Une start-up des Hauts-de-Seine entend bien nous faire boire du vin... en canettes. Côtes-du-rhône, bourgogne et bordeaux dès octobre, beaujolais en 2014. Nous avons goûté. Dans le milieu de la vigne, les viticulteurs voient parfois rouge.
“Je veux révolutionner la consommation mondiale du vin.” Rien que ça. Du haut de ses 37 ans, Cédric Ségal n'a peur de rien. Surtout pas de casser les sacro-saints codes de l'une des boissons les plus bues au monde. Sa société, Fabulous Brands, basée dans le bastion communiste de Malakoff, dans les Hauts-de-Seine, mise sur le vin conditionné en canettes aluminium. “Lorsqu'on a exposé nos canettes à Vinexpo Bordeaux [le plus grand salon au monde des vins et spiritueux, NdlR], on a rencontré un beau succès, surtout auprès d'importateurs étrangers.” Le buzz médiatique qui s'est ensuivi a dû soûler plus d'un vigneron. Le Figaro, Capital, BFM TV, France 24, Euronews, Europe 1, La Pravda, le Times, le Los Angeles Times, le Malaysian Insider, Wine Searcher... les canettes de vin sont littéralement montées à la tête de la presse internationale.
Couches de laque
Les canettes de 18,7 ml ont été spécialement conçues par Ball, le leader mondial de l'emballage (Coca-Cola, Orangina, Schweppes, Kronenbourg, etc.). “Le revêtement est complètement hermétique à la lumière et à la chaleur, explique Cédric Ségal. Deux couches de laque isolent le vin du métal.” Assurant même que le vin peut se conserver plusieurs années.
Sceptiques, nous avons goûté à ces fameuses canettes. Dans le Rhône, un seul caviste a joué le jeu de la canette : La Cave de la Boucle (à Caluire) qui, lors du passage du Tour de France à Lyon, le 14 juillet dernier, a rafraîchi les badauds. “On a fait des dégustations à l'aveugle, explique Didier Savoye, le gérant. Les gens ont été agréablement surpris. Mon premier client a été un type de 70 ans : il m'a dit que ce serait idéal pour pique-niquer lors de ses sorties à la pêche !”
Faire boire les jeunes
Pour l'heure, un seul vin a été mis en boîte : un corbières AOC du château de l'Ille, domaine multimédaillé du Languedoc, qui propose un rouge 2011 (cuvée Andréas), un rosé 2012 (cuvée Alexandrine) et un blanc 2011 (cuvée Émilie). Très sincèrement, ça se boit plutôt bien. Et aucun goût étranger. “On a la garantie industrielle que le vin ne peut pas s'oxyder en canette, explique Frédéric Mussidon, responsable commercial du château de l'Ille. Pour nous, ça va permettre de toucher la jeunesse. On vise le marché urbain, les take away, les Daily Monop et Carrefour City par exemple, et les réseaux de pizzas.”
Séduire l’étranger
Mais, pour Fabulous Brands, le marché visé, “c'est clairement l'étranger” : Chine et Japon (où des produits similaires existent déjà et où les ventes sont prometteuses), Russie, États-Unis, principalement.
En octobre, la société promet du bourgogne (il se murmure les noms de chablis et santenay), des côtes-du-rhône et du bordeaux en canettes. Et dès l'année prochaine, du beaujolais. “Un domaine réputé dans les crus”, précise-t-on. On nous parle aussi des vins de Loire et de Provence, de cahors, d'alsace.
Winestar a d'ores et déjà tablé sur un chiffre d'affaires de 1,3 million d'euros cette année, 50 millions d'ici à 2018... Il faut dire que le vin français ne s'est jamais aussi bien porté : à l'export, l'année dernière, il a dépassé les 11 milliards d'euros de chiffre d'affaires (+ 8,6 % par rapport à 2011).
Les syndicats professionnels atterrés
Pour François Roth, président de l'Union des vignerons du Beaujolais, “l'une des plus grosses erreurs est de vendre du vin à n'importe quel prix et n'importe comment. Dans les années 1980, Bic a lancé son parfum. Ils se sont complètement plantés, car le parfum a une image de luxe et les clients savent qu'ils mettront le prix. Pour le vin AOC, c'est pareil. Du vin en canette, c'est une méprise.” D'autant que le vignoble peine à redorer son image, ternie par certains viticulteurs peu scrupuleux et sans talent qui ont surfé sur le succès du beaujolais nouveau.
Si, en Beaujolais, on voit le vin en canette d'un mauvais œil, chez le cousin bourguignon, le son de cloche est le même. Michel Baldassini, vice-président du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), se dit “personnellement choqué”. “Premier point : en terme d'image, ce n'est pas valorisant. J'ose espérer qu'il n'y aura pas de grand vin... Second point : à un moment où on veut lutter contre les excès des jeunes consommateurs, le vin en canette risque au contraire de les inciter à boire.”
Philippe Pellaton, président du syndicat des vignerons des côtes-du-rhône et coprésident de la cave de Laudun-Chusclan (Gard), est quant à lui moins catégorique : “Ce n'est pas le contenant vers lequel je pensais qu'on allait aller, mais il faut reconnaître que la canette casse les codes. C'est l'occasion de faire évoluer la consommation et de toucher de nouveaux consommateurs. Ceci dit, je ne vois pas un côte-rôtie sur ce type de contenant. Je vois plutôt des vins faciles à boire, qui correspondront à certaines manifestations où les bouteilles en verre sont interdites. Mais cela restera confidentiel.”
Côté hamburger
“La canette a un côté hamburger, explique Fabrice Sommier, MOF 2007, Master of Port 2010, chef sommelier chez Georges Blanc (*** Michelin) et président des sommeliers de Rhône-Alpes. Elle est assimilée à des boissons de type soda, et donc galvaude un peu l'image du vin. Or, je crois qu'il faut garder du respect pour les vignerons et du traditionnel dans le vin. Après, si ce changement peut permettre de faire boire du vin, pourquoi pas ? Quant à la qualité, il faudrait faire des dégustations pour voir l'évolution des vins.”
Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ? Pas sûr donc.
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Pas sur que ce soit une si bonne idée. je me vois mal boire du vin en canette.. Les amateurs de vins vous le diront, il y certains 'codes' à respecter et la canette n'en fera jamais partie..