Fallait-il voter 3 millions d’euros pour les chasseurs ?

Une association de protection de la nature, active à la fois en Auvergne-Rhône-Alpes et en Paca, commente dans cette tribune la décision du conseil régional aurhalpin de confier l’éducation à l’environnement, entre autres, aux chasseurs.

“Le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes a voté le 22 septembre dernier une subvention pluriannuelle de près de 3 millions d’euros pour la Fédération régionale des chasseurs. Cela confirmait la politique de M. Laurent Wauquiez, le président du conseil régional, qui souhaite confier les questions de l’environnement et de la nature aux chasseurs au détriment des associations environnementales. Il a réduit de 50 % la subvention annuelle de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna), supprimé celle du Graine (collectif d’associations pour l’éducation environnementale), de Mountain Wilderness et du Festival de l’avenir au naturel de l’Albenc en Isère (15 000 euros). Dans le même temps, ses services annoncent la fin des réserves naturelles régionales, dont la compétence réglementaire reste uniquement celle de la région.

Un rapport de 40 pages (n° 854) a été rédigé par le conseil régional pour décider de l’octroi de cette subvention de 3 millions d’euros. Il nous paraît indispensable de le lire et de le critiquer.

Contexte régional

Certains élus chasseurs et l’introduction du rapport voudraient opposer les chasseurs ruraux aux “bobos écolos” avec des arguments non fondés et particulièrement démagogiques.

En effet les chasseurs sont légalement obligés d’adhérer à une association. Malgré cela, leur nombre diminue de 2 % chaque année. Il atteint 119 000 chasseurs dans la région, ce qui est bien inférieur au nombre d’adhérents volontaires des associations de protection de la nature. Rien qu’en Isère, la Frapna regroupe 40 000 adhérents avec ses 60 associations adhérentes.

Le rapport du conseil régional insiste sur l’importance économique de la filière chasse. Il serait intéressant de la comparer avec celle de la filière nature. En effet, si on compte plusieurs milliers d’ornithologues amateurs en Auvergne-Rhône-Alpes, qui doivent s’équiper de jumelles, de longue-vue, de guides de détermination, ou les milliers de photographes nature, on devrait obtenir un chiffre au moins équivalent, à la différence près que les chasseurs dépensent de l’argent pour prélever à leur profit du gibier (res nullius) qui appartient à toute la société.

Les chasseurs justifient leur demande de financement au nom de quatre services particuliers qu’ils offriraient à la société : régulation de la faune, éducation au développement durable, espace de convivialité, entretien des milieux naturels.

Les deux derniers arguments nous paraissent fondés et effectifs. En effet les associations communales de chasse agréées (ACCA) sont souvent des lieux de convivialité et de rencontres intergénérationnelles dans les communes rurales et certaines entretiennent des haies ou des zones humides. Bravo et cela peut mériter un soutien des collectivités. Remarquons que les associations de protection de la nature peuvent prétendre aux mêmes qualités car nombre d’entre elles sont implantées en milieu rural.

Par contre les deux premiers arguments doivent être dénoncés vigoureusement.

Régulation de la faune qui cause des dégâts (espèces classées nuisibles)

Selon le dictionnaire, “réguler” signifie que l’on part d’une quantité connue au départ et maintenue à l’arrivée. Personne, chasseurs compris, ne peut prétendre connaître précisément le nombre d’individus des espèces animales sur un secteur. Au mieux, pour quelques espèces sur les 40 classées gibier, les chasseurs parviennent à fixer un indice de population sans pouvoir assurer qu’il soit exact et respecté pendant la saison de chasse. Prenons quelques exemples :

– l’alouette des champs, la tourterelle des bois sont en voie de disparition et les chasseurs continuent d’en tuer des dizaines de milliers. On est loin de la régulation et là on s’approche plus de l’éradication ;

– si on prend la liste des espèces classées nuisibles en Rhône-Alpes depuis trente ans suite à la consultation des commissions départementales composées aux trois quarts par des chasseurs, aucune n’a disparu ou diminué alors qu’elles sont piégées ou tirées au fusil toute l’année. Le rapport mentionne le cas du ragondin rongeur sud-américain introduit en France qui est toujours aussi abondant malgré les millions d’euros accordés aux piégeurs et chasseurs pour s’en débarrasser. Le vison d’Amérique est cité alors qu’il est pratiquement absent dans la région. Quant au “rat taupier” dont le nom français est campagnol terrestre, les chasseurs sont les seuls partenaires de la lutte contre ce rongeur à refuser d’y participer concrètement en renonçant à tuer les renards dans les zones infestées par le rongeur, alors qu’un seul renard capture 6 000 campagnols par an ;

– chacun sait que le sanglier est l’espèce qui cause le plus de dégâts en agriculture. Or, les chasseurs refusent son classement dans la liste des nuisibles et il ne cesse de progresser en nombre.

