Professeur de criminologie appliquée au Cnam de Paris, New York et Shanghai et auteur de l’essai Comment vivre au temps du terrorisme, Alain Bauer décrypte l’opération revendiquée par l’État Islamique sur les Champs-Élysées ce jeudi soir et son éventuel impact sur le premier tour de l’élection présidentielle.
Lyon Capitale : Vous écriviez dans L’Opinion que “l'intifada terroriste a remplacé l’hyperterrorisme des années Ben Laden”. Comment interprétez-vous l'attentat qui a eu lieu sur les Champs-Elysées hier soir ?
Alain Bauer : Aujourd'hui, l’État Islamique fait des attentats à la carte et il ne s'agissait pas d'un kamikaze. Au lieu de prévenir les attaques, les forces de sécurité, notamment celles statiques, les attirent presque magnétiquement, ce qui est donc un processus un peu à contre-emploi de ce qui avait été imaginé pour le plan Vigipirate et pour Sentinelle. Nous sommes aussi dans le sens du signe de l’État Islamique : les opérations terroristes lourdes, structurées et complexes ont été remplacées par n'importe quoi, n'importe comment, mais avec un effet médiatique considérable. Qu'il n'y ait pas de mort lorsqu'un attentat est évité ou 500 pour un attentat réussi, l'émoi médiatique est le même. Nous avons parfaitement compris l'usage qu'ils pouvaient faire de cette hypersensibilité, quels que soient la nature de l'opération, le mode opératoire et la complexité du dispositif.
L'attentat va-t-il, selon vous, avoir un effet sur les élections ?
Dans ce cas précis, les résultats du Gouvernement, tout comme la situation de tension, ne bénéficie à personne, si ce n'est éventuellement à l'abstention. Quand les résultats de l'antiterrorisme sont bons, que des opérations sont démantelées, aucun candidat ne peut en bénéficier, car personne ne défend la politique du Gouvernement. Pourtant, de plus en plus d'opérations sont démantelées, donc il y a une efficacité retrouvée des services, même si cette efficacité ne fonctionne pas à 100%. À l'inverse, lorsqu'il y a des attentats, même s'ils sont limités, mais qu'ils provoquent un émoi général, aucun candidat ne semble pouvoir en bénéficier. En tout cas, dans la configuration présente.
Vous disiez que pour les criminologues la question terroriste n'est pas essentiellement celle de la signature des moyens, mais surtout un problème de ciblage. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Tout le monde essaye de décrypter l’État Islamique et son fonctionnement. Le problème, c'est quel est son objectif et dans quelle configuration nous devons sortir de la théologie, à la fois de l'interprétation des actes et de la réalité des opérations. Il faut arrêter le prêt-à-porter sur ces questions et faire du sur-mesure pour permettre enfin de comprendre la nature profonde de l’État Islamique, qui est d'abord une organisation criminelle. Le sur-mesure ne se fait pas en l'air, mais à partir d'éléments précis, ciblés, et en général relativement peu publics. L’État Islamique territorialisé va disparaître, mais le cycle enclenché est un cycle toujours très long et il va simplement changer de nature. La spécificité de l’État Islamique est de tout s'autoriser, à la fois d'organiser de petites opérations avec un seul tireur, mais aussi des opérations lourdes et structurées.