Consultant en mobilité et fondateur du cabinet-conseil Mobiped, Benoît Beroud est aujourd’hui l’un des spécialistes français en matière de transports. Il nous livre son analyse du nouveau marché public Vélo'v et fait le bilan du vélo en libre service.
Lyon Capitale : Les systèmes de vélos en libre-service comme Vélo’v fonctionnent-ils ?
Benoît Beroud : Les usagers peuvent louer un vélo et le laisser à destination. Donc, oui, les systèmes VLS fonctionnent. Ils offrent un service tout-en-un aux utilisateurs en levant de nombreux freins à la pratique du vélo : pas besoin de réparer son vélo, pas besoin de le garer, aucun risque de se le faire voler. Et surtout il permet une flexibilité assez inouïe à un prix défiant toute concurrence. Mais l’usager ne devrait-il pas plus contribuer et alléger les dépenses publiques ? Les VLS ont également une force marketing pour faire parler du vélo dans les chaumières, dans la presse, chez les élus et dans les conférences, comme à Velo-City Taiwan, conférence mondiale des politiques cyclables.
Et en matière de part modale ?
Si l’objectif est de générer un report modal de la voiture vers le vélo, c’est un service de luxe dans l’escarcelle des outils d’action publique. Avec Vélo’v, en dix ans, la part modale est passée de 2 à 3 % sur Lyon-Villeurbanne, d’après les premiers résultats de l’enquête “ménages/déplacements”. En 2009, les déplacements en Vélo’v qui auraient été faits en voiture représentent moins de 0,01 % des déplacements voitures. Donc, si on veut que plus d’automobilistes deviennent cyclistes, l’action publique doit être renforcée bien au-delà de Vélo’v.
Pourquoi parler de produits de luxe ?
Ces services nécessitent un investissement d’argent public conséquent, par rapport aux autres mesures pour développer le vélo. Mais les VLS prennent trop de place dans le budget contraint d’une politique cyclable, au détriment d’autres actions peut-être plus efficientes. Ainsi, les collectivités manquent d’ambition pour traiter les problèmes à la base, à savoir lutter contre les voleurs de vélos, faciliter l’accès à un service d’(auto)réparation de son vélo particulier et bénéficier de conditions de stationnement à domicile et au travail. Si on garde le point positif, cela permet à la collectivité d’investir de l’argent public dans le vélo. Et cela reste toujours plus pertinent d’investir dans du VLS que dans de nouvelles infrastructures routières pour les voitures ou des zones industrielles/commerciales en périphérie uniquement accessibles en voiture.
Pour vous, quels sont les bons exemples en matière de location de vélos ?
À mon sens, les services de location longue durée comme à Grenoble, Chambéry ou Amiens sont intéressants. Ils permettent d’accéder à une plus grande variété de types de vélo – vélo à assistance électrique, vélo pliant, accessoires, vélo adapté, vélo-cargo – et ainsi initier des pratiques cyclistes plus larges. L’utilisateur est responsable de son vélo. Le prix des services longue durée est inférieur pour la collectivité et semble attirer plus d’automobilistes.
Les Vélo’v sont-ils dépassés ?
C’était très bien il y a dix ans. C’est toujours bien. Cela contribue à la visibilité du vélo. Des cyclistes l’utilisent tous les jours. Certains ont des pratiques multimodales, étant à la fois piéton, cycliste, passager des transports en commun et peut-être de la voiture. Mais c’est clairement insuffisant pour réduire l’usage de la voiture solo.
Que devrait faire la métropole pour régler cette question ?
La métropole fait déjà des efforts et va plutôt dans le bon sens. Mais les conditions de cyclabilité ne sont pas assez attractives pour convaincre des non-cyclistes, principalement des automobilistes, de changer leur pratique de mobilité. En tant que consultant en mobilité durable, je recommande aux collectivités territoriales de mettre en place des démarches qualité pour structurer et améliorer leur politique publique. Il existe une méthode spécifique à la pratique cyclable. Ensuite, un des points indispensables est d’avoir un réseau continu qui soit compétitif. Par exemple, la bande cyclable peinte dernièrement sur le pont de l’Université et l’absence de traitement des continuités cyclables aux extrémités ne sont pas à la hauteur des ambitions de Lyon ; les extrémités du fameux tunnel modes doux de la Croix-Rousse ne sont pas satisfaisantes.
