Lyon Capitale : Vice-président du Grand Lyon aux marchés publics, vous avez démissionné en 2005 en dénonçant des marchés “pipés” dans votre dos. Parmi eux, vous évoquiez celui du chauffage urbain, confié en 2004 à Dalkia. La justice a estimé ensuite que la concurrence avait été faussée sur ce marché, et l’a cassé. Aujourd’hui, Dalkia demande 68 millions d’euros d’indemnités au Grand Lyon… Cette somme est-elle justifiée ?
Patrick Bertrand : Je ne vois pas quels investissements ils auraient fait qui pourraient justifier une telle somme. Le marché a été cassé pratiquement immédiatement et ils n’ont par exemple pas fait la chaufferie à bois du 8e. Ce sont des grands spécialistes. La première fois que je les ai rencontrés, en 2001 ou 2002, pour leur annoncer que nous allions relancer le marché du chauffage urbain dont ils avaient la charge, ils m’ont dit : OK, mais ça vous coûtera 75 millions d’euros ! On avait refusé et on avait bien fait, car on a quand même relancé le marché et ils n’ont pas obtenu une telle somme.
Le rapporteur public a relevé à l’audience que ce marché est entaché d’irrégularité depuis son origine, en 1970. Comment l’expliquez-vous ?
À l’époque, la Ville de Villeurbanne n’avait pas donné de délégation au Grand Lyon pour faire son chauffage urbain. Nous avons bien eu raison de relancer le marché en 2004, ce qui a d’ailleurs permis de faire baisser fortement les prix pour les usagers. Ce qui n’est pas compréhensible, c’est pourquoi le Grand Lyon s’acharne à défendre Dalkia de cette façon.
Après votre départ du Grand Lyon, vous avez rapidement quitté la politique. Est-ce que vous avez regretté votre démission ?
Jamais. Je n’ai pas fait de la politique pour être élu, ou pour avoir le pouvoir. Il y avait manifestement des choses pas très claires sur les marchés au Grand Lyon. J’en ai eu assez d’avaler des couleuvres, j’ai donc démissionné. Comme je l’ai expliqué à l’époque dans Lyon Capitale, disons que dans le monde politique en général, et peut-être au Grand Lyon en particulier, les élus souhaitent avant tout être réélus. Et pour ça, la consigne est : “pas de vagues”. Or sur les marchés publics, il y a en face des fournisseurs très puissants. Quand on remet en cause leurs profits, ils savent menacer. On disait de la Générale des Eaux qu’elle avait un service des renseignements plus importants que les Renseignements Généraux. Cela doit toujours être le cas aujourd’hui pour Veolia (groupe issu de la Générale des Eaux, c’est la maison mère de Dalkia, ndlr), ou pas loin. C’est normal, c’est leur métier ! Plus ils se renseignent sur les élus, plus ils ont des moyens de pressions… et plus ils gagnent de l’argent. Il n’y a pas de dimension morale là-dedans, juste du business. Il faudrait en face des élus qui leur résistent. Disons que Collomb, lui, n’a pas eu une attitude correcte sur certains marchés.
Quand a-t-il été incorrect ?
Je peux citer au moins deux cas précis. Sur le dossier du chauffage urbain, il est intervenu directement auprès des services dont j’avais la charge comme Vice-président du Grand Lyon pour que les conclusions de leur rapport aillent dans son sens. Sur le dossier de la salle 3000 et Eurexpo, je lui avais rédigé une note confidentielle… que l’on a fait lire à Olivier Ginon (pdg de GL events, qui a finalement obtenu la gestion de la salle) !
Sur le dossier du chauffage, Collomb répond que vous défendiez la candidature d’Enerpart et qu’il a bien fait d’écarter cette société, car elle a été poursuivie pour corruption dans une autre ville…
Je n’étais pas un soutien d’Enerpart, je soutenais le fournisseur le moins cher pour les contribuables. Il y avait trois candidats : Dalkia, Gaz de France et Enerpart. Je pensais que Dalkia devait être écarté, car c’était manifestement des menteurs ! Ils étaient les sortants et proposaient une baisse de 30% de leur prix, alors que pendant 15 ans, ils nous avaient assuré que leur marge n’excédait pas 10% ! Or les délégations de services publics imposent une relation de confiance entre la collectivité et le fournisseur. Car on ne peut pas le surveiller tout le temps. Il bénéficie de la puissance publique et d’une situation de monopole sur des contrats d’une durée très longue : 20 ans, 30 ans…
N’est-ce pas un vœu pieu ?
La moindre des choses, c’est de ne pas redonner un marché à un fournisseur qu’on a pris sur le fait de ne pas avoir pratiqué le meilleur prix pendant des années.
Et vous dites que Collomb est intervenu pour que Dalkia soit reconduit ?
Oui. D’ailleurs, si les choses étaient claires, il n’aurait pas eu besoin de demander à son cabinet de faire passer la consigne à tous les membres de la commission avant qu’elle se réunisse.
Pourquoi aurait-il privilégié Dalkia, filiale de Veolia ?
D’abord parce que c’est un sortant, et qu’avec un sortant on a l’assurance qu’il n’y aura pas de problème. Ensuite pour d’autres raisons que je ne connais pas. On m’a dit que lors de sa traversée du désert, après sa défaite aux législatives, les gens de Veolia sont restés proches de lui.
Techniquement, était-elle la meilleure offre ?
Non. À l’époque, le recteur avait décidé de réserver la chaufferie de la Doua aux seuls bâtiments du campus. Il y avait donc besoin d’une nouvelle source d’énergie. Dalkia proposait une chaufferie à bois dans le 8e. Le problème c’est que les jours d’hiver, il aurait fallu faire venir quotidiennement 18 camions de 25 tonnes. Quand on voit déjà la circulation de l’avenue Berthelot… Gaz de France proposait une chaufferie à Gerland et Enerpart avait la solution la plus intelligente, une chaufferie au port Herriot, en faisant arriver le combustible par voie fluviale (solution qui d’ailleurs pourrait être adoptée, après l’abandon de la chaufferie du 8e, ndlr).
Après votre démission, il y a eu une perquisition dans le bureau de Gérard Collomb au Grand Lyon, pour une affaire que vous n’aviez jamais évoquée : Lyon Parc Auto…
J’avais été interrogé par la répression des fraudes. Je leur ai parlé de la chaufferie, des marchés de voiries, mais ça ne les intéressait pas. Ils venaient pour LPA. On disait que LPA payait cher son béton à Vinci, et qu’en contrepartie Vinci ne venait pas concurrencer LPA à Lyon. À mon avis, c’était un coup tordu de Perben, qui a d’ailleurs été classé sans suite. Ils n’ont pas cherché au bon endroit.
Pour vous, il y a pourtant bien des ententes sur certains marchés de l’agglomération…
On en a trouvé une sur les marchés de voiries du Grand Lyon. Et Collomb l’a favorisée. En 2001, quand on est arrivé, on a constaté qu’ils étaient répartis en trois tiers, entre les trois gros : Vinci, Eiffage et Bouygues. On a relancé le marché et en cassant cette entente, on a fait baisser les prix… On avait signé pour trois ans, mais au bout d’un an Collomb a relancé le dossier et réparti à nouveau les marchés en trois tiers, suite à quoi les prix ont de nouveau augmenté.
Le Grand Lyon conteste cette répartition et parle d’un surcoût de 2 millions seulement…
C’est ce qu’on a dit à Collomb, mais c’est plus. De toutes façons, ce n’est pas son problème : si besoin, il votera une augmentation des impôts… D’une manière générale, le suivi des marchés par les services du Grand Lyon est insuffisant. Mon dernier fait d’arme en tant qu’élu, c’est d’avoir fait annuler un cadeau d’un million d’euros à ASF sur le périphérique (TEO). Au Grand Lyon, j’ai été le seul à signaler le problème et à voter contre. Deux mois après, ils ont bien été obligés d’y renoncer. Mais si je n’avais rien dit, personne ne l’aurait vu, tout le monde s’en foutait ! Les autres élus ne regardent même pas les contrats qu’ils votent ! Là, c’était pourtant flagrant. Ce n’est même pas possible que le fonctionnaire qui a préparé le dossier ne l’ait pas vu…
Revenons à Gérard Collomb, c’est quand même “son” problème si la collectivité paye trop cher !
Non, son problème c’est de faire aboutir dans les temps les réalisations de son plan de mandat. Or ces grands constructeurs lui ont dit : monsieur le maire, on peut s’engager à réaliser votre programme. Mais on peut aussi faire traîner… C’est Collomb lui-même qui me l’a raconté. Il ne voulait pas se “fritter” avec ces grosses entreprises.
Est-ce vrai que cela aurait mis en danger les projets de Collomb ?
Il suffisait d’aller voir des entreprises italiennes, espagnoles ou anglaises. Ou simplement de menacer de le faire ! Mais Collomb n’a pas envie de se compliquer la vie. D’autant que ce sont des sujets qui n’intéressent pas les électeurs.
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