Aéroport de Lyon-Saint-Exupéry : Y a-t-il (enfin) un pilote dans l’avion ?

Malgré ses bons résultats financiers et la croissance constante de son nombre de passagers depuis quinze ans, l’aéroport de Lyon peine encore à décoller à l’international. Et après la décision de repousser l’ouverture de son capital à l'après-Présidentielle de 2012, Lyon-Saint-Exupéry déploiera-t-il ses ailes ? Rien n’est moins sûr. (Article publié dans le mensuel Lyon Capitale de mai 2011).

Lors de sa construction, en 1975, le chiffre de 12 millions de passagers était annoncé pour l’an 2000. Trente-six ans plus tard, l’aéroport de Lyon peine à franchir la barre des 8 millions, pointant au 48e rang européen, derrière les anonymes plateformes de Varsovie, d’Édimbourg ou de Budapest. Humiliation suprême, Nice affiche 1 600 000 passagers de plus. Et Marseille, l’outsider de toujours, talonne l’aéroport lyonnais - avec une piste de moins. Il faut se rendre à l’évidence : Lyon n’est rien qu’un aéroport d’envergure régionale, quasi inexistant à l’échelon international. Une seule ligne transatlantique (Montréal, au Canada), une fréquence hebdomadaire pour l’île Maurice et trois vers Saint-Denis de la Réunion, voilà pour les vols réguliers longs-courriers. Des cacahuètes au milieu d’un champ de betteraves.

L’orgueil lyonnais

La menace de voir de potentiels clients partir vers Genève plane toujours sur l’aéroport lyonnais. L’“aspirateur” suisse propose en effet des liaisons quotidiennes attractives vers New-York, Washington, Dubaï, Abou Dabi, Bahreïn, Tel Aviv et Doha. Ou encore vers l’Asie, son point fort étant d’être connecté en direct à des plateformes orientales qui sont autant de plaques tournantes vers le continent asiatique. Ce que l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry n’a pas. “Le principal concurrent de Lyon étant Genève, n’a-t-on pas intérêt à faire alliance avec les Suisses ?” s’interroge un expert. “On a suffisamment de passagers”, répond en substance la direction de l’aéroport. En réalité, l’orgueil lyonnais en prendrait un sacré coup.

Comme on l’entend assez souvent, Lyon a l’aéroport qu’il mérite. Car Lyon n’est pas la métropole internationale qu’on veut bien nous vendre (jusqu’à la nausée). C’est juste une métropole d’envergure européenne. Elle n’occupe d’ailleurs que la 19e place des 36 villes européennes les plus attractives (derrière Milan, Manchester, Lisbonne ou Birmingham). Dont acte. En témoignent les échos des dirigeants des entreprises internationales approchées par l’Aderly (l’organisme de promotion économique du Grand-Lyon), qui font systématiquement état des insuffisances de l’aéroport.

“Lyon-New York est une connerie d’élus”

Dès lors, Lyon possède-t-il le fonds de clientèle nécessaire à ces liaisons transcontinentales ? “Non, clairement non, objecte un expert. Lyon n’a pas la clientèle pour pouvoir envisager durablement un vol quotidien vers Shanghai ou New-York. On les avait pourtant prévenus : le Lyon-New York, par trois fois inhumé, est une connerie d’élus. Il ne faut pas rêver, Lyon ne peut pas jouer dans la cour des grands.
S’il y avait vraiment le fonds de clientèle nécessaire pour des lignes transcontinentales, on verrait peut-être arriver plus de compagnies internationales à Lyon…”, persifle, pour sa part, Bernard Bazot, le directeur régional Centre-Est d’Air France.

Les trois quarts des sièges des entreprises mondiales et des centres décisionnels sont effectivement concentrés à Paris. Or, ce sont les passagers de la classe affaires qui assurent la rentabilité de ces liaisons aériennes. Même à sa troisième tentative, le taux d’occupation de la classe affaires du Lyon-New York n’a jamais dépassé 25 %. Cet échec démontre bien la difficulté actuelle pour un aéroport de province tel que celui de Lyon de maintenir et de proposer des liaisons de type intercontinental dans l’ombre de Paris. Dixit Air France, le modèle prôné, c’est 50 % de recettes affaires, 50 % de recettes loisirs. “À Lyon, on n’aurait pas le potentiel, on ne serait qu’à 25 %, à peine.”

Low cost, the stairway to heaven

Question à 100 000 dollars : comment attirer les vols longue distance ? En développant les lignes moyens-courriers et courts-courriers, histoire de générer un maximum de trafic. “Plus il y aura de flux de passagers, plus Lyon se développera comme point international”, confirme François Bacchetta, le directeur général d’EasyJet en France. Le low cost, on y vient justement. En 2010, il a représenté 19 % du trafic global de Lyon-Saint-Exupéry, en progression de 10,2 %. En d’autres termes, ce sont les compagnies à bas coût qui boostent aujourd’hui le développement de l’aéroport. EasyJet, dont la base est implantée à Lyon depuis 2008, y contribue pour plus de 85 %, avec 1 300 000 voyageurs annuels (+ 15,5 % par rapport à 2009), 28 destinations et quatre avions. “On a encore beaucoup de choses à développer à Lyon. On ne fait pas une base pour mettre quatre Airbus… EasyJet restera vecteur de développement de l’aéroport pendant de longues années.