Un autre point est important : la gouvernance. Peut-on avoir une politique de mobilité durable si les transports en commun sont traités par le Sytral et la voirie et les modes actifs à la métropole ? Dans le cadre de la présidence de l’Union européenne, les Pays-Bas lancent un festival européen du vélo. J’aimerais que des Hollandais viennent aider Lyon à grandir en tant que ville cyclable.
Les bonus donnés pour ramener le vélo dans les stations vides règlent-ils le problème ?
Les problèmes de stations vides et de stations pleines peuvent être réduits. Mais ils ne peuvent pas être annihilés, car ils sont propres à ce type de service. Ensuite, les gains offerts par les bonus ne sont pas très attractifs pour avoir un réel impact pour inciter à remonter un vélo en haut d’une colline. Pourquoi ne pas faire payer les cyclistes qui descendent régulièrement ? Mais continueraient-ils à louer un vélo ?
Peut-on pousser les utilisateurs de Vélo’v vers le vélo individuel ?
Vélo’v a amené de nombreuses personnes à refaire du vélo. Mais je ne connais pas d’étude sur le nombre de “véloveurs” réguliers qui ne faisaient pas de vélo auparavant, l’ont (re)découvert grâce à Vélo’v et se déplacent avec leur vélo particulier. Vélo’v apporte un vrai confort ; une fois qu’on en sort, on s’expose de nouveau au risque de vol de vélo, au stationnement à domicile et au besoin de réparation. De plus en plus de vélocistes s’installent, et le nombre d’ateliers d’autoréparation se développe notamment sous le collectif de la Clavette, et contribue à faciliter l’usage du vélo individuel.
Le Vélo’v électrique est-il nécessaire ?
L’électrification du parc apporterait un service supplémentaire. Le vélo à assistance électrique permet de faire moins d’efforts au démarrage ou dans les côtes, de parcourir de plus longues distances et de moins transpirer. Mais le traitement des batteries demeure toujours problématique, au même titre que celles des téléphones portables. Et n’y a-t-il pas d’autres façons d’utiliser l’argent public pour développer la pratique du vélo ?
La métropole a-t-elle fait une erreur en intégrant la location longue durée dans le nouveau marché mobilier urbain/Vélo’v ?
Ce n’est pas choquant, car il s’agit de service de location de vélos. Toutefois, les problématiques sont différentes et pourraient être gérées par deux opérateurs différents. Surtout, on a le sentiment que la longue durée est un service annexe, alors qu’elle devrait être plus valorisée dans l’appel d’offres.
Je suis plus surpris par le fait d’avoir de nouveau lié les Vélo’v avec les espaces publicitaires. J’espère que le futur marché sera rendu public pour ne pas faire croire que Vélo’v est gratuit ou financé par la publicité. Pour la collectivité, la publicité est une recette. Et les Vélo’v un investissement public à assumer.
Pourquoi le service Vélo’v n’est-il pas gratuit, selon vous ?
En 2004, JCDecaux proposait de payer 68 millions d’euros pour exploiter des espaces publicitaires sur une période de treize ans. En intégrant les Vélo’v, JCDecaux ne proposait plus que 18 millions d’euros. Donc JCDecaux avait anticipé un coût – sans imaginer les difficultés inhérentes au risque de vandalisme sur l’espace public et à l’absence de vérification de l’état du vélo à la fin de la location – de 50 millions d’euros pour treize ans et 4 000 vélos. Soit une moyenne de 1 000 euros par vélo et par an, qui intègre l’investissement et l’exploitation. Et, en distinguant les marchés, j’imagine que la collectivité gagnerait plus d’argent sur les espaces publicitaires. Ou pourrait faire le choix de Grenoble en supprimant la publicité. Et elle pourrait être plus exigeante sur les services de location de vélos et bénéficierait de plus d’innovations.