L’éducation au développement durable présentée par les chasseurs dans le rapport

Il existe des chasseurs écologistes et des écologistes chasseurs, dont le témoignage en milieu scolaire pourrait être intéressant. Mais la plupart des chasseurs n’ont ni la formation pédagogique ni la compétence naturaliste pour cela, contrairement aux salariés des associations environnementales agréées par le ministère de l’Éducation qui ont suivi une formation spécialisée et des diplômes correspondants. L’expérience montre que la plupart des chasseurs, malheureusement, ne connaissent ni la botanique ni la détermination des principales espèces animales non-gibier présentes dans la région. D’ailleurs, leur contribution à l’édition des atlas de biodiversité régionaux reste minime, à l’exception de quelques agents de l’ONCFS.

Le conseil régional souhaite établir un partenariat avec les chasseurs pour le schéma régional de cohérence écologique (SRCE). Rappelons que ce sont les écologistes du département de l’Isère au conseil général en 2000 qui ont initié cette politique nouvelle, qui a été ensuite reprise par l’État et la région. Il faut se réjouir de l’intérêt des chasseurs pour cela mais, là encore, leur expérience reste minime. En particulier, la mesure F9 des mesures à financer dans le rapport de la Fédération régionale des chasseurs propose de poser le long des routes des piquets réflecteurs destinés à effrayer le gibier qui veut traverser. Les chasseurs de l’Isère ont déjà été financés pour cela et les piquets réflecteurs n’ont jamais prouvé leur efficacité en Isère ni dans le monde. Un congrès international regroupant les spécialistes des questions de routes et d’environnement de 50 pays à Lyon fin août 2016 a confirmé l’inefficacité de ce gadget, qui a uniquement un effet placébo temporaire pour les habitants du secteur. Il nous semble utile de demander l’abandon de cette proposition, estimée à 26 000 euros par an.

L’examen des 17 mesures proposées au financement appelle les réflexions suivantes :

• Certaines sont déjà financées depuis longtemps par l’ancienne majorité du conseil régional (exemple : les actions liées au SRCE, Action F7) ou par des conseils départementaux (ex. : Action F1 sur la bécasse, Action F3 Suivi du courlis, de l’œdicnème criard, du petit gravelot, Action F12 pour les sites de reproduction du tétras-lyre financée par le conseil départemental de l’Isère). On attend toujours des résultats positifs pour les milliers d’euros déjà dépensés et ces espèces continuent de diminuer.

• Certaines sont à retenir car elles permettront une amélioration des connaissances et de la gestion cynégétique : Action F2 sur le lièvre variable ; F4, impact de la chasse sur les galliformes de montagne ; F5, suivi photographique des grands prédateurs ; F6, qualification des habitats naturels ; F8, corridor biologique Grand Pilat ; F10, cultures intermédiaires favorables à la biodiversité ; F11, gestion des milieux naturels ; F15, sécurité et chasse (2 morts en Rhône-Alpes en 2015 !)

• Il paraît étonnant qu’une mesure F17 d’un montant de 60 000 euros par an soit sollicitée pour les frais de fonctionnement de toutes les mesures. Elles sont déjà comprises dans les budgets des diverses mesures et on n’a jamais vu une association demander un financement pour le temps passé à déposer un dossier de demande de subvention. Sauf à voir ici un cadeau d’une politique clientéliste, cette mesure devrait être abandonnée.

Conclusion générale

Il importe de rappeler que les principales associations environnementales de la région ne sont pas opposées à la chasse mais seulement à ses excès. Nombre de bons chasseurs adhèrent à ces associations et les exemples de collaboration entre associations naturalistes et chasseurs sont nombreux. On pourra simplement regretter la non-implication des chasseurs dans l’impérieuse nécessité de limiter les pesticides et leur absence systématique dans les enquêtes publiques (PLU, études d’impact de projets d’infrastructures).On aimerait aussi leur évolution sur le trop grand nombre d’espèces gibiers, la disparition du petit gibier de plaine, la mise en place du dimanche sans chasse. Personne n’est opposé à ce que les chasseurs soient encouragés à améliorer leur gestion, mais il n’y a aucune raison de le faire au détriment des associations de protection de l’environnement qui s’activent, de façon non partisane, pour l’intérêt général.”

Association Nature et Humanisme

Le 2 février 2017

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