonnet) - avoués, juges, avocats - venait s'y encanailler, faisant du coude-à-coude avec les grands professeurs de médecine.
À poils et à plumes
"Ça marchait du tonnerre. Les bons jours, il y avait jusqu'à soixante personnes qui faisaient la queue sous la voûte" se rappelle Phillipe Rabatel qui a bien connu la mère pour avoir travaillé avec elle avant de reprendre son restaurant. Rabatel, c'est un certain Bocuse qui lui a conseillé un jour. C'était l'époque où Monsieur Paul faisait encore les castings lyonnais. "La mère Léa vend. C'est pour toi !". On ne discutait pas. "Tu sais baisser la tête et tu sais garder tes poings dans les poches, tu seras bien chez Léa". Rabatel opine du chef. L'ancien cuisiner personnel du Gouverneur de Lyon connaîtra les heures de gloire (modernes) de La Voûte. Son pêché mignon : la chasse. Bien que pour lui, le meilleur moment soit plus le coup de feu que le coup de fusil. Tous les gibiers y passent. Avec une prédilection pour le lièvre et le perdreau jusqu'à la fin novembre, le faisan et le marcassin ensuite. Ce dernier marine cinq jours dans du vin blanc moelleux et une garniture aromatique (carotte, oignon, échalotes, ail, sauge, baies de genièvre, racine de gingembre). La pièce, égouttée, revient dans une cocotte, est arrosée de miel puis passe au four. A mi-cuisson, la viande est mouillée mi-garniture mi fond-brun. Le tout est servi avec des coings et du gingembre confits et des cèpes poêlés au persil. A La Voûte, les gibiers à poils et à plumes arrivaient frais. Et rien ne se jetait. Dans l'assiette du perdreau, un croûton doré sur lequel gisait quelques abats puissants. Et les gratins de cardons et de macaronis à la crème.
Boulud, Têtedoie sur le coup
2 janvier 2013. Philippe Rabatel arrête, après "33 kilos de bons et loyaux services" dira le maire du 2e, lui remettant la médaille de la Ville. Trois MOF, la crème de la crème des chefs, sont sur le coup. Notamment le Lyonnais exilé à New York Daniel Boulud. C'est finalement Christian Têtedoie qui raflera la mise. Pour l'anecdote, c'est le premier restaurant où dîna le cuisinier étoilé. Et hasard de la vie, sa fille s'apelle Léa. La boucle est bouclée. "Chez Léa, c'est un sanctuaire de la cuisine lyonnaise, dit-il. Cette maison appartient aux Lyonnais. On ne change rien." explique le chef étoilé. Toujours la même déco surannée, ramenant au bon temps des auberges de campagne : nappe rose trémière, murs vilipendés par le temps, grandes toiles de paysage genre L'Auberge sous la neige ou Le chasseur à courre et la bergère dans les bois. Une sorte d'authenticité.
Pour paraphraser Pierre Scize, l'important n'est pas de refaire ce qui a été fait mais de retrouver l'esprit.
Encadré
Quand Léa repassait ses billets de banque
Pendant les Trente Glorieuses, La Voûte chez Léa était l'une des adresses les plus réputées de Lyon. L'argent (comme le champagne) coulait à flots. La mère Léa avait une sacoche accrochée à la taille. D'un côté, elle mettait les chèques, de l'autre les billets. Chaque soir, raconte Philippe Rabatel, son successeur, Léa Bidault repassait ses billets, chez elle, à l'étage. Tous les lundis matin, à 9 heures, elle se rendait à la BNP, rue de la Barre, et vidait son sac plein de billets sur le comptoir. Et le directeur comptait. "C'était sans grand plaisir". Outre pour son poulet au vinaigre de vin vieux, la mère était connue pour ses toilettes, qu'elle achetait chez les meilleurs couturiers de la ville.