Certaines sources évoquent un coût annuel entre 2 800 et 3 000 euros par Vélo’v, d’autres entre 2 000 et 2 500 euros. Cela vous paraît-il élevé ?
Ce n’est pas surprenant, mais cela paraît élevé. Le seul montant officiel que je connaisse à Lyon est celui précité. Mais c’était une estimation avant le premier jour d’exploitation du premier service à grande échelle dans le monde.
Avec un budget de 50 millions, pourquoi ne pas donner un vélo à chaque foyer ?
Pourquoi pas ? Cela pourra créer un gigantesque effet masse. Toutefois, il y aurait certains effets pervers. Il faut savoir qu’en France il y a plus de vélos que de voitures. Mais ils sont dans les garages et pas toujours en état de marche. Donc, donner des vélos n’est pas la solution optimale. Dans tous les cas, Vélo’v ne pourra jamais constituer toute la pratique du vélo. Et, pour devenir une ville cyclable au sens des conférences internationales sur la pratique du vélo, la métropole de Lyon devra contribuer directement ou indirectement aux solutions de stationnement, de réparation et de lutte contre les voleurs.
Avec le nouveau marché public, la ville de Lyon peut-elle tourner le dos à JCDecaux ?
Y a-t-elle un intérêt ? Le lien “sentimental” entre Lyon et JCDecaux, ou vice-versa, existe depuis plusieurs décennies. Mais le rôle de la puissance publique est-il de s’acoquiner avec un opérateur privé ? L’appel d’offres regroupant espace publicitaire, Abribus, Vélo’v et location longue durée permet à très peu d’acteurs économiques d’apporter une réponse crédible. Qui plus est avec une réponse à fournir dans un délai de quarante jours.
Le marché public de Vélo’v est donc biaisé ?
À la lecture de l’appel d’offres, j’ai cette impression. Ce d’autant plus avec une durée de marché entre dix et quinze ans. Mais j’espère me tromper. Quel que soit l’opérateur retenu, une mention a attiré mon attention : “L’affichage publicitaire exclura toute communication contenant un message politique ou confessionnel ou une atteinte aux mœurs, dénigrant ou en contradiction avec les politiques publiques de la métropole de Lyon, des communes ou leur système de transports en commun.” L’objectif affiché de la métropole de Lyon étant de réduire l’usage de la voiture individuelle, peut-être qu’il n’y aura plus de publicité pour la voiture à Lyon sur l’espace public. Actuellement, la publicité géante sur l’Hôtel-Dieu met en valeur… une voiture. Et cet espace est exploité par… JCDecaux. Ne pourrait-on pas imposer au niveau local, et dans le futur plan national des mobilités actives, une mention obligatoire sur toutes les publicités pour des voitures : “Conduire une voiture thermique nuit à la santé publique. Préférer la marche, le vélo, les VLS et les transports en commun” ? Sur le principe des cinq fruits et légumes par jour…
La ville de Lyon est-elle encore une vitrine pour le vélo en libre-service ?
En 2004, Lyon et JCDecaux ont pris des risques et ont réussi à faire de Vélo’v une innovation reconnue dans le monde. Le nouvel appel d’offres intègre la possibilité d’utiliser son smartphone. Mais, avec actuellement 1 000 services de vélos publics dans le monde, Lyon ne paraît plus à la pointe. La qualité de l’offre des candidats me fera peut-être mentir.
Le bilan est-il négatif ?
Non. Mais on aurait pu espérer plus de concurrence pour stimuler l’innovation et de transparence des fonds publics. Et c’est toujours plus pertinent d’investir de l’argent public dans Vélo’v que dans la construction de nouvelles infrastructures routières.
(Entretien réalisé le 15 mars 2016)
Découvrez notre dossier "Vélo'v : Lyon à la merci de JCDecaux ?" dans Lyon Capitale numéro 754, actuellement en kiosque.
Un mode de transport bien pratique, que l'on retrouve dans de plus en plus de ville. Très bonne analyse !