N’en déplaise à Air France, qui a déclaré une guerre larvée à la compagnie au fuselage orange, l’aéroport de Lyon compte bien planer sur le cumulonimbus low cost. “On prévoit une montée en puissance du low cost, à raison d’un avion supplémentaire par an, pour arriver à des parts de marché entre 30 et 35 % du trafic total de l’aéroport à l’horizon 2030”, assure Philippe Bernand, le directeur général de Lyon-Saint-Exupéry.

Dès cette année, l’aéroport casse sa tirelire et investit plus de 24 millions pour les compagnies low cost, en agrandissant le terminal 3, qui leur est dédié. L’objectif est de faire passer la capacité de ce terminal d’un million et demi de passagers à cinq millions en 2020. Et pour répondre à la croissance du trafic, de nouvelles bretelles de dégagement permettront aux avions d’acheminer plus rapidement les passagers vers les terminaux, et de libérer au plus vite la piste pour les avions suivants. “Pour l’heure, ce sont des créneaux horaires porteurs aux heures de pointe qui nous manquent, explique-t-on chez EasyJet. Il y a un facteur historique qui fait que les meilleurs créneaux sont trustés par Air France ; mais il n’y a pas de raison pour que ça ne change pas.” De quoi faire bondir Air France, malgré tout encore forte de son hégémonie (41 % du trafic de l’aéroport). Hégémonie qui pèse lourd lors de l’attribution des créneaux horaires.

Privatisation : faux procès ?

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, la direction de l’aéroport faisait allégeance totale à Air France. Mais les temps ont changé. Alors que le Gouvernement a annoncé l’ouverture au privé du capital de quatre aéroports régionaux dont il détient 60 % (Toulouse, Bordeaux, Montpellier et Lyon), les décideurs économiques et politiques lyonnais ne cachent pas leurs doutes quant à l’entrée d’Aéroports de Paris (ADP) dans la gestion de Lyon-Saint-Exupéry. “C’est impensable et kamikaze, tempête Philippe Grillot, le président de la chambre de commerce (actionnaire à 25 %). Ça bloquerait tout développement de l’aéroport. On deviendrait une simple succursale de Paris, qui redirigerait les passagers vers son hub de Roissy ou ceux d’Amsterdam et de Milan. On ne récupérerait que les miettes.” Même écho à la Région : “Saint-Exupéry deviendrait un garage de Roissy et d’Orly, car la vision très jacobine d’Air France fait que Paris sera privilégié”, prévient Jean-Jack Queyranne. Selon eux, Air France laisserait Saint-Exupéry baigner dans son jus régional. Il serait dès lors difficile pour Lyon d’exister en tant que hub à part entière.

Lyon a sa place dans le ciel européen, assure Philippe Bernand. Un doublement du trafic aérien européen est prévu en 2030. Or, les capacités aéroportuaires actuelles en Europe ne pourront pas satisfaire ce doublement. Donc, inévitablement, des aéroports régionaux qui ont des capacités de développement auront un rôle à jouer dans ce système. Lyon en fait partie.” Et Patrice Raulin, le président - remonté à bloc - du conseil de surveillance de l’aéroport, de s’emballer : “À long terme, le système aérien français reposera sur Lyon.” Car Paris ne pourra pas tout porter. Et Lyon dispose en effet de réserves foncières uniques en Europe (900 hectares, la place pour deux pistes supplémentaires), ce qui pourrait en faire la fameuse deuxième porte d’entrée en France.

Sirènes lyonnaises

Un avantage énorme qui peut jouer en sa faveur et convaincre des compagnies internationales d’ouvrir de nouvelles lignes à Lyon. Des pourparlers sont en cours avec Emirates, futur n°1 mondial que tout le monde s’arrache. En jeu : une liaison hebdomadaire Lyon-Dubaï par Airbus A330. “Un vol direct au départ de Lyon pourrait représenter un potentiel de 1 % de croissance pour Saint-Exupéry et permettre de se connecter à d’autres plateformes du golfe Persique, s’enthousiasme Philippe Bernand. C’est un dossier que l’on travaille depuis trois-quatre ans.

Autre dossier, autre destination transcontinentale : Etihad Airways, pour un long-courrier vers Abou Dabi. Mieux, des négociations sont également en cours avec Air India, qui envisage de délocaliser son hub de Francfort. Coup de chance pour Lyon, Air India doit prochainement intégrer Star Alliance (Lufthansa, Swiss, British Midland International…), une union de compagnies aériennes qui a le vent en poupe à Saint-Exupéry (13,9 % de part de marché en 2010, en hausse de 14 %). Il serait alors question de liaisons vers Mumbaï (Bombay) et Delhi, d’un côté, New-York et Washington, de l’autre. L’idée est donc de faire venir une ligne transcontinentale qui permettra ensuite de desservir 30 ou 40 destinations. Ces compagnies pourraient ne pas être insensibles aux sirènes lyonnaises.

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