Crise au Venezuela : ce qu’en pensent les Vénézuéliens vivant à Lyon

Depuis la France, ils observent leur pays plonger dans une crise économique, politique et sociale sans précédent. Alors que le Venezuela est au cœur de l’actualité internationale depuis plusieurs mois, des Vénézuéliens expatriés à Lyon, souvent en contact avec des proches restés au pays, racontent comment ils vivent la situation.

Pénuries, insécurité, manifestations, violences. Chaque jour, le Venezuela s’enfonce un peu plus dans une crise dont l’issue semble encore totalement imprévisible. Depuis Lyon, la communauté vénézuélienne observe le pays se déchirer, avec le sentiment d’être impuissante et l’envie d’un changement de gouvernement. Car d’entrée, Loic prévient : “La plupart des gens qui sont partis le sont car ils voulaient fuir le pays, explique-t-il, lui qui est venu en France il y a dix ans, pour étudier. Donc il ne faut pas s’attendre à trouver des personnes progouvernementales ici.” Mais l’hostilité envers l’actuel président Nicolás Maduro n’est pas qu’une affaire d’expatriés : d’après les enquêtes d’opinion, plus de 70% de la population vénézuélienne ne voudraient plus de ce gouvernement.

Une crise politique dont l’origine remonte à 2015, suite à la victoire de la Table de l’unité démocratique (MUD) aux élections législatives. Forte de ce succès, la coalition de l’opposition devait organiser un référendum révocatoire courant 2016, afin d’obtenir la destitution de Nicolás Maduro avant la moitié de son mandat. Mais cette consultation n’a toujours pas eu lieu, freinée par le Conseil national électoral. Puis la crise a pris un autre tournant, en mars dernier, lorsque la Cour suprême a décidé de s’octroyer les pouvoirs du Parlement, toujours dominé par l’opposition, avant de renoncer. Trop tard. L’événement a déclenché une vague de contestations qui n’a pas faibli depuis.

Récemment, la tension a encore augmenté d’un cran depuis l’élection d’une Assemblée constituante ayant pour mission de réécrire une nouvelle Constitution vénézuélienne. En plus des irrégularités qui auraient été constatées, Nicolás Maduro a annoncé une participation de plus de 8 millions d’électeurs, un chiffre contesté par l’opposition. “On sait que ce sont des pro-Maduro qui vont réécrire la Constitution, explique William. Le risque, c’est que cela instaure un pouvoir sans partage.”

“Soit tu fais la queue pendant des heures, soit tu achètes au marché noir, soit tu fais des échanges”

Lui qui a vécu à Caracas près de 6 ans est revenu vivre en France avec son épouse, rencontrée là-bas. En 2010, ils ont créé l’association Venezolanos en Francia, pour promouvoir la culture vénézuélienne à travers des événements organisés en région parisienne mais aussi à Lyon. Une initiative apolitique, au départ. Mais ces derniers temps, William avoue qu’il est de plus en plus difficile de tenir cet engagement. “On a du mal à contenir une position qui a plutôt tendance à aller dans le sens de l’opposition ou du moins à ne pas soutenir ce qui est fait par le gouvernement de Maduro.” Il y a un mois, l’association créée par William a participé à la mise en place d’une consultation populaire contre le président vénézuélien, initiée par l’opposition. Plusieurs points de vote ont été aménagés en France et à Lyon, 282 personnes se sont exprimées. Actuellement, Venezolanos en Francia organise aussi une collecte de médicaments.

Car au-delà de la situation politique, le Venezuela est également en proie à d’importantes pénuries de nourriture et de médicaments. D’après Patty, installée à Lyon depuis 4 ans, “soit tu fais la queue pendant des heures pour un kilo de farine ou du lait en quantité limitée, soit tu achètes au marché noir mais cela coûte beaucoup plus cher, soit tu fais des échanges.” Pour répondre à ce problème, le gouvernement distribue des paniers remplis de provisions, par l’intermédiaire de Comités locaux d’approvisionnement et de production (Clap). Mais cette aide serait inégalement répartie, en fonction des opinions politiques de chacun.

“Le peuple a faim. Et quand le peuple a faim, il ne peut plus supporter le système.”

Pour avoir de quoi manger, la population doit donc débourser des sommes considérables : d’après Loic, ses parents dépensent deux Smics chaque semaine pour se nourrir. Même si Nicolás Maduro a augmenté le salaire minimum a plusieurs reprises (il s’élève à plus de 97 000 bolivars actuellement, sans compter le bon alimentaire), cela ne suffit pas à faire face à la dépréciation constante de la monnaie. Au marché noir, un Smic vénézuélien ne vaudrait que 11 euros et il faudrait environ 12 000 bolivars pour 1 dollar. À cela s’ajoute une inflation démesurée qui devrait atteindre plus de 700% cette année.

“Je suis en contact avec des amis et c’est impressionnant de voir comment tout le monde maigrit de plus en plus, raconte Laeticia, revenue à Lyon en octobre dernier, après avoir vécu 17 ans au Venezuela. La misère a pris le pouvoir sur tout le pays, même les gens de la classe moyenne sont devenus violents. La violence est partout, à tous les niveaux.” Un constat que fait également Patty : “Le peuple a faim. Et quand le peuple a faim, il ne peut plus supporter le système.” Depuis le mois d’avril, les violences auraient fait plus de 120 morts. “À chaque fois que je reçois un appel de la part de mes parents, c’est le stress, je me demande s’il s’est passé quelque chose”, avoue Loic. De son côté, Lino, Lyonnais depuis 15 ans, a même fait venir sa mère en France, avant qu’il ne soit éventuellement trop compliqué de quitter le Venezuela.

“Si cette dictature s’installe, c’est quelque chose qui peut durer”

De l’avis de la plupart des expatriés interrogés, la situation politique et économique actuelle du Venezuela prendrait ses racines dans les années chavistes. Malgré le charisme et la popularité incontestés de leur ancien dirigeant, le modèle économique de Hugo Chávez, notamment fondé sur l'exportation de pétrole, n'est plus viable aujourd’hui avec l’effondrement du cours de l’or noir, et a conduit le pays dans l’impasse. Seule issue souhaitée par les Vénézuéliens désormais, l’organisation d’élections anticipées que Nicolás Maduro – héritier de l’idéologie de Chávez mais pas de sa stature – ne souhaite pas.

“Je ne suis pas très optimiste, il n’y a pas beaucoup de signes qui permettent de l’être, estime William. On se rend compte que Maduro conserve les pouvoirs, maîtrise l’armée et la police. Et face à cela, l’opposition, voire le peuple, n’a pas beaucoup d’alternatives.” À tel point que Laeticia n’hésite pas à parler de dictature. “La dictature s’est un peu freinée grâce aux manifestations et à la fraude découverte pour l’Assemblée constituante. Mais si cette dictature s’installe, c’est quelque chose qui peut durer.”

Et s'il reste des Vénézuéliens progouvernementaux, ils ne le seraient encore que par contrainte, explique William : “J’ai une belle-sœur qui travaille dans une entreprise publique. Elle est obligée de sortir manifester à l’appel du gouvernement et si jamais des pétitions en sa faveur ne sont pas signées, elle risque de se faire renvoyer.” De toutes les personnes interrogées, aucune ne sait comment cette crise va se terminer. Optimiste, Laeticia espère que la situation s’améliorera un jour, pour retourner dans ce “pays magnifique où les gens sont formidables.” En attendant, l'Assemblée constituante vient de s'octroyer les pleins pouvoirs, ce mardi.